Face à l'exécutif qui maintient un « cap gravement préjudiciable à la fonction publique » les syndicats CGT, FA, FSU et Solidaires appellent tous les fonctionnaires à se mobiliser le 6 avril. De leur côté, des milliers de « territoriaux » sont déjà dans l'action, leurs jours de congés étant attaqués.
Jeudi dernier le premier ministre a expliqué que, finalement, pour freiner l'épidémie de Covid-19, il vaut encore mieux aller dehors. Et ça tombe bien. Dans les semaines à venir, de nombreux Français pourraient être saisis de l'envie de descendre dans la rue pour manifester leur opposition aux réformes, très contestées, que le gouvernement entend relancer à un an de la présidentielle.
Parmi celles-ci figure l'un des projets phare du quinquennat : la transformation du service public telle que portée par le fameux Comité action publique 2022 (CAP 2022) dont le rapport avait mis le feu aux poudres dès 2017, avant même sa publication. Il prévoyait de rendre l'État plus efficace et plus économe, notamment en optimisant les conditions de travail des fonctionnaires. Le sujet étant toujours d'actualité pour le gouvernement, la riposte syndicale s'organise.
La pandémie révèle le caractère indispensable des services publics
La crise sanitaire aurait dû rebattre les cartes tant les agents des trois versants de la fonction publique – territoriale, d'État et hospitalière – se sont avérés indispensables pour y faire face. Le gouvernement n'en a cure : il poursuit la mise en œuvre de sa loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 et prévoit de nouvelles coupes budgétaires en 2022.
Résultat : Face à un exécutif qui maintient « un cap gravement préjudiciable à la fonction publique », l'intersyndicale CGT, Fédération autonome, FSU et Solidaires de la fonction publique organise une première mobilisation « pour les salaires, l'emploi et les missions publiques » le 6 avril prochain. Elle y associe personnels, usagers, citoyens et élus pour agir et proposer « ensemble (…) un autre avenir pour la fonction publique » indique le communiqué commun.
« Cette date a été fixée parce qu'un rendez-vous salarial était prévu dans la période, rapporte Natacha Pommet, la secrétaire générale de la fédération CGT des Services publics. Celui-ci a été décommandé par la ministre. Mais même si nous espérons qu'elle le reprogramme nous, nous avons décidé de fixer notre calendrier. »
Outre le « dégel immédiat de la valeur du point d'indice » qui sert à calculer la rémunération des agents publics et est gelé depuis 12 ans, l'intersyndicale réclame notamment « la défense et le renforcement du statut général des fonctionnaires (…) garantissant aux citoyens et aux usagers la mise en oeuvre d’un service public impartial », des « moyens budgétaires nécessaires à l’accomplissement effectif de toutes les missions » et « l’arrêt des suppressions d'emplois, la mise en oeuvre d’un plan pluriannuel de recrutement de fonctionnaires »
La CGT lance une campagne intitulée 10 %
L'intersyndicale réclame « l'abrogation de la loi » de « transformation de la fonction publique
« La loi du 6 août 2019 sur la transformation de la fonction publique correspond au volet ressources humaines du projet Cap 2022 », rappelle Natacha Pommet. Et comme le texte concerne les trois versants de la fonction publique, en décembre 2020, la CGT a décidé d'y répondre de façon globale avec une campagne en faveur de « mesures d'urgence permettant de répondre aux besoins de la population ».
C'est la campagne dite des « 10% » : 10% de temps de travail en moins ; 10% d'effectifs en plus ; 10% d'augmentation salariale ; 10% de temps de formation. « Cette campagne se veut offensive par rapport à toute la loi sur la transformation de la fonction publique et fondée sur nos revendications, explique la syndicaliste. La journée de mobilisation du 6 avril est l'un des premiers évènements marquants de notre campagne ».
« L'abrogation de la loi » de « transformation de la fonction publique » est demandée par l'intersyndicale qui la juge « attentatoire à la démocratie sociale, porteuse d'accroissement de la précarité, d'allongement de la durée du travail et, plus globalement, qui remet en cause le statut général » des agents publics. Et pour cause : entre autres choses, le texte prévoit, comme dans le privé, la fusion des instances représentatives du personnel et la suppression des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; facilite l'embauche de contractuels par les administrations ou encore augmente le temps de travail des fonctionnaires territoriaux qui ne font pas les 1607 heures annuelles légales.
