Les collectivités territoriales, à commencer par les communes, sont souvent les institutions les plus proches des citoyens, de leurs préoccupations, de leurs besoins. Dans nombre de villes, ces besoins explosent avec les conséquences de la crise. Pourtant, ces collectivités sont de plus en plus étranglées financièrement, au profit de cadeaux au Medef. Et au détriment des missions de service public. Un enjeu et un combat qui concernent les fonctionnaires et les citoyens.
Baisse des dotations, suppression de la taxe professionnelle, dotation de solidarité urbaine appliquée sans prise en compte du niveau de revenus des habitants, c'est à une véritable cure d'austérité qu'est soumise la ville de Nanterre. Cette commune de 100 000 habitants, aux revenus très souvent modestes, a cette particularité d'être enclavée dans un département qui, lui, est riche : les Hauts-de-Seine.
Depuis 2010, la ville a rejoint la communauté d'agglomération du Mont-Valérien. « Cela s'est fait tandis que d'autres villes de la petite couronne parisienne obtenaient une dérogation à l'obligation de se constituer en intercommunalité », commente Jean-François Lair, de l'UFICT CGT des agents territoriaux de Nanterre. « De cela découlaient des transferts de personnel et de la mobilité forcée, notamment pour les gros services de la voirie et de l'assainissement. Nous étions aussi dans la crainte de la perte des acquis du personnel issus de plusieurs décennies de gestion par des municipalités progressistes », poursuit Jef.
La lutte s'engage alors, concomitamment au grand conflit sur les retraites de 2010. Elle débouche sur un succès : les acquis des agents de la ville ne seront pas touchés. Tout du moins dans l'immédiat car, estime encore le syndicaliste, « nous devrons recommencer avec la mise en place du Grand Paris ».
7 millions d'économies et 52 postes supprimés
Fin 2012, le maire, Patrick Jarry, annonce qu'il va falloir se serrer la ceinture. Le budget 2013 est amputé de 7 millions, celui de 2014 de 10 et celui de 2015 de 15… Une spirale infernale où il est d'abord question de 42, puis de 52 suppressions de postes. S'y ajoutent des restrictions diverses et variées et des projets de mutualisation de personnels entre services.
Mais à la cinquantaine de postes supprimés chez les titulaires s'en ajoutent au moins autant chez les contractuels.
Le syndicat appelle à des journées d'action pour empêcher ce bradage, car « l'austérité d'où qu'elle vienne est inacceptable ». En parallèle, la CGT doit aussi se battre pour avoir des informations, procéder elle-même au recensement des postes réellement supprimés dans les services. L'affaire fait mouche en plusieurs endroits, parmi lesquels le centre technique municipal, mais aussi principalement la direction du développement culturel, où le budget est amputé de 24 %. Dans ce cadre, la médiathèque du centre-ville est directement menacée de fermeture.
Le réseau des médiathèques dans le collimateur
« Depuis deux ans, on étale ou on supprime un certain nombre d'activités, telles que le prix des bébés lecteurs, la fête des bébés chanteurs. Des spectacles jeunes publics sont annulés. C'est clairement une restructuration de l'offre culturelle », explique Mireille Dubois, de la médiathèque Flora-Tristan. « Cela a commencé par une baisse des possibilités d'acquisitions », renchérit Jean-Marc Besson, de la bibliothèque Pierre et Marie Curie.
Le réseau des médiathèques de Nanterre comporte 49 postes. Il dispose de plusieurs antennes, d'un bibliobus, d'une maison des jeunes, d'une bibliothèque et d'une médiathèque musicale. Avec ses quatre employés, la médiathèque Flora-Tristan, située au centre-ville, est très vite la proie de bruits : de fermeture. « C'est la médiathèque qui historiquement a été la première implantée », explique Mireille Dubois. « Le non-remplacement de la responsable, partie en retraite, nous a obligés à travailler à trois salariés pour faire le travail de quatre et, de fait, la situation est rapidement devenue intenable. »
Très vite, en effet, se crée une situation stressante. « On ne peut plus travailler correctement. Personne ne peut plus s'absenter. Tout le travail est haché, tout est urgent. Je suis devenue incapable de travailler autrement que dans l'urgence », précise encore Mireille. Les conditions de travail se trouvent ainsi extrêmement dégradées, d'autant qu'en même temps se met en place un système d'évaluation des personnels très contesté. Le service rendu se détériore également. Les horaires d'ouverture sont restreints pour permettre aux personnels de pallier les tâches d'organisation supplémentaires issues de l'absence de responsable.
