L'héritage au coeur des inégalités (Partie 2/2)
La « société d'héritiers » ferait-elle son grand retour ? La richesse des Français est désormais issue aux deux tiers des héritages, et non du travail. Pour réintroduire... Lire la suite
Il est encore difficile de mesurer précisément toutes les implications qu’aura l’entrée en vigueur de la réforme du Revenu de solidarité active (RSA), prévue par la loi plein-emploi du 18 décembre 2023. En effet, l’esprit de cette loi antisociale, pensée à un moment où les chiffres du chômage étaient relativement bas, se heurte non seulement à la montée actuelle du chômage et à la multiplication de plans sociaux dans tous les secteurs de l’économie mais également aux manque de moyens de France Travail pour mettre en œuvre la réforme. Une situation qui gêne le gouvernement aux entournures, ainsi qu’en témoigne son peu d'empressement à publier le décret précisant le régime des sanctions. Par ailleurs, cette réforme généralise des expérimentations menées depuis mars 2023 dans 18 territoires, étendue à 47 nouveaux bassins d'emploi en mars 2024, dont le bilan, quoi qu’en dise la communication gouvernementale, est plus que mitigé.
Ce qui est certain, c’est qu’en janvier, environ 1,2 million de personnes vont être automatiquement inscrites à France Travail. Cela comprend les actuels bénéficiaires du RSA – ceux qui, jusqu’à présent, n’étaient pas inscrits à France Travail -, de même que leur conjoint, concubin ou partenaire de PACS (soit 1 million de personnes selon France Travail), et 200 000 jeunes suivis en Mission locale et en Contrat d'engagement jeune (CEJ) ou en Parcours contractualisé vers l'Emploi (PACEA). S’ajoutent un nombre indéterminé de personnes en situation de handicap suivies par Cap emploi. Cette inscription administrative automatique des bénéficiaires du RSA signifie que ces derniers seront considérés par défaut comme des demandeurs d'emploi, jusqu’à preuve du contraire. Lors de leur inscription à France Travail, les demandeurs d'emploi seront répartis, vraisemblablement par un algorithme, entre France Travail, Cap emploi, la Mission locale ou le Conseil départemental. « L’entretien d’inscription obligatoire, qui permettait jusqu’à présent au conseiller de faire connaissance avec la personne suivie disparaît » déplore Brigitte Meyer, déléguée syndicale centrale CGT de France Travail.
L’« accompagnement rénové » prévu par la loi prend la forme d’un « contrat d’engagement » signé par chaque bénéficiaire. Ce contrat contient l’obligation de réaliser minimum quinze heures d’activités hebdomadaires, sous peine de sanction. Dans son blog, l’économiste Michaël Zemmour relève que « cette obligation est la nouvelle forme d’obligation de recherche d'emploi de tous les demandeurs d'emploi inscrits à France Travail et pas uniquement les allocataires du RSA. Autrement dit, c’est la nouvelle façon dont le législateur définit l’obligation, pour toute personne inscrite à France Travail de chercher activement un emploi, sous peine de sanction. » « Les allocataires du RSA vont être les cobayes de ce qui va se généraliser ensuite, alerte Brigitte Meyer. Comme ils sont au minima sociaux, ils vont subir une pression un peu différente, il va falloir qu’ils soient à disposition et qu’ils montrent patte blanche sur le fait qu’ils recherchent un emploi. »
Le contenu des activités est très flou : atelier de construction de CV, immersion en entreprise, bénévolat dans des associations, formation… Citée par Libération, une salariée de France Travail précise « qu'une première bonne indication de ce que peut contenir un parcours d'accompagnement socioprofessionnel » peut être la liste d'activités comptabilisées dans le cadre des « contrats d'engagement jeune » créés en 2022 (activités présentées pages 9 à 11 de la circulaire de mise en œuvre du CEJ). De fait, l’obligation de devoir justifier de quinze heures d’activités contre le versement d’une aide est déjà expérimentée sur la jeunesse à travers ce dispositif. « Les jeunes doivent justifier à travers une application les activités qu’ils réalisent, explique Alexis Bordes, secrétaire général du Comité national des privés d'emploi et précaires de la CGT. C’est à devenir fou. »
Afin de s’assurer que les bénéficiaires du RSA ne se tournent pas les pouces mais réalisent bien leurs activités imposées, la loi crée une sanction, appelée « suspension-mobilisation ». En cas de non-respect par le bénéficiaire de son contrat, le conseil général, qui verse le RSA, pourra suspendre le versement de l’allocation. La mise en œuvre de cette mesure doit faire l’objet d’un décret, à paraître en mai ou juin. « Sauf que France Travail n’a ni les moyens de mettre en œuvre les sanctions, ni de tenir sa part du contrat en accompagnant les allocataires » analyse Denis Gravouil, secrétaire confédéral CGT. Ce dernier estime que pour mettre en œuvre la réforme, l'embauche d’environ 35 000 nouveaux conseillers serait nécessaire à France Travail. Or, avant d’être censuré par les députés, le gouvernement Barnier demandait la suppression de 500 équivalents temps plein (ETP) à France Travail dans le budget 2025, auquel s’ajoute la suppression ou le redéploiement de 2900 ETP à l’aube de 2027, tels qu’annoncés par Olivier Dussopt, alors ministre du Travail.
