À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
RÉGULARISATION

Un collectif pour les travailleurs sans-papiers

10 avril 2015 | Mise à jour le 13 mars 2017
Par | Photo(s) : Sophie Babaz
Un collectif pour les travailleurs sans-papiers

Tous les lundis, le collectif migrants de la CGT tient une permanence à Montreuil pour les travailleurs sans-papiers qui veulent être régularisés. Une initiative unique dans le paysage syndical.

Lundi, 14h30. Dans la «salle mezzanine» de la confédération générale du travail, la permanence migrants vient de s'ouvrir. Kamel et Guo Lian, deux militants de la CGT, y assurent les entretiens individuels jusqu'à 19h. Une quarantaine de travailleurs africains, maghrébins, tamouls et chinois attendent leur tour. Ils travaillent dans le bâtiment, la restauration, le nettoyage ou la confection et sont sans-papiers. Les pochettes cartonnées qu'ils ont apportées contiennent des documents précieusement accumulés depuis des années : fiches de paie, factures d'électricité, de transports, avis d'imposition… Des preuves de leur travail et de leur vie en France qui peuvent leur permettre d'obtenir une carte de séjour, sésame de leur liberté et leur dignité.

Arrivé en France en 2008, K.B, Sénégalais d'une trentaine d'années, nettoie les cours d'immeubles parisiens, des bureaux et des écoles tôt le matin et tard le soir. Il gagne entre 800 et 900 euros pour 115 heures de travail par mois en moyenne. Avec 38 bulletins de salaires et «un temps de présence en France» de plus de six ans, K.B. remplit les critères d'admission au séjour dans l'hexagone. Ceux contenus dans la circulaire du 28 novembre 2012, «la circulaire Valls» comme on dit à la CGT.

Le documentaire Marche ou rêve de Cyrielle Blaire sur la grève des sans-papiers

Aux dires de cette circulaire, pour une régularisation, le travailleur doit justifier de plusieurs conditions :

«Une ancienneté de travail de huit mois, consécutifs ou non, sur les 24 derniers mois ou de 30 mois, consécutifs ou non, sur les cinq dernières années.»

«Une ancienneté de séjour significative, qui ne pourra qu'exceptionnellement être inférieure à cinq années de présence effective en France».

«Un contrat de travail ou une promesse d'embauche» [à défaut, le bulletin de salaire vaut pour un contrat de travail, NDRL]
Arrachée de haute lutte par la CGT grâce aux grandes grèves de travailleurs sans-papiers de 2008 et 2009, cette circulaire pose pour la première fois les conditions de régularisation des travailleurs étrangers en situation irrégulière. Avec plus de la moitié du texte qui leur est consacré, c'est une vraie reconnaissance de leur travail et leur participation à la création de richesse sur notre territoire.

«La grande nouveauté de la circulaire, c'est que c'est le travail qui est reconnu. C'est parce qu'il est travailleur qu'il est régularisé. On ne fait pas d'humanitaire, mais on reste humain», tient à rappeler Francine Blanche, fondatrice du collectif migrants à la CGT.

C'est sur ce document et sur ces critères que se base la CGT pour les aider à constituer un dossier de régularisation auprès de la préfecture. «En fait, on met en application ce qu'on a gagné.»

«TON PATRON, IL SAIT QUE TU N'AS PAS DE PAPIERS ?»

Retour à la permanence. «Ton patron, il sait que tu n'as pas de papiers?» demande Kamel «Oui, mais il fait semblant de ne pas le savoir, répond Bacar. Et je bosse sous alias.» Comme de nombreux travailleurs sans-papiers, K.B. a pris un nom d'emprunt pour se faire embaucher, celui d'un travailleur qui possède un titre de séjour. «Il faut donc faire un certificat de concordance qui prouve que c'est bien toi qui bosses pour eux et pas ton prête-nom. Mais il nous faut des preuves. Il faut que tu te photographies sur ton lieu de travail avec ta tenue, ton badge, tes collègues…».

Kamel poursuit: «ton patron, il va te virer si tu lui demandes ce certificat ? – Oui, j'ai pas confiance. Mais s'il y a la CGT, ça change tout. – Bon, on va s'en occuper nous-même alors», conclut Kamel. Ce dernier veillera également à ce que l'employeur de K.B. signe le fameux Cerfa de demande d'autorisation de travail pour un salarié étranger. Un papier difficile à obtenir quand le patron n'est pas aidant.

