L'État, qui dit vouloir sauver la filière automobile et ses emplois, garantit 5 milliards d'euros de prêts à Renault. Or, un plan d'économies est sur les rails chez le constructeur. La CGT, qui redoute le scénario de 2009 et ses milliers d'emplois supprimés, réclame l'abandon de la stratégie financière et la relocalisation de l'activité.
Fermeture des concessions dans le monde entier, chute des ventes, mise à l'arrêt des usines de montage… La crise du Covid-19 a touché de plein fouet les constructeurs automobiles. Renault ne fait pas l'exception. Son chiffre d'affaires a chuté de 19,2 % au premier trimestre 2020 et ses réserves de liquidités ont fondu de 5,5 milliards d'euros entre décembre 2019 et mars 2020.
De plus, la marque au losange avait déjà subi d'importantes pertes en 2019 – les premières depuis dix ans – et les agences de notation l'avaient dégradée. Avec Air France et quelques autres, Renault est donc l'un des dossiers « chauds » du moment pour Bercy, qui dit vouloir défendre l'emploi.
Renault représente « un million d'emplois sur tout notre territoire, qui sont liés à la filière de l'industrie automobile, a rappelé le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire. Ce qui est en jeu, c'est notre industrie automobile, c'est un fleuron industriel qui appartient à notre culture, à notre histoire. »
Le prêt garanti par l'État, un dispositif sans engagement de responsabilité sur l'emploi pour les grandes entreprises
Le dispositif exceptionnel de « prêt garanti par l'État » (PGE) a été mis en place dès la fin mars par le ministère de l'Économie pour soutenir le financement bancaire des entreprises à hauteur de 300 milliards d'euros. Il concerne les très petites comme les grandes entreprises.
Fnac-Darty, qui a étrenné début avril le dispositif pour les grandes entreprises a obtenu un PGE de 500 millions d'euros, Air France et Renault, les deux PGE emblématiques, ont respectivement bénéficié de 7 et 5 milliards d'euros.
7 milliards de prêts à Air France sans garantie d'avenir pour les salariés
Outre la nécessité de n'avoir ni filiale, ni siège fiscal dans « un État ou un territoire non-coopératif en matière fiscale », les grandes entreprises ne doivent pas distribuer de dividendes et ni procéder à des rachats d'actions en 2020 pour bénéficier d'un PGE.
Pas d'aides pour les entreprises liées aux paradis fiscaux : juste un effet d'annonce
Mais, formellement, rien n'empêche les entreprises qui avaient prévu une restructuration ou un « plan de sauvegarde de l'emploi » d'aller au bout de leur projet, font observer les spécialistes.
Un plan d’économies, toujours sur les rails
Le plan d'économies de 2 milliards d'euros est toujours sur les rails pour Clotilde Delbos, la DG par intérim de Renault. Le 24 avril, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a confirmé que l’État français allait donner son accord à un PGE en faveur de Renault.
Il s’agit simplement d’un filet de sécurité. Notre position de liquidité est confortable. Clotilde Delbos, directrice financière et directrice générale par intérim de Renault
« Il s’agit simplement d’un filet de sécurité. Notre position de liquidité est confortable », a pourtant insisté Clotilde Delbos, qui est à la fois directrice financière et directrice générale par intérim du Losange. En effet, selon elle, seules les inconnues sur la durée de la crise et le rythme de la reprise justifient le PGE. Covid-19 ou pas, la stratégie financière est donc toujours sur les rails.
En réponse à ses mauvaises performances économiques de 2019, Renault a annoncé en février dernier un vaste plan d'économies de 2 milliards d'euros sur trois ans qui n'exclut pas la fermeture d'usines en France.
Je peux vous dire que nous agirons sur toutes nos lignes de coûts, sans exception. Clotilde Delbos, in Le Monde du 23 avril
Ce plan, dont la présentation est prévue pour la deuxième quinzaine de mai, n'a pas été ajourné et inquiète les salariés. « Je peux vous dire que nous agirons sur toutes nos lignes de coûts, sans exception », assurait Clotilde Delbos, selon Le Monde du 23 avril.
Bref, elle défend toujours son calendrier bien qu'il percute les propos de Bruno Le Maire. Or, pour justement éviter des suppressions d'emplois, l'État, qui contrôle 15 % du capital de Renault, a toute latitude pour poser ses conditions à l'octroi d'une garantie de prêts.
La CGT Métallurgie demande l'abandon de toute stratégie financière
À rebours de ce qui s'est passé après la crise de 2008, la CGT Métallurgie demande l'abandon de toute stratégie financière et la relocalisation des activités et approvisionnements industriels. De même que la CGT Renault, la déclaration de la CGT Métallurgie en date du 29 avril demande « l'abandon d'une stratégie financière mortifère pour la filière automobile ».
Elle rappelle que les salariés ne veulent pas revivre le scénario de la crise économique de 2008 : « En 2009, Renault et PSA ont bénéficié de 3 milliards de PGE […]. Dans les faits, les deux entreprises se sont servies des aides publiques pour poursuivre et amplifier les externalisations, les délocalisations de leurs sites de production et d'ingénierie […].
En 2009, après avoir empoché 3 milliards d’euros de PGE,
Renault et PSA avaient multiplié les externalisations et les délocalisations.
Les deux donneurs d'ordres français ont incité ou contraint leurs fournisseurs à suivre la même logique. Depuis 2008, l'industrie automobile française a perdu 52 000 emplois et le nombre d'emplois induits par l'automobile française a baissé de 268 000 depuis cette date ! »
Et de conclure : à la faveur du Covid-19 qui a « mis un frein à l'économie […], pourquoi ne pas engager une réflexion sur une stratégie de relocalisation ? Réfléchir à mettre en place une réduction du temps de travail ? Chercher à donner du sens à la proposition de loi des GM&S ? » Celle-ci porte sur la responsabilité des donneurs d'ordres vis-à-vis des sous-traitants, des emplois et des territoires.