Un succès qui rassemble usagers et personnel
De nombreuses actions ont émaillé l'année 2013, dont des journées de grève. Avec les manques de moyens, les risques psychosociaux sont clairement au cœur du conflit ainsi qu'en témoignent des affichettes sur les bâtiments culturels : « On en a marre des dépressions » ; « des hommes et des femmes au service des habitants, pas des pions ».
Au lieu de se refermer sur eux-mêmes, les salariés mettent à disposition des usagers de la médiathèque argumentaires et pétitions : « En période de crise, la culture est un levier d'émancipation pour la population », affirment les tracts des syndicats CGT et CNT.
Enfin, en janvier dernier, la pétition mise à disposition du public recueille 650 signatures en quinze jours. L'affaire reçoit donc un épilogue heureux, puisque, après un préavis impliquant toutes les médiathèques, la municipalité s'est engagée en janvier dernier à la fois à ne pas fermer la médiathèque Flora-Tristan et à y affecter un quatrième salarié au poste de cadre. Les mesures en cours nécessitent cependant une vigilance accrue. D'ores et déjà, des actions se profilent avec comme première étape l'appel à l'action nationale du 18 mars prochain.
« Des dégradations en cascade »
Baptiste Talbot, secrétaire général de la fédération des services publics
Dans quel état se trouve aujourd'hui le service public territorial ?
Baptiste Talbot : Nous sommes dans un contexte global très préoccupant et dégradé avec une politique d'austérité qui non seulement se poursuit mais s'aggrave. Le pacte de responsabilité vient en rajouter dans cette situation extrêmement grave pour les services publics. Cela aura des conséquences sur les salaires, alors que nous subissons une cure d'austérité depuis maintenant presque quatre ans, avec le gel de la valeur du point d'indice en juin 2010. Bien sûr, cela va avoir des incidences sur la qualité du service public. Qui dit moins de financement, dit moins de moyens pour faire vivre les services publics, pour dégager des budgets, obtenir du matériel pour travailler. En cascade, c'est la qualité du service public qui se dégrade. Il y a une situation délétère pour les agents, et qui est de plus en plus difficile pour les citoyens usagers.
Cela a-t-il des effets sur l'activité économique ?
Baptiste Talbot : En effet, la particularité de la fonction publique territoriale est de toucher un public de proximité. En particulier, il faut savoir que plus de 70 % de l'investissement public est réalisé par les collectivités locales. Cet argent va irriguer le tissu économique, et notamment celui des PME. Contrairement à l'État qui passe plutôt commande aux grands groupes, la commande publique locale alimente le tissu de proximité. Les collectivités irriguent le tissu économique mais, inversement, pour qu'un tissu économique puisse se développer, il y a besoin de services publics efficaces en termes de petite enfance, d'infrastructures routières, de services d'éducation, etc. Cela faisait partie des éléments d'attractivité de la France pour l'implantation des entreprises, mais ça va devenir de plus en plus difficile d'arguer dans ce sens.
Qu'est-ce qui a changé depuis la réforme sur la taxe professionnelle ?
La réforme a été menée de façon assez autoritaire sous Sarkozy, qui a non seulement réduit les moyens aux collectivités, mais creusé les inégalités. Il n'y a pas eu de mise en place de mécanisme de correction des inégalités territoriales et de solidarité entre territoires. C'est un texte de plus qui est venu aggraver une situation déjà compliquée. Ce n'est pas plus grave que ce que vient de décider M. Hollande avec le pacte de responsabilité qui va avoir des effets très importants. Il s'agit de 50 milliards à trouver et le gouvernement a ciblé clairement les collectivités comme étant l'un des principaux gisements d'économie.
Comment les agents de la fonction publique entendent-ils exprimer leur mécontentement ?
Baptiste Talbot : Comme toutes les organisations de la CGT, la fédération CGT des services publics est partie prenante de l'action nationale du 18 mars. Un appel unitaire (CGT, FO, FSU, Solidaires) a été lancé au niveau de la fonction publique et nous insisterons sur les salaires, l'emploi et le financement des services publics. Nous avons une première perspective de négociation mi-mai. Sans doute la mobilisation unitaire du 18 mars ne sera-t-elle pas la seule d'ici la négociation de mi-mai. D'ores et déjà, nous nous projetons dans cette perspective.