Kamel ne ménage pas ses heures. Toutes les semaines, quand il ne travaille pas dans la restauration, il vient donner un coup de main bénévole à Francine Blanche, sa «dame de fer»,. Il est devenu, en quelque sorte, le greffier du collectif migrants.

Dans son petit bureau de la CGT, il montre fièrement deux armoires pleines de dossiers, le fruit de cinq années de travail. Si Kamel prend tant à cœur sa mission, c'est, sans doute, parce que lui aussi est un ancien travailleur sans-papiers. Les salaires de misère au bon vouloir du patron, les conditions de travail dégradantes, l'isolement de sa famille restée en Algérie, l'absence de protection sociale, il a connu ça pendant sept ans. «T'as rien. T'es protégé par personne. Tu es vulnérable. Tu ne connais pas tes droits. Le seul truc que tu as, c'est ton emploi. Alors tu t'accroches.» En 2007, il a été régularisé avec l'aide de la CGT. Maintenant, il veut aider les autres qui galèrent. «Ils ont besoin de bosser. Ils n'ont pas traversé la mer pour rien ! Les travailleurs sans-papiers cotisent, payent leurs impôts, le loyer, le gaz. Ils enrichissent l'économie. On fait sortir les policiers pour remplir les centres de rétention de sans-papiers alors que ce sont eux qui balaient les rues de Paris, servent les plats et nettoient les bureaux. La honte.»

ENTRE 40 ET 50 NOUVEAUX ADHÉRENTS CHAQUE SEMAINE

Dans la «salle mezzanine» de la CGT, à la permanence migrants, l'entretien avec K.B. se termine. Ce dernier viendra rechercher sa carte de syndiqué CGT dans une semaine. Dans quelques mois, il peut espérer obtenir une carte de séjour d'un an, renouvelable quatre fois avant la carte de dix ans. Aujourd'hui, il repart avec un document administratif signé de la CGT où il est stipulé que «Mr K.B. fait partie des salariés dont nous avons constitué un dossier de régularisation par le travail et dont nous défendons les droits. […] Nous vous demandons […] de le laisser circuler librement». Si la police l'interpelle, ce document le protège du centre de rétention administratif, ces lieux de détention où sont envoyés les sans-papiers avant une probable expulsion du territoire. La plupart du temps respecté par les fonctionnaires de police, ce document a été gagné par la CGT lors des grandes grèves. Au même titre que le certificat de concordance.

Deux outils sur mesure pour ces salariés migrants. Le dossier complet de K.B. partira, quant à lui, dans l'union locale où départementale où il travaille pour le suivi en préfecture. En région parisienne et en province, plus d'une quinzaine d'organisations de la CGT tiennent aujourd'hui leurs propres permanences migrants, décentralisées. Autrefois désarmés faute de connaître les spécificités de ces travailleurs, les militants s'y investissent progressivement. Entre les organisations de terrain et le collectif migrants de Montreuil, la machine commence à bien tourner. La CGT a même créé une nouvelle formation à l'accueil des migrants.

Depuis la mise en place en septembre de ces permanences, les travailleurs y viennent toujours plus nombreux. Le collectif migrants enregistre entre 30 et 40 nouveaux adhérents CGT chaque semaine à Montreuil. Un vrai succès. Ils cotisent au syndicat, sont avertis par SMS des mobilisations et peuvent même participer comme Kamel et Guo Lian. « Ils nous disent qu'ils viennent parce qu'ici, on ne paie pas un avocat des milliers d'euros, que ça marche et qu'on est protégé », se réjouit Francine Blanche. Heureuse de ces témoignages, elle réfléchit déjà à d'autres améliorations : une carte de séjour pluri-annuelle de quatre ans pour désengorger les préfectures et protéger un peu plus les travailleurs, un droit rétroactif au bulletin de paie pour reconnaître le travail non-déclaré… «On fait appliquer la directive mais on se bat pour en arracher d'autres.»

 

Le documentaire Marche ou rêve de Cyrielle Blaire sur la grève des sans-papiers. Diffusion du film sur Télé Bocal*
le 15 avril à partir de 23H*

Télé Bocal est une chaîne associative de quartier, engagée aux côtés d’associations militantes telles que Droits devant (dont nous montrons les combats dans le film).
Pour la regarder se brancher sur le :
– canal 31 de la TNT ;
– canal 94 sur Numéricable ;
– canal 337 de la box SFR ;
– canal 345 de Free.

 

 

 

Le livre de la grève des sans-papiers :
On bosse ici on reste ici
Edition la Découverte

 

 

 

 

 

Le blog de Thiphaine Lanvin et Bernard Rondeau,
militants CGT et photographes professionnels