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VIOLENCES SEXISTES

Violences sexistes au travail : chantiers en perspective

8 février 2016 | Mise à jour le 27 février 2018
Par | Photo(s) : Daniel Maunoury
Violences sexistes au travail : chantiers en perspective

Jeudi 4 février, la Commission femmes mixité de la CGT organisait une journée de sensibilisation et de formation sur les violences sexistes et sexuelles au travail. Le but : doter la CGT des outils nécessaires à l'action.

Dans la rue et au sein du foyer, les femmes sont victimes de violence. Mais qui sait qu'un quart des agressions sexuelles surviennent sur le lieu de travail et que 5 % des viols sont commis dans le cadre professionnel ? Humiliations, blagues graveleuses, injures, harcèlement sexuel, attouchements… les salariées sont même 80 % à considérer qu'elles sont régulièrement confrontées à des attitudes ou comportements sexistes.

C'est donc peu dire qu'elles subissent encore trop souvent les assauts de collègues masculins, avec les conséquences psychiques et économiques qui en découlent. Alors même que l'employeur est censé se porter garant de leur santé et de leur sécurité, celles qui dénoncent ces actes le paient en effet au prix fort, se retrouvant mises au placard, déqualifiées, voire licenciées.

Selon une enquête du défenseur des droits de janvier-février 2014, 40 % des femmes actives victimes de violences sexuelles ont perdu leur travail. Mais longtemps « on a cru que le syndicat ne pouvait rien faire », déplore Anne Braun, responsable du secteur confédéral Droit, Libertés, Actions juridiques.

C'est pour lutter contre un tel préjugé que s'est déroulée, jeudi 4 février 2016, une journée de sensibilisation et de formation sur les violences sexistes et sexuelles au travail, à l'initiative de la commission femmes mixité. Le but : doter la CGT des outils nécessaires à l'action.

« TU L'AS BIEN CHERCHÉ »

Ce jour-là, l'amphithéâtre du CCN est plein à craquer. Militantes et militants se sont déplacés en nombre pour venir profiter de l'expérience de plusieurs acteurs associatifs et syndicaux impliqués sur ces sujets. À commencer par l'infatigable Ernestine Ronai, présidente de l'Observatoire départemental de Seine-Saint-Denis et de la mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences. Avant d'envisager une action, explique-t-elle, encore faut-il savoir lire entre les lignes. Il est important de repérer les indices – souvent discrets – qui doivent mettre la puce à l'oreille : « Quand on entend une collègue dire “Je suis nulle”, ça doit nous faire penser à la perte d'estime de soi », précise-t-elle, par exemple. Un sentiment classique chez les femmes violentées.

À noter que l'agresseur manie cette arme avec subtilité. Car s'il dévalorise sa victime, il peut aussi la valoriser pour accroître son emprise sur elle : « Le supérieur hiérarchique dit à sa subordonnée que son travail est merveilleux et que ses collègues la détestent. Ainsi il est le seul à pouvoir la rassurer dans son estime personnelle et professionnelle », décