Pour des raisons électoralistes à dix mois de la présidentielle, Emmanuel Macron tente une nouvelle réforme des retraites. Estampillée « de droite », contestée par tous les syndicats, elle repose sur le recul de l'âge de départ à la retraite et pourrait être explosive, car inutile et injuste.
Et c'est reparti ! Un nouveau projet de réforme des retraites se profile à l'agenda du gouvernement, estampillé de droite. Exit, les textes de loi instaurant un système de retraite universel par points votés début mars 2020 et remisés en raison de la crise sanitaire. Cette réforme systémique ne pourra pas « être reprise en l'état » d'ici la fin du quinquennat, car elle est « trop ambitieuse, extrêmement complexe, (…) porteuse d'inquiétude » avait expliqué Emmanuel Macron lors de sa visite dans le Lot, début juin.
Mais il avait aussi annoncé des « décisions difficiles » en même temps que des gestes en faveur des « petites retraites ». Nous y sommes. Les incertitudes quant aux conditions de sortie de la crise sanitaire ne sont pourtant pas plus favorables à une nouvelle réforme des retraites qu'à celle de l'assurance chômage, recalée pour l'heure par le Conseil d'État après avoir fait l'unanimité des organisations syndicales contre elle.
Qu'à cela ne tienne. Si un tel projet peut encore voir le jour d'ici à la fin du quinquennat, il ne sera vraisemblablement mis en œuvre qu'après le scrutin présidentiel d'avril prochain, ce qui en fait donc d'abord un argument électoral. Car en s'attaquant aux retraites le déjà candidat Macron espère couper l'herbe sous le pied des Républicains, relativement requinqués par leurs résultats aux élections régionales.
Séduire à droite avec une réforme paramétrique
Si le chef de l'État doit s'exprimer avant le 14 juillet sur les dix mois restants de sa présidence, son ministre de l'Économie et des Finances, Bruno Le Maire, pose les premiers jalons concernant ce très explosif projet de réforme des retraites.
Ce mardi 29 juin, sur la chaîne CNews, il s'est ainsi dit favorable à ce que le gouvernement repousse l'âge de départ à la retraite. Le quotidien Les Échos avance un recul de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans, certains observateurs affirmant que ce serait à partir de la génération née en 1961.
Autrement dit, alors que le pays n'est même pas encore sorti de la crise sanitaire inédite due à la pandémie de Covid, que les conséquences de la mise sous cloche de l'économie pendant plus d'un an sont encore palpables, l'exécutif n'a d'autre priorité que de séduire l'électeur de droite, toujours très sensible aux signaux de « sérieux budgétaire ».
D'ores et déjà, Bruno Le Maire affiche sa volonté de faire faire des économies à l'État (sur le dos des Français) pour enclencher rapidement une trajectoire de redressement des finances publiques. Grand classique, l'opération commence par les retraites, identifiées comme l'un des postes les plus dispendieux. Sur le sujet, d'autres chevaux de bataille traditionnels pourraient ressurgir : la suppression des régimes spéciaux ou encore la nécessité de remettre les Français au travail, au motif que leurs voisins européens travailleraient plus longtemps qu'eux ou que l'espérance de vie augmente.
Des arguments frappés au coin du bon sens claironnent leurs tenants, qui passent sous silence l'injustice d'un tel projet pour les personnes qui ont commencé à travailler très jeunes ou occupent des emplois pénibles. « C'est l'intérêt des Français et l'intérêt de la France que tout le monde, globalement, que notre pays, travaille davantage », a ainsi poursuivi Bruno Le Maire sur CNews, comme si l'emploi courait les rues et qu'il ignorait que plus de 6 millions de personnes sont inscrites à Pôle Emploi.
S'il a concédé qu'« il n'y a que le président de la République qui peut évaluer » le calendrier d'une telle réforme, « moi, mon expérience, c'est qu'on n'a jamais intérêt en politique à remettre à demain ce qu'on peut faire aujourd'hui. », a-t-il tout de même ajouté.
Les syndicats sont vent debout contre le recul de l'âge de départ à la retraite et pour 75 % des Français la relance économique est la priorité avant la présidentielle de 2022
Chasser sur les terres de la droite est une chose. Envisager d'engager une réforme des retraites, sans débat politique, quelques mois avant l'élection présidentielle en est une autre. L'idée est rejetée par 55 % des Français (sondage OpinionWay pour Les Échos et Radio Classique) et provoque la levée de boucliers des organisations syndicales.
« J'en ai marre qu'on fasse de ce sujet, comme de celui de l'Assurance chômage, un objet électoraliste déconnecté du réel » a résumé, excédé, Yves Veyrier, le secrétaire général de FO. Sur RMC, lundi 7 juin, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT a quant lui estimé que « ce serait une erreur de la part du président de la République de remettre ça sur la table (…) Il y a d'autres problématiques plus urgentes, les questions d'emploi, les questions de salaires, la question de la jeunesse. Ça, il faudrait s'en occuper rapidement ». Laurent Berger (CFDT) ou François Hommeril (CFE-CGC) ne disent pas autre chose.
