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CONDITIONS DE TRAVAIL

Vendanges de la honte : un procès historique dans la Marne

20 juin 2025 | Mise à jour le 20 juin 2025
Par | Photo(s) : SIMON DUPUIS
Vendanges de la honte : un procès historique dans la Marne

Trois personnes ont été jugées ce jeudi 19 juin 2025 au tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne pour traite d'êtres humains. Face à elles, 53 victimes originaires d'Afrique de l'Ouest, exploitées et logées dans des conditions indignes lors des vendanges de 2023 en Champagne. Un procès inédit par son ampleur et le nombre de victimes qui réclament justice.

Face au tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne, ce jeudi 19 juin 2025, beaucoup ont l'impression que le rapport de force a basculé. Plus de 50 anciens vendangeurs, exploités lors des vendanges de 2023, et soumis à un hébergement indigne, arrivent par un bus affrété par la CGT depuis Paris. Ils sont accueillis par une cinquantaine de syndicalistes. Deux ans après les faits et des dizaines de réunions de préparation, le groupe est resté soudé pour obtenir justice. Aux côtés de la CGT, le Comité contre l'esclavage moderne (CCEM) et la Ligue des Droits de l'homme (LDH) se sont constitués partie civile, une défense « en bande organisée », ironise l'avocat de la CGT, Maître Maxime Cessieux. Sur le banc des accusés, la patronne de l'entreprise Anavim, qui a fait travailler et logé dans des conditions indignes 57 travailleurs étrangers, la plupart sans-papiers. À ses côtés, ses deux hommes de main, soupçonnés d'avoir organisé l'embauche, le transport et la surveillance de ces travailleurs dans les vignes. Tous sont accusés de traite d'êtres humains et risquent jusqu'à dix ans de prison.

Des conditions de vie et de travail inhumaines

Le 15 septembre 2023, une soixantaine de vendangeurs sont découverts dans une maison à l'abandon, dans la petite commune de Nesle-Le-Repons (Marne). À l'intérieur, les conditions sont inhumaines. Des dizaines de matelas sont posés sur le sol, au rez-de-chaussée et à l'étage. Des toilettes bouchées et des douches sales en guise de sanitaires. Aucun chauffage, pas d'électricité. C'est dans cette maison qu'ont été logés du 11 au 15 septembre 2023 une soixantaine de travailleurs. Ils partaient dans les vignes à 6 heures du matin et rentraient à 19 heures, voire 20 heures. Une récolte du raisin harassante, réalisée sous la pression constante de chefs d'équipe, qualifiés de « contremaitres » au procès.

 On était fatigués et malades, on vivait dans des conditions insalubres dans la maison. Pas de lumière, pas d'eau.

Porte-parole des vendangeurs lors de l'audience, Camara évoque les « matelas poussiéreux » qui les attendaient sur le sol de la maison à leur arrivée. Le soir, ils n'avaient que du riz comme seul repas. La journée les travailleurs manquaient d'eau, alors que la température pouvait dépasser les 30 degrés.

M.Doumbia, le second porte-parole, raconte, lui, les conséquences de ce lieu insalubre sur leur santé : « On était fatigués et malades, on vivait dans des conditions insalubres dans la maison. Pas de lumière, pas d'eau. J'ai eu de la toux à cause de ça. Des collègues avaient des douleurs au dos parce qu'on dormait sur le sol », témoigne-t-il face au juge.

Lorsque l'inspection du travail et la gendarmerie découvrent les conditions inhumaines des travailleurs, ils sont immédiatement relogés, puis accompagnés par la CGT. « J'ai trouvé des gens extrêmement marqués par cette expérience », déclare Maître Cessieux qui a rencontré les travailleurs peu après leur relogement d'urgence. Dans leurs témoignages, plusieurs ont évoqué un « traumatisme » et des conditions de vie qu'ils n'avaient jamais connus de leur vie.

Avec la CGT, deux ans d'accompagnement pour obtenir justice

Il y aura un avant et un après”, lance José Blanco, secrétaire général de la CGT Champagne. Sur son visage se lit la satisfaction de la tenue de ce procès historique. Tant par son retentissement médiatique que pour l'impact qu'il a sur la lutte et l'organisation collectives des vendangeurs et plus largement, des travailleurs saisonniers. « Beaucoup étaient sans-papiers, beaucoup avaient peur des retombées, des menaces, mais ils ont été très courageux. Ça a été un travail de longue haleine pour arriver jusqu'ici, mais on s'est accroché, car on ne peut pas laisser faire ça », clame-t-il.

C'est un véritable collectif qui s'est soudé pendant deux ans, accompagné par la CGT à l'échelle locale et confédérale. Car dans ce type d'affaires, très longues, qui comptent des dizaines de victimes, il est parfois difficile de fédérer tous les plaignants jusqu'au procès. Et encore plus lorsqu'il s'agit de travailleurs sans-papiers. « Ils auraient pu partir aux quatre vents et on ne les aurait pas ici », se félicite Maître Cessieux. Selon lui, les témoignages de l'ensemble des victimes durant les investigations et leur présence en grand nombre au procès ont fait une grande différence : « Le tribunal a vu 50 bonhommes débouler à l'audience, ça crée une prise de conscience », soutient-il.

Mettre la lumière sur un système d'exploitation

Dès le début de l'audience, une question était sur toutes les lèvres. Où a fini le raisin ramassé par ces travailleurs exploités ? Car lorsqu'on parle de champagne, on pense au luxe et aux grandes maisons comme Moët et Chandon, Veuve Clicquot (LVMH), ou Bollinger. C'était d'ailleurs la première question du président de l'audience à l'intention d'Olivier. O, qui a embauché, en sous-traitance, plusieurs travailleurs exploités par Anavim. Lui ne sait pas : « Le raisin est pressé quand il part, ce n'est plus de mon ressort », lâche-t-il à l'audience pour se dédouaner. Mais les donneurs d'ordre et ceux qui profitent de la manne qu'est le champagne ne sont pas à la barre. « Ce sont les prestataires en cascade qui ressortent, pas les grandes maisons, déplore José Blanco. Moët et Chandon, Mansart… Si les grandes maisons ne sont pas impliquées, on ne pourra pas changer les choses », ajoute-t-il. La principale revendication de la CGT : imposer à l'Appellation d’origine contrôlée (AOC) « champagne » le respect des conditions d'hébergement et de travail des saisonniers, quitte à voir sa récolte déclassée, c'est-à-dire l'interdiction de la vendre sous cette appellation.

Le substitut du procureur a requis 4 ans de prison dont deux avec sursis pour la patronne d'Anavim, et trois ans dont deux avec sursis pour ses deux hommes de main. Pour l'entreprise d'Olivier.O, il demande 200 000 euros d'amendes. Verdict courant juillet.