Cette possible privation des moyens de subsistance d’un public déjà précaire est une maltraitance grave, qui ne peut qu’aggraver la vulnérabilité dans laquelle se trouve ce public. Dans un avis du 19 décembre dernier, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) estime que la réforme du RSA « porte atteinte aux droits humains ». Elle dénonce un « dispositif qui subordonne le versement d'un revenu minimum de subsistance à la réalisation d'une contrepartie », d'autant que le montant actuel du RSA (635,71 euros par mois pour une personne seule sans enfant) « ne permet, par ailleurs, pas de vivre de façon digne ». La CNCDH « alerte également sur la régression du droit à l'accompagnement social s'il se transforme en un contrôle sur l'effectivité de la remise au travail. Il risque en effet de contribuer à la maltraitance institutionnelle – tant auprès de la population ayant besoin de cette protection et y ayant droit que du côté des agents des administrations chargés d'appliquer des règles imprécises et/ou incomprises. »
Le risque de travail gratuit est également bien réel, ainsi que l’explique Denis Gravouil : « la loi prévoit que ces quinze heures d’activités hebdomadaires puissent être une « mise en situation de travail en entreprise ». Or, ce ne sera ni un stage, ni un emploi avec période d’essai, un contrat de travail et une rémunération… » Ainsi, ce bataillon de personnes sommées de trouver des activités peut représenter une aubaine, pour des collectivités notamment , elles-même en difficulté financière. Dans l’expérimentation menée à Villers-en-Vexin dans l’Eure, quatre allocataires du RSA ont été recrutés par la mairie pour l’entretien du cimetière. L’édile a justifié cette décision par l’absence de moyens pour recruter du personnel. Ce faisant, le travail gratuit effectué par les bénéficiaires du RSA risque d’entrer en concurrence avec des emplois publics comme privés, ce qui à terme aurait des conséquences sur les rémunérations et les conditions de travail de tous les travailleurs, sans permettre de créer des emplois.
Dans un rapport publié en octobre 2024, les associations ADT Quart Monde, le Secours catholique et Aequitaz relevaient, par ailleurs, que dans les territoires où les expérimentations ont été menées, le taux de non-recours au RSA avait augmenté de 10,8% alors qu’ailleurs en France, ce taux diminue légèrement. Par ailleurs, la sanction « suspension-mobilisation », aux mains du président du Conseil général, risque d’être utilisée de façon très hétérogène d’un département à l’autre, conduisant à des inégalités de traitement entre les bénéficiaires.
Selon les chiffres du gouvernement, 40% des bénéficiaires ont trouvé un emploi dans les six mois suivant leur entrée dans l’expérimentation, dont 18% un contrat stable. Pourtant, le rapport des associations citées précédemment explique que les contrats signés par les bénéficiaires suite à l’expérimentation sont « essentiellement des contrats de moins de six mois dans des secteurs en tension aux conditions de travail difficiles ». Dans un entretien accordé à Médiapart, l’économiste Arthur Hein, qui a réalisé sa thèse sur des mères isolées bénéficiaires du RSA en Meurthe-et-Moselle, explique par ailleurs que l’accompagnement renforcé des bénéficiaires de minima sociaux n’entraîne pas nécessairement un meilleur retour à l'emploi.
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