Tous sont excédés au plus haut point par le scénario d'une réforme paramétrique au moment où ils veulent inscrire la question de l'emploi à l'ordre du jour de la prochaine conférence sociale (manque de visibilité et risque de défaillances pour de nombreuses entreprises, explosion de la précarité, etc.) 75 % des personnes sondées par OpinionWay jugent d'ailleurs que la relance économique est prioritaire d'ici à l'élection présidentielle d'avril 2022, contre 32 % (surtout LREM et LR) qui se positionnent en faveur d'une réforme des retraites.
« Les retraites sont un sujet d'inquiétude, note l'institut de sondage, mais elles ne sont pas prioritaires. » Reste que la retraite à points avait jeté des centaines de milliers de manifestants dans les rues jusqu'en 2020. Même groggy suite à la crise sanitaire, les Français ne sont certainement pas prêts à se laisser imposer le report de l'âge de départ à la retraite avec lequel Emmanuel Macron entend clôturer son quinquennat.
Une multitude de scénarios sont sur la table gouvernementale pour réformer les retraites, mais tous relèvent l'âge de départ à la retraite
Depuis plusieurs mois, Laurent Pietraszewski, le monsieur retraite du gouvernement, planche sur divers scénarios : accélération de la réforme Touraine qui porte doucement la durée de cotisation à 43 annuités en 2032 et rapporterait un demi-milliard par an d'ici à 2025 ; suppression des régimes spéciaux dont l'avantage serait plus politique que financier puisque seuls les nouveaux entrants seraient concernés comme à la SNCF ; relèvement de l'âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans à des rythmes plus ou moins rapides, sachant que plus il est effréné (par paliers de 6 mois par an par exemple, en commençant par les personnes nées en 1961 qui partiraient à 62 ans et 6 mois), plus il permet de faire des économies importantes.
Protection sociale, précieuse et fragile
La Cour des comptes et les économistes Olivier Blanchard et Jean Tirole ont également apporté leur écot à la réflexion. Dans leur rapport « Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise » remis le 15 juin, les magistrats financiers préconisent eux aussi, outre le renforcement de la croissance, de relever l'âge de la retraite, élément clé, selon eux, de la baisse des dépenses publiques. Rien de neuf.
Quant aux deux éminents économistes, auteurs d'un rapport sur les grands défis économiques, remis à Emmanuel macron le 23 juin, ils verraient bien une relance de la réforme par points couplée à un relèvement de l'âge moyen de départ à la retraite, « en renforçant les incitations à travailler au-delà de l'âge minimum de départ ». De plus, ils exhortent le gouvernement à « aller vite ». Sur ce point, ils pourraient être suivis. Voulant prendre de vitesse les opposants au projet, les partisans d'une réforme rapide et coûte que coûte, tels que Bruno Le Maire, pressent le Président de la République d'introduire un report de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans dans le prochain projet de loi de finances de la sécurité sociale (PLFSS).
Le COR n'est pas alarmiste : si le déficit des régimes de retraites est de 13 milliards d'euros en 2020, ce n'est que conjoncturel
Paradoxalement, les constats recueillis par l'exécutif sont tous plus alarmistes les uns que les autres, alors que les analyses du Conseil d'orientation des retraites ne le sont pas. Et pour cause, le déficit de 13 milliards affiché en 2020 par les régimes de retraites — qui devrait passer sous la barre des 10 milliards d'euros en 2020 — résulte de cotisations non perçues pendant la crise sanitaire : le chômage partiel n'entraîne pas de cotisations, des retards de paiement, liés aux reports, vont forcément être rattrapés et des emplois ont été perdus engendrant des pertes de cotisations. Concrètement : l'activité a chuté de 8 % en 2020 ce qui a mécaniquement provoqué une chute des recettes en cotisations alors que les dépenses (versement des pensions de retraites) sont restées stables.
Or, sauf à penser que la crise sanitaire est structurelle et non pas conjoncturelle, l'activité va repartir et venir peu à peu renflouer le déficit. Rien donc qui puisse valablement justifier autant de fébrilité autour des retraites et d'une réforme, in fine inutile.
Il ne faut pas ajouter une réforme compliquée à une situation économique difficile
Cela d'autant moins que le relèvement de l'âge de départ à la retraite n'a jamais été le paramètre pertinent pour réduire la dépense publique : les mesures d'âge font bien baisser le déficit des retraites, mais comme elles créent du chômage (les emplois ne se libèrent pas) elles font augmenter celui de l'assurance chômage. Mauvais calcul quand le financement des retraites nécessite une relance de l'activité capable de créer des emplois correctement rémunérés.
De tous les grands pays, la France a en effet le plus faible taux d'emploi des jeunes et des séniors dû à un déficit en matière de formation, notamment tout au long de la vie. Autant de problèmes bien français qui pourraient être réglés si les pouvoirs publics y portaient au moins autant d'attention qu'à la réduction de la dépense publique. Las ! Investir dans l'intérêt général étant de moins en moins leur fort, il est attendu de chacun qu'il se prenne en charge.
C'est en quelque sorte ce qui se produit avec le projet de réforme qui est dans les tuyaux puisqu'en fait si l'exécutif s'acharne à trouver de l'argent du côté des retraites (et donc des actifs), c'est surtout pour financer d'autres dispositifs comme ceux qui pourraient concerner le grand âge ou encore la revalorisation des petites pensions. Ou comment déshabiller Paul pour habiller Jacques. Un autre grand classique.