Dimanche 10 novembre, en dépit des tentatives de délégitimation de la manifestation, plus de 13 000 personnes ont répondu présentes à l'appel d'une cinquantaine de personnalités — parmi lesquelles Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT — à se retrouver le 10 novembre pour dire stop à l'islamophobie.
La Commission nationale consultative des Droits de l'Homme définit l'islamophobie comme une « attitude d'hostilité systématique envers les musulmans, les personnes perçues comme telles et/ou envers l'islam ».
Une manifestation historique. Pour la première fois en France, plusieurs milliers de manifestants ont marché ensemble dans les rues parisiennes dimanche 10 novembre pour protester contre l'islamophobie et affirmer leur solidarité avec les citoyennes et citoyens musulmans dans un contexte de banalisation de la haine à leur encontre, tant dans certains médias mainstream que de la part de certains responsables politiques.
Une parole raciste que certains prennent comme une légitimation a priori de leur violence. Comme l'auteur — un ancien candidat FN aux élections départementales de 2015 — de l'attentat contre la mosquée de Bayonne le 28 octobre dernier. Les manifestants ont donc tenu à dire stop, répondant ainsi à l'appel d'une cinquantaine de personnalités, politiques, syndicales, comme Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, intellectuelles…
Ce que disent les chiffres
Les tentatives de délégitimation de la manifestation n'ont pourtant pas manqué. Mais pour les manifestants, trop c'est trop. Des femmes agressées parce qu'elles ont choisi de porter un foulard, des insultes, des paroles de haine et de rejet, des violences et des attaques, des dégradations ou actes hostiles ciblant un site de prière, voire des tentatives d'incendies… : ce n'est tout simplement plus possible.
Un « état des lieux des discriminations et des agressions envers les musulmans de France » que vient de publier la Fondation Jean Jaurès sur la base d'une enquête coréalisée avec la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), montre en outre que les discriminations touchent les citoyens de confession musulmane dans de nombreux domaines : recherche d'un emploi ou d'un logement, accès aux services publics…
Selon l'enquête, « 42 % des musulmans vivant en France ont fait l'objet d'au moins une forme de discriminations liées à leur religion au cours de leur vie. Et pour beaucoup, il ne s'agit pas d'une lointaine expérience, mais d'un problème auquel ils ont été récemment confrontés : 32 % d'entre eux en ont vécu au moins une au cours des cinq dernières années. La forme de discrimination la plus répandue est celle vécue lors de contrôle des forces de l'ordre ».
En outre, « un quart des musulmans ont été insultés en raison de leur religion (24 %) au cours des cinq dernières années, soit une proportion deux fois supérieure à celle observée chez les non-musulmans résidant en France ». Quant aux femmes, elles « se sentent beaucoup plus discriminées et indiquent être beaucoup plus victimes de racisme que les hommes en raison de leur religion ».
Dans son « Rapport 2018 sur la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie », la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme (CNCDH) constate pour sa part que « la perception des musulmans est désormais largement positive » dans la société française, mais que « l'islam reste mal perçu par une partie des Français ».
Le rapport précise : « Si les Roms sont la minorité qui concentre le plus de perceptions négatives en France, la perception de l'Islam et des musulmans, bien qu'en amélioration constante depuis plusieurs années, reste une source de tensions très vives dans une partie de la société. »
Et les discours nourrissant les peurs et les haines ne sont pas sans effet puisque « plus de quatre personnes interrogées sur dix (44 %, stable) pensent ainsi que “l'islam est une menace pour l'identité de la France” », très majoritairement, on s'en doutera, à l'extrême droite et également (bien que dans une moindre mesure) à droite.
« Quand les salaires du Cac 40 progressent, les profiteurs montrent l'immigré ou le musulman »
Dans la manifestation, certains petits panneaux fabriqués à la main soulignaient que « Quand les salaires du Cac 40 progressent, les profiteurs montrent l'immigré ou le musulman ». De fait, selon les derniers chiffres du cabinet « de conseil de vote aux investisseurs » Proxinvest concernant l'année 2018, les patrons des grandes entreprises françaises du CAC 40 ont bénéficié d'une augmentation moyenne de 12 % de leur rémunération, soit une rémunération annuelle moyenne de 5,77 millions d'euros, l'équivalent de 410 années de salaires au smic…
Dans ce climat délétère où la parole de haine raciste contre les musulmans se croit autorisée, la CGT a tenu à le rappeler : « Le monde du travail et les travailleurs/travailleuses n'ont rien à gagner dans les divisions, les oppositions ou le rejet de l'autre, que ce soit des travailleurs ou des citoyens entre eux, en fonction de son origine, de ses croyances, de son genre, de sa sexualité, etc. Ce fractionnement est au contraire recherché par les défenseurs du capital qui trouvent, par ce biais, un moyen de détourner les travailleurs et travailleuses des enjeux revendicatifs en attisant les haines ou les racismes. »
« Laïcité, nous t'aimons, protège-nous »
Quelque 13 500 personnes (selon Occurrence, organisme indépendant de comptage) se sont donc retrouvées ce dimanche 10, de tous âges, croyants et non croyants, avec ou sans foulard, et dans leur diversité, réaffirmant les valeurs de la République, « liberté, égalité, fraternité, pour qu'elles ne restent pas un vain mot au fronton des mairies. Parmi les mots d'ordre, certains scandent « Laïcité, nous t'aimons, protège-nous ». Car la laïcité, qui protège l'État de toute tutelle religieuse, garantit aussi la liberté de culte.
En défendant ces principes, les manifestants, par leur diversité, leur nombre, leur détermination, ont en tout cas écrit une nouvelle page de la lutte contre l'islamophobie, et dès lors de la lutte contre tous les racismes. Face auxquels il s'agit de rester vigilants, et mobilisés.