23 septembre 2016 | Mise à jour le 6 janvier 2017
Auteur-compositeur-interprète, Gaël Faye révèle un beau talent de romancier avec « Petit Pays ». Il conte à hauteur d'enfant le paradis perdu du Burundi – frontalier du Rwanda – et la montée du racisme anti-Tutsi.
Avant de devenir un livre, Petit Pays, fut le titre d'une chanson du bel album Pili-pili sur un croissant au beurre que signait Gaël Faye en 2013. Son hip-hop poétique et conscient, d'abord affûté au sein du groupe Milk Coffee and Sugar témoignait déjà d'une belle plume dont ce premier roman est une preuve éclatante.
Gabriel fête tristement ses trente-trois ans, seul dans un bar de banlieue parisienne où une télé diffuse les images d'enfants migrants qui « jouent leur vie sur le terrain de la folie du monde ». Images qui le renvoient à ce qui n'est pas dit : au « pays en eux […] la seule chose qu'un être humain retiendra de son passage sur terre ».
Il se retourne alors vers l'insouciance de son enfance, quand il était le petit Gaby, partageant les jeux, les rires et les mangues mûres gaulées dans les jardins du voisinage avec ses copains de l'impasse…
Mais une sourde menace plane sur cet éden verdoyant que le père de Gaby, un expatrié français, explique ainsi à Gaby et à sa sœur Ana : « Vous voyez, au Burundi c'est comme au Rwanda. Il y a trois groupes différents, on appelle ça les ethnies. Les Hutu sont les plus nombreux, ils sont petits avec de gros nez. […] Il y a aussi les Twa, les pygmées. Eux, passons, ils sont quelques-uns seulement, on va dire qu'ils ne comptent pas. Et puis il y a les Tutsi, comme votre maman. Ils sont beaucoup moins nombreux que les Hutu, ils sont grands, maigres avec des nez fins, et on ne sait jamais ce qu'ils ont dans la tête. »
Au Rwanda limitrophe, le génocide des Tutsi de 1994 commence le lendemain de l’assassinat des présidents Hutu rwandais et burundais…
C'est la terre natale de la mère de Gaby et Ana, qui a laissé là-bas le reste de sa famille et ne partage pas la vision simpliste et l'aveuglement de son mari : « Quand tu vois la douceur des collines, je sais la misère de ceux qui les peuplent. Quand tu t’émerveilles de la beauté des lacs, je respire déjà le méthane qui dort sous les eaux. […] Mon pays c'est le Rwanda ! Là, en face, devant toi. Le Rwanda. Je suis une réfugiée, Michel. C'est ce que j'ai toujours été aux yeux des Burundais. Ils me l'ont bien fait comprendre avec leurs insultes, leurs insinuations, leurs quotas pour les étrangers et leur numerus clausus à l'école. Alors laisse-moi penser ce que je veux du Burundi ! »
Et pendant que la radio des Mille collines propage son message de haine et appelle au génocide, Gaby et sa sœur voient leur innocence voler en éclats : « Mais pour l'instant, le pays était un zombie qui marchait langue nue sur des cailloux pointus. On apprivoisait l'idée de mourir à tout instant. La mort n'était plus une chose lointaine et abstraite. Elle avait le visage banal du quotidien. Vivre avec cette lucidité terminait de saccager la part d'enfance en soi. »
Petit Pays,
de Gaël Faye. Éditions Grasset, 224 pages,
18 euros.
Les amis de Gaby vont choisir un camp, enfants soldats qui vont rejoindre l'une de ces bandes armées divisant pour tenter de régner et propageant la terreur. Le couple de ses parents va se dissoudre, prisonnier de cette spirale maléfique et de l'indifférence coupable des ex-colonisateurs. Jusqu'à ce que, affolée par le récit des massacres, leur mère parte tenter de retrouver les siens au Rwanda mais y trouve une indicible horreur…
En sélection pour le Goncourt, Petit Pays est un texte fort, bouleversant dans sa sobriété même, qui ne masque aucun aspect de cet effroyable conflit. Sans être autobiographique, il s'ancre dans l'enfance de Gaël Faye arrivé en France en 1995, et dont le père est français et la mère rwandaise. Sans nul doute un des livres les plus marquants de cette rentrée littéraire.