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ENTRETIEN

Un plan local, national, européen

5 mai 2014 | Mise à jour le 3 mai 2017
Par
Un plan local, national, européen

La journée d'action européenne du 4 avril a été l'occasion de porter les propositions de la CES sur le plan d'investissement pour l'Europe. Retour sur une mobilisation inédite.

Marie-France Boutroue
est conseillère confédérale
et responsable du pôle Europe
à l'espace International de la CGT.

 

nvo Quelle appréciation la CGT a-t-elle porté sur la journée du 4 avril ?

Marie-France Boutroue  Une bonne appréciation et un bilan positif ! Nous n'avons commencé à travailler sur cette mobilisation du 4 avril qu'à partir du lendemain de l'action du 18 mars, ce qui ne nous laissait que très peu de temps pour nous organiser et générait quelques craintes. Mais en définitive, quelque 7 000 militants de la CGT se sont déplacés à Bruxelles et, donc, notre objectif en termes de mobilisation était atteint. C'était une belle manifestation avec la présence des régions, mais aussi d'un certain nombre de professions auxquelles nous avions demandé de se rapprocher des régions pour grossir les rangs du défilé. Ce système a très bien fonctionné.

 

À nous de relier ce qui se fait
au niveau européen avec les enjeux nationaux

 

Au niveau national, dans le cadre des territoires, la lecture du bilan et de l'analyse permet de constater que plusieurs régions CGT ont travaillé à la fois sur les départements, les régions et les régions transfrontalières, organisant des manifestations et, c'est la première fois que nous demandions cela, initiant des interventions en direction des décideurs et des responsables politiques des conseils régionaux. Ce fut notamment le cas en Bourgogne, en Franche-Comté ou en Aquitaine où, au sein des cortèges, des délégations ont demandé à rencontrer la présidence du conseil régional pour échanger et transmettre leurs attentes concernant le plan d'investissement porté par la Confédération européenne des syndicats (CES) et ses organisations affiliées. C'est une première qui a particulièrement bien fonctionné.

 

Le plan d'investissement proposé par la CES a-t-il donc permis un regain de prise en compte des enjeux européens ?

Le fait qu'on évoque le plan d'investissement de la CES a ouvert des portes sur les questions européennes parmi les militants. Nous ne sommes plus sur le seul mode « l'Europe n'est pas celle que nous voulons, il faut une autre Europe », le fait de porter et mettre en ligne de mire le plan d'investissement a sensibilisé et élargi la prise en compte.

Du coup, ils échangent autour du plan d'investissement, des moyens financiers qu'il conviendrait de mettre en œuvre et des champs qu'il faudrait investir. En Franche-Comté par exemple, la région CGT a réuni des CEE pour discuter de la nature des investissements indispensables dans leurs entreprises. Il y a une insistance à considérer comment on va prendre ce plan, comment on va définir les investissements nécessaires, comment on va ensuite décliner ces nécessités au niveau de l'entreprise et l'aider à réclamer les moyens financiers pour lesdits investissements. La Bretagne a travaillé sur la question de la déconstruction des navires en fin de vie. On relève des entrées et des appropriations très concrètes du plan d'investissement un peu partout en France, par les régions CGT. C'est d'ailleurs ce qui permet aux militants dans les entreprises de mieux apprécier ce plan d'investissement, de s'y identifier aussi par rapport à leurs propres besoins et aux besoins locaux. Car, comme nous l'avions déjà dit précédemment, cela ne peut pas être un plan d'investissement de seul niveau européen, ni une initiative exclusivement nationale, même s'il y a, bien sûr, de grands objectifs à ces niveaux-là, ce doit plutôt relever des besoins des militants dans les entreprises. C'est eux qui sont au travail dans les territoires et sans ses syndicats, la CGT n'existe pas. Il faut bien le mesurer.

 

 

Un lien s'est donc fait entre les niveaux local, national et européen… A-t-il fait bouger les lignes ?

