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CINÉMA

Tombeau pour Sankara

27 novembre 2015 | Mise à jour le 22 février 2017
Par | Photo(s) : Vendredi
Tombeau pour Sankara

Le capitaine Thomas Sankara prend le pouvoir en 1983 en Haute-Volta, qu'il rebaptise Burkina Faso en 1984. Assassiné en 1987, il a insufflé à son peuple des valeurs progressistes que rappelle ce documentaire.

Leader charismatique africain s'il en fut, Thomas Sankara, qui sera, à l'instar de Patrice Lumumba, trahi et assassiné avec la complicité de celui qu'il pensait être son « frère ». Blaise Compaoré – récemment démis par son peuple, au Burkina Faso, après 27 ans de règne – joua un rôle très similaire à celui de Mobutu. Mobutu qui évinça Lumumba en République démocratique du Congo. Les destins de Lumumba et Sankara ont bien d'autres points communs, notamment celui d'avoir cherché une troisième voie pour l'indépendance de leurs pays respectifs, qui ne soit ni Washington ni Moscou.

La force du documentaire du réalisateur suisse Christophe Cupelin, fin connaisseur du Burkina Faso, est d'avoir entièrement constitué son film d'archives – certaines très rares –, sans autres commentaires que ceux de l'époque, ce qui est souvent assez révélateur.

L'indépendance d'esprit de Lumumba comme de Sankara leur valut les mêmes violentes inimitiés – de la Belgique pour l'un, de la France pour l'autre (et de leurs alliés) –, les colonisateurs n'appréciant guère que l'on touche à leurs juteux prés carrés qu'ils entendaient continuer à piloter à distance, indépendance ou pas…

Si le Burkina Faso, appelé Haute-Volta avant que Sankara ne le rebaptise « Pays des hommes intègres », n'était pas assis sur les immenses richesses d'un sous-sol qui fait toujours aujourd'hui de la RDC l'objet d'une convoitise néocolonialiste meurtrière pour son peuple, la France n'appréciait guère d'être taxée d'impérialisme. Et Sankara, qualifiant de fantoches certains des chefs d'État africains à la botte des ex-colonisateurs ne se fit pas que des amis sur le continent…

 

On voit dans Capitaine Thomas Sankara un homme charismatique aux idées claires et extrêmement actuelles concernant la nécessaire autosuffisance alimentaire de son pays, l'alphabétisation et, ce qui est encore plus rare, une promotion et un respect des femmes dans la société inédits sur le continent. Mais on y voit aussi un François Mitterrand souvent très agacé par l'indépendance d'esprit de Sankara, ce qui donne un éclairage sur une Françafrique dont le continent paie toujours le prix fort.

Comme celui de Lumumba, le corps de Thomas Sankara ne fut jamais clairement identifié1, afin que sa sépulture ne devienne pas un lieu de célébration de son martyre. Comme Lumumba, Sankara était un excellent orateur, aux idées claires. Mais, grande différence avec Lumumba, outre l'époque et la brièveté de l'action du premier2, Sankara était un militaire, arrivé au pouvoir en 1983 par un putsch. Il ne dédaignait pas un certain dirigisme quelque peu autoritaire aux yeux d'un spectateur européen, de 2015 qui plus est !

Cette force des archives seules est aussi la limite du documentaire, qui ne permet pas suffisamment de recul avec son sujet, même si le réalisateur évite de justesse l'écueil hagiographique en ne cachant pas une certaine rigidité de Thomas Sankara qu'il faut toutefois tempérer par le contexte des années 1980. N'en demeure pas moins un document de base que le cinéaste suisse a porté seul pendant 25 ans avec une rare pugnacité, et qu'il importe de voir pour son ouverture vers un approfondissement nécessaire que de nombreux autres documents, notamment livres et films, peuvent apporter sur le sujet.

 

 

Capitaine Thomas Sankara, réalisé par Christophe Cupelin, 1h30. En salles le 25 novembre 2015.

 

 

 

 

1 – Son corps présumé a été exhumé en mai 2015 avec celui de ses compagnons. L'expertise est en cours, qui devra aussi déterminer les circonstances exactes de la mort de l'ancien chef d'État burkinabé.

2 – Patrice Lumumba sera le premier premier ministre de la République démocratique du Congo de juin à septembre 1960. Il a été assassiné en janvier 1961. Voir à ce sujet l'excellent Lumumba de Raoul Peck.