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ENTRETIEN

Saül Karsz. Les évidences mises à mal

26 juin 2014 | Mise à jour le 25 avril 2017
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Saül Karsz. Les évidences mises à mal

Saül Karsz, philosophe et sociologue, décortique depuis un bail les a priori de tous poils, en convoquant quatre grandes figures : Marx, Althusser mais aussi Freud et Lacan. Avec son association Pratiques sociales, créée en 1982, il multiplie séminaires et formations pour interroger inlassablement « le travail social en chair et en os ».

nvo : En 1982, vous créez l'association Pratiques sociales et, sept ans plus tard, lancez à la Sorbonne, où vous enseignez la sociologie, un séminaire, intitulé “Déconstruire le social” ». Pourquoi ?

Saül Karsz : Je venais de la philo et souhaitais enseigner une sociologie non renfermée sur elle-même. Il s'agit, avec l'association comme le séminaire, d'inventer un lieu pour penser ce que social veut dire. Quand on parle de difficultés économiques et de difficultés sociales, quelle est la différence ? Qu'entend-on par exclusion, par déviance, par intervention sociale ? L'idée est alors de mettre à mal les évidences, les consensus. Un travail avec les étudiants en sociologie mais aussi les travailleurs sociaux…

 

Pour ce faire, vous mettez en avant la transdisciplinarité : « L'idéologie et l'inconscient font nœud », c'est-à-dire ?

Aucune discipline ne vient à bout de son objet ; il faut faire appel à d'autres spécialités pour éclairer ce qui déborde. « Subjectif/objectif », « individu/société », « privé/public » sont des dimensions d'habitude cloisonnées qui, en réalité, agissent les unes sur, dans et sous les autres. Je donne souvent l'exemple de Marx, qui a fait un enfant à sa bonne. Cette dernière est partie en France se faire avorter, tandis que Mme Marx, après avoir quitté le foyer, y est revenue. Et je conclus : la lutte des classes a pris le dessus. Quelle discipline peut expliquer la fin de l'histoire ? Le freudisme. Par contre, pour expliquer pourquoi Freud n'épouse Martha Bernays que quatre ans après leur rencontre, une fois qu'il acquiert une situation professionnelle, il faut aller voir du côté du marxisme.

 

 

Articuler théorie et pratique en prenant comme objet privilégié le travail social, dites-vous. La formation est une activité importante de Pratiques sociales, dans quelles structures le réseau intervient-il ?

Les maisons de l'enfance, les instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (Itep), les services d'action éducative en milieu ouvert (AEMO)… Nous organisons en général des réunions avec les équipes pendant un an afin d'analyser leurs pratiques professionnelles. Dans ces lieux, il n'y a pas que les enfants qui sont en souffrance, ceux qui s'occupent d'eux le sont aussi. Pratiques sociales organise aussi des stages, à travers des journées d'études où des théoriciens et des praticiens viennent exposer et argumenter leurs points de vue à partir de leurs champs d'intervention (médico-social, droit, sociologie, psychiatrie, enseignement…). Elles abordent un thème différent chaque année : l'autorité, la famille, la souffrance…

 

 

L'année dernière, elles portaient sur le management, avec comme intitulé : « Travail, management, performance : entre contraintes et inventions », pourquoi ?

Parce que c'est un thème d'actualité avec des salariés qui se portent plus ou moins bien, harcelés, pris comme variable d'ajustement. Travailler sur le management actuel, c'est s'interroger sur une idéologie sans honte, au nom de la performance. Là, on n'est plus face au paternalisme d'antan, on joue dans la cour des grands. Ce capitalisme éhonté n'impose pas, il en appelle à la collaboration des salariés. Pour que ces derniers soient davantage disponibles pour l'entreprise, le management va s'occuper de leur vie privée, négocier sur les horaires ou les vacances, afin de faciliter leurs affaires familiales, histoire de les rendre plus joyeux, plus aptes aussi à suivre les cadences infernales. Ainsi, en 2008, L'Oréal a mis en place une charte de la parentalité pour ses cadres, avec des crèches d'entreprise.

 

 

Dans votre dernier livre, Mythe de la parentalité, réalité des familles, vous interrogez ces notions sous l'angle aussi de l'entreprise…

Oui, je cite par exemple les propos d'une DRH d'une entreprise québécoise qui explique l'importance de la gestion de la parentalité, afin que les salariés n'aient plus à faire un choix entre carrière professionnelle et vie familiale. Un projet pilote a été mis en place avec une pédiatre, « experte en parentalité », qui assure une permanence pour les salariés, afin qu'ils puissent discuter de leur problématique de parents qui travaillent…
Face à ce genre de management, il faut aller au-delà de la dénonciation passée, déconstruire ce qui se joue pour esquisser de nouvelles pistes de résistance. Amélie Meffre

 

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EN SAVOIR +

Mythe de la parentalité, réalité des familles, de Saül Karsz, éd. Dunod, 310 pages, 22,71 euros.
Du 17 au 19 novembre, les 20es journées d'étude et de formation porteront sur « Famille(s), parentalité(s) et autres enjeux contemporains ».
www.pratiques-sociales.org/

 

 

 

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