Une recherche déboussolée
Institut des Cordeliers, Paris. Pour le 50e anniversaire de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), le SNTRS-CGT et ses homologues du SGEN-CFDT et du SNCS-FSU réunissent des personnels de l'institut pour qu'ils témoignent de l'évolution des métiers et des missions de l'organisme.
Dominique, élue au CHSCT : « La MAP, (qui a succédé à la RGPP, instaurée pour
dégager des économies budgétaires NDLR), associée à la mise en place d'outils de contrôle et de management, de gestion du temps et de la productivité, génère au quotidien de la détresse, de la démotivation. »
Maude prend ensuite la parole : « J'ai fait de la recherche par vocation, par désir d'apprendre, chercher, trouver, transmettre. Je me pose toujours des questions, mais je n'ai plus les moyens, ni le temps d'y répondre. On me demande de lever des fonds, de manager des CDD, de gérer des délais de livraison…Et ça, je ne sais pas faire. Alors, je râle, je me disperse, je n'ai pas le temps de réfléchir. »
Claude, ingénieur de recherche, apporte un autre éclairage à son tour : « Il y a chez les ITA [ingénieurs, techniciens, administratifs, NDLR] un malaise de fond, un sentiment de culpabilité face à la situation de leurs collègues précaires, qu'ils savent partis pour des mois, peut-être des années de galère. »
Signalé depuis plusieurs années par les syndicats, le mal-être parmi les personnels de la recherche publique serait à l'origine de plusieurs suicides dans les EPST (Établissements publics à caractère scientifique et technologique). Entre autres, à l'INRA Toulouse. « V. avait été recrutée en CDD sur un poste de gestion financière, sans formation préalable. Elle venait du secteur associatif et n'avait aucune connaissance du monde de la recherche, de ses codes. Elle avait la charge d'écrire un rapport très important pour son labo. Les informations arrivaient de partout. Très vite, elle a été débordée, sans pouvoir en parler à personne », raconte un technicien.
Le sens du travail dévoyé
À l'INRA, au CNRS et ailleurs, le passage au financement par projets avec la création de l'Agence nationale de la recherche, en 2005, aura profondément bouleversé le fonctionnement des labos, dévoyé le sens au travail, dégradé les collectifs. Budgets en baisse, quête effrénée aux financements, évaluation permanente, injonction pour des transferts rapides vers l'industrie, explosion des CDD (70 000 dans toute la recherche publique), perte des savoir-faire, envahissement des tâches administratives… Et partout, la peur en cas d'échec devant l'Agence nationale de la recherche (ANR), de se retrouver sur la touche. « Seules 15 % des demandes de financement sont satisfaites. Le système favorise les équipes établies, les experts déjà reconnus, nettement moins les nouvelles idées, les nouvelles thématiques », dit un chef d'équipe d'un hôpital parisien.
Et les Ressources Humaines dans tout ça ? « Elles se couvrent en proposant des stages sur le thème de la souffrance au travail, explique une élue au comité national du CNRS, pour éviter de se retrouver accusées de harcèlement, même passif. »