Les différents niveaux, locaux, régionaux, nationaux, européens, ont fait sens en lien les uns avec les autres. Dans le même temps, du fait des interventions des régions et du secteur régions et territoires de la CGT, des lettres ont été envoyées par ce biais-là et notamment aux CESR. Des questions y sont posées pour demander en quoi on peut mettre en place ce plan d'investissement dans la région. Cela peut passer par le biais d'études, d'analyses, on essaie de mener ça de manière intersyndicale, ce qui était le cas au départ à la CES. Au niveau national, on s'est ensuite retrouvé avec la CFDT, la FSU, l'UNSA et la CGT. Aussi, on essaie de le décliner localement sur une base intersyndicale. Chacun ayant sa propre organisation interne et donc ses propres modes de fonctionnement, il faut avoir des actions communes en fonction de la réalité. Il faut aussi être à l'écoute de ça.
Il fallait le faire et c'était une bonne manifestation, sauf qu'en tant que telle, la manifestation ne change pas le cours des choses. On le vérifie en France avec le Pacte de responsabilité ou le remaniement gouvernemental. Les diverses mobilisations ne changent pas les prises de position du gouvernement par rapport à ce qu'on souhaite. Donc, la prochaine étape est à la fois l'action syndicale – dont un certain nombre de rencontres, d'initiatives pour porter le plan d'investissement et faire en sorte que nos syndicats se l'approprient – ainsi que les élections européennes. À ce propos, nous insistons sur le fait que nos militants aillent voter. L'enjeu est très clair à ce niveau-là : en termes de codécision, le Parlement européen et les ministres travaillent ensemble et codécident du contenu des directives entre autres décisions. Au niveau de la CGT, on travaille à faire comprendre les mécanismes de décisions européens. Rien ne tombe du ciel et même si Manuel Valls dit, dans son discours, « ce n'est pas nous, c'est l'Europe », il n'empêche qu'au niveau européen, il y a à la fois les chefs d'États et de gouvernements qui prennent les grandes orientations de politique économique, qui sont ensuite portées par la Commission européenne, certes de droite, mais l'objectif est aussi de faire changer son idéologie.

Au-delà, il y a le Parlement et les députés que nous allons élire. Plus nous agirons en direction de ces députés pour leur dire ce que nous souhaitons et ce que nous voulons, plus il y a de chances de faire bouger l'ensemble. La suite de ce que nous avons à faire est ainsi une intervention auprès des députés en place et futurs, une intervention civique en quelque sorte, que nos militants doivent s'approprier parce que les députés européens ont un rôle décisionnel. Si l'on arrive à les convaincre, peut-être que cela changera le cours des choses. Je rappelle qu'ils décident aussi de la teneur de la Com­mission, du nom des commissaires et de la présidence. Autant avoir des élus qui soient le plus proches possibles de nos attentes.

 

 

Comment la CES envisage-t-elle les suites ?

La CES est très contente de cette mobilisation et d'ailleurs, de nombreuses luttes se font jour en Europe. Soit on se défend, on bouge, on fait des propositions, soit le mouvement syndical ne pèse pas dans le débat. C'est la réalité, on ne peut pas faire autrement compte tenu des responsabilités que nous avons concernant la situation des salariés dans les entreprises. On ne peut plus être repliés sur des champs revendicatifs nationaux. Depuis notre lever au matin jusqu'au coucher, nous sommes soumis aux règlements européens et à leurs normes. On ne peut donc prétendre être en dehors des questions européennes. C'est ce qu'il faut faire comprendre à tous les salariés et à tous les syndiqués.
L'autre étape, c'est bien de partir de sa base nationale pour investir le champ européen tout en considérant ce qui se fait en Europe pour retourner vers sa base nationale. Il convient aussi de faire connaître les avancées que l'on a obtenues, la directive Reach, la directive sur les questions d'égalité entre les femmes et les hommes, sur les questions de santé et sécurité au travail… Il y a eu des avancées indéniables que l'on ne peut ignorer. À nous de relier ce qui se fait au niveau européen avec les enjeux nationaux. Le plan d'investissement a en résonance toute la campagne de la CGT sur le coût du capital et en particulier ce que l'on défend sur la revalorisation des salaires et la négociation collective. Dans le traité sur la stabilité (TSCG) figure le paramètre de la modération salariale. Si nous n'agissons pas sur ces questions, on passe à côté d'un champ d'intervention important. Pour ce faire, chacun dans sa partie, syndicats, membres de la société civile, politiques, on a besoin que tout le monde participe dans le respect des uns et des autres.