Dernier pari d'Emmanuel Macron pour désamorcer la crise sociale qui se joue depuis plusieurs semaines avec le mouvement des gilets jaunes, le « grand débat national » a été officiellement lancé mardi 15 janvier 2019. Il doit durer deux mois mais ne part pas d'un très bon pied.
Si Chantal Jouanno, la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP), a renoncé à organiser le « grand débat » suite à la polémique sur ses émoluments (14 666 euros brut mensuels), elle n'a pas renoncé à critiquer les méthodes de l'exécutif. Dans un rapport publié hier, lundi 14 janvier, la commission met en effet en garde celui-ci contre son manque d'impartialité.
« Nous déconseillons fortement de préciser publiquement avant le débat les “lignes rouges”, c'est-à-dire les propositions que le gouvernement refusera quoi qu'il advienne de prendre en compte », prévient pour la énième fois le CNDP. Amateurisme ? Jupitérisme ? Depuis que l'idée lui en est venue début décembre, non seulement l'exécutif a décidé qu'il piloterait lui-même son « grand débat national », reléguant le CNDP à l'organisation technique, mais il a d'ores et déjà annoncé qu'il ne reviendrait pas sur les réformes engagées depuis le début du quinquennat. Rien d'étonnant donc à ce que les Français – invités à donner leur avis « sur l'élaboration des politiques publiques qui les concernent » – se montrent sceptiques quant à la sincérité d'Emmanuel Macron.
Emmanuel Macron refuse d'entendre les revendications
Reste que le mouvement des gilets jaunes continue de battre son plein, l'annonce du débat national n'ayant pas plus apaisé les esprits que le renoncement aux augmentations de taxes sur les carburants ou encore les prétendus 10 milliards d'euros de mesures pour augmenter le pouvoir d'achat. Emmanuel Macron pourrait bien jouer son va-tout avec cette vaste consultation nationale.
Mais de la plus maladroite des façons. Il semble en effet penser qu'à son issue il pourrait avoir une chance de reprendre le fil de son quinquennat comme si de rien n'était et refuse d'entendre les revendications.
Pourtant, elles reviennent en boucle depuis des semaines : justice sociale, justice fiscale, aménagement des transports et des mobilités, vie démocratique, services publics, etc. Exactement les thèmes abordés par les milliers de contributions recueillies entre le 8 décembre et le 11 janvier par plus de 4 000 maires de communes de moins de 3 500 habitants. La synthèse de ces cahiers de doléances lui a été remise en mains propres, hier lundi 14 janvier.
La CGT propose de « détourner » le « grand débat national »
Après avoir imposé ses réformes à marche forcée l'exécutif tente bien de se rabibocher avec les élus locaux, mais pas vraiment avec les syndicats. Ils sont simplement invités à organiser eux aussi des débats, au même titre que n'importe quel citoyen ou association.
Tout juste l'exécutif propose-t-il au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et à ses correspondants en régions (CESER) de participer « aux échanges, notamment pour formuler des propositions sur les thèmes proposés aux Français ».
La CGT en tire les conclusions : elle organise son propre débat national avec des « cahiers revendicatifs [qui] seront proposés dans les entreprises et des cahiers d'expression des revendications populaires » dans ses unions locales et unions départementales, « y compris avec des permanences mobiles devant les services publics ».
Les thématiques porteront sur les « enjeux liés aux salaires, pensions et revenus de remplacement, ainsi que celles liées à la vie au travail. »
Le tout « s'inscrit dans la préparation de la journée d'action interprofessionnelle qui aura lieu début février ». Et rien n'empêche les cégétistes d'aller, en plus, donner leur avis à l'un ou l'autre des débats organisés près de chez eux.
Amateurisme, jupitérisme et improvisation
La Commission nationale du débat public a fait remarquer que quatre mois lui sont d'ordinaire nécessaires pour organiser n'importe quel débat public de moindre envergure. Une façon de mettre en garde contre le danger d'improvisation qui entoure celui-ci. Et laisse craindre le pire.
Le débat s'organisera autour de « quatre questions majeures » indique l'exécutif :
- « Comment mieux accompagner les Français dans leur vie quotidienne pour se loger, se déplacer, se chauffer ? » (autrement dit, comment mener la transition écologique ?) ;
- « Comment rendre notre fiscalité plus juste, plus efficace, plus compétitive et plus lisible ? » ;
- « Comment faire évoluer la pratique de la démocratie et de la citoyenneté ? » ;
- « Comment faire évoluer l'organisation de l'État et des services publics pour les rendre plus proches des Français et plus efficaces ? ».
Les modalités du débat
L'exécutif a bien trouvé deux pilotes pour animer le « grand débat » – la secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique, Emmanuelle Wargon, et le ministre des Collectivités territoriales, Sébastien Lecornu – mais cherche encore à ce jour cinq garants pour en « garantir l'indépendance ». Ils devraient être nommés vendredi 18 janvier.
Après avoir largement ignoré les maires de France jusqu'en novembre – après le premier Acte des gilets jaunes, quand Emmanuel Macron les a invités à l'Élysée, en marge de leur congrès, pour tenter de renouer les liens – l'exécutif compte désormais sur eux pour favoriser les échanges au sein du « grand débat » (mise à disposition de salles municipales, etc.) et faire remonter les doléances.
Le numérique étant la clé de tous les problèmes pour l'exécutif, y compris de l'improvisation, les lieux et horaires des débats locaux seront répertoriés sur le site grandebat.fr. De plus chacun pouvant décider d'organiser un débat, des « kits méthodologiques » sont mis à la disposition des volontaires.
Enfin, à compter du 1er mars, des « conférences citoyennes » associant dans chaque région des Français tirés au sort et des représentants des « diverses parties prenantes » tireront un premier bilan des propositions issues des débats.
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