9 mai 2023 | Mise à jour le 9 mai 2023
Opposés à la réforme des retraites à 64 ans, trois travailleurs témoignent de la difficulté de vieillir au travail. Ils se racontent dans la Vie Ouvrière. Deuxième portrait avec Sissoko Kama, ouvrier du bâtiment, à pied d’oeuvre au chantier des Jeux Olympiques et du village des athlètes.
Il est fier, Sissoko, de contribuer à la construction du chantier le plus médiatique du moment. À savoir celui des Jeux olympiques de Paris 2024 et, plus particulièrement, du village olympique qui, une fois éteintes les lumières du stade, deviendra un quartier d'habitations. Un chantier titanesque, à cheval sur trois communes de Seine-Saint-Denis (Saint-Ouen, Saint-Denis, l'Île-Saint-Denis) où s'activent au bas mot 3 000 ouvriers.
Pour les majors du BTP, c'est une vitrine internationale, en dépit des enquêtes en cours pour travail illégal. Selon le quotidien Le Monde, « l'inspection du travail a procédé à quelque cinq cents contrôles depuis deux ans. Ceux-ci auraient conduit à des suspicions de cinquante à quatre-vingts cas litigieux. » Rien à craindre de ce côté concernant Sissoko Kama, à pied d'œuvre depuis plus d'un an à Saint-Ouen. « Je travaille de 8 heures à 16 h 30, du lundi au vendredi. En ce moment, on construit des immeubles en bois et en béton, je n'avais jamais eu cette opportunité », s'enthousiasme celui qui, en mars, se verra décerner une médaille, en récompense de ses trente-cinq années de bons et loyaux services.
Pour autant, l'ouvrier, qui fêtera ses 60 ans en 2024, ne se voit pas continuer quatre ans de plus. « Je me sens fatigué, le corps ne suit plus. Le matin, quand je dois me lever à cinq heures, ça pique. Je pouvais grimper six étages sans ascenseur, aujourd'hui, j'ai du mal à en monter trois sans m'arrêter. Et pourtant, je suis sportif, je vais courir en forêt tous les week-ends. » Sur les chantiers, les ouvriers vieillissent mal, exposés à des facteurs de pénibilité tels que les intempéries, le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations, le travail en hauteur…
« J'ai commencé dans le bâtiment à 23 ans, comme manœuvre. Au début, j'ai hérité des postes les plus pénibles, comme le coffrage. Ces années laissent des traces. Ensuite, j'ai suivi des formations pour évoluer. Aujourd'hui, je suis chargé du tracé des fondations, des murs. Le poste est moins physique, mais je réalise encore pas mal de mouvements répétitifs, je peux me faire mal aux genoux, au dos… »
Les délais raccourcissent, les risques augmentent
À tracer son chemin d'Algeco en Algeco, Sissoko Kama a observé la multiplication de la sous-traitance, les délais qui raccourcissent et augmentent les risques d'accidents. « Avant, un gros chantier pouvait durer deux ou trois ans. Aujourd'hui, c'est rare. » Il ne comprend pas que la pénibilité liée aux métiers du BTP soit si mal reconnue. En l'occurrence, il n'y a rien à attendre de la contre-réforme du gouvernement sur la retraite. La manutention de charges lourdes, les postures pénibles et les vibrations mécaniques, facteurs supprimés du compte de pénibilité sous le premier quinquennat Macron en 2017, ne donneront pas le droit de partir plus tôt.
« Si la “réforme” passait, je ne pourrai partir à taux plein qu'à 64 ans », calcule Sissoko Kama. Aujourd'hui, pour ranger définitivement leur casque à 60 ans, en raison de la pénibilité dans le BTP, les ouvriers doivent justifier d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 10 %. Selon la CGT, 70 % des ouvriers du secteur sont licenciés, déclarés inaptes ou en invalidité avant d'atteindre l'âge de la retraite.
Cette série de portraits est à retrouver dans son intégralité dans le numéro #05 « Réinventer les luttes » de la revue la Vie Ouvrière.
Couverture de la revue numéro 5 de la Vie Ouvrière Réinventer les luttes.