Sous couvert d'harmonisation du temps de travail, le gouvernement impose un recul social sans précédent aux fonctionnaires territoriaux
La fonction publique territoriale a « quasiment tenu le pays » pendant la crise sanitaire en 2020, malgré des « consignes contradictoires de l'État » se sont félicitées les collectivités, le 3 mars dernier, à l'occasion de la publication de leur baromètre annuel, « HoRHizons 2020 ». Et pourtant, depuis le début de l'année, le torchon brûle entre les municipalités, de villes moyennes et grandes, et leurs agents. Reims, Dieppe, Le Havre, Montreuil, Saint-Denis, Toulouse, Paris…
Les « territoriaux » multiplient les grèves, débrayages, manifestations, pétitions et perturbations de conseils municipaux ou métropolitains contre le passage aux 1607 heures annuelles de travail qu'impose la loi du 6 août 2019. Sous couvert d'une harmonisation entre public et privé, et entre les trois versants de la fonction publique, le texte implique un recul social sans précédent pour quelques dizaines – voire quelques centaines – de milliers de fonctionnaires territoriaux qui bénéficient d'un temps de travail inférieur à la durée légale – et donc de jours de congés supplémentaires qui du coup sont menacés.
Compensation du travail de nuit, du dimanche ou de la pénibilité d'un travail, voire de rémunérations comparativement basses dans la fonction publique territoriale, facteur d'attractivité pour faire venir des fonctionnaires dans sa ville, etc. Au fil du temps ces cinq à dix jours de congés accordés par les exécutifs locaux – faute d'avoir les moyens de payer davantage – ont été fixés par accords et intégrés au statut. De plus, lors du passage aux 35 heures, si les accords locaux datant d'avant 2001 étaient plus favorables, la collectivité pouvait les conserver.
« Tout cela est soustrait au débat, nié et le gouvernement fait comme si ça n'existait pas », pointe Natacha Pommet. Les employeurs territoriaux ont globalement jusqu'à fin juin 2021 (un an après les dernières élections) pour conclure des accords avec les organisations syndicales en vue d'appliquer la loi. Les négociations n'en sont pas toutes au même stade, mais les agents doivent s'organiser.
C'est pourquoi la CGT avait lancé une journée de grève et de mobilisation le 16 mars dernier « contre le vol des congés dans la fonction publique territoriale ». En 2022 ce sera au tour des conseil départementaux et régionaux d'être concernés.
Loi de Finances 2021 : se mobiliser pour des budgets à la hauteur des besoins
L'attaque contre les jours de congés des fonctionnaires territoriaux est « idéologique »
Très injuste, l'attaque contre les jours de congés de fonctionnaires territoriaux est « idéologique » estime la secrétaire générale de la CGT des Services publics. Depuis une quinzaine d'années les chambres régionales des comptes et la cour des comptes produisent en effet régulièrement des rapports sur le temps de travail qui leur paraît insuffisant et sur le nombre de jours de congés qui leur paraît trop important dans les collectivités locales. Une idée qui infuse dans l'opinion publique.
Et tous les gouvernements annoncent, à grand renfort de communication, les dizaines de milliers de suppressions de postes de fonctionnaires qu'ils vont effectuer. Dans le cas présent, « le passage aux 1607 heures, permettrait, sur le papier, de supprimer environ 60 000 postes de fonctionnaires territoriaux quand le candidat Macron en avait promis 70 000 », fait remarquer Natacha Pommet. « Le gouvernement va pouvoir communiquer sur le registre “on a tenu bon”, mais ce n'est pas parce qu'un fonctionnaire va travailler 8 minutes de plus par jour qu'il va pouvoir faire le travail du collègue qui lui est parti en retraite sans être remplacé ».
En toile de fond : le projet de loi 4D, un nouvel acte de décentralisation lancé à la hâte
« Nous, nous estimons qu'en vertu de l'article 72 de la constitution qui laisse la libre administration aux collectivité locale, les maires ne sont pas obligés de passer aux 1607 heures, malgré la loi du 6 août 2019 », indique Natacha Pommet. Voilà qui pourrait régler la question. Sauf que les maires subissent la pression des préfets de police dont la place devient prépondérante avec un périmètre d'action qui ne cesse de s'accroître.
Comme une pièce maîtresse du nouvel acte de décentralisation qu'à la hâte le gouvernement s'apprête à lancer avec son projet de loi « décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification » soit, pour aller plus vite, le projet de loi 4D. C'est le second volet du projet Cap 2022, celui qui concerne l'organisation des services publics et… leur « nouvelle vente à la découpe » dénonce la CGT Fonction publique qui craint « de nouveaux abandons et nouvelles privatisations de missions publiques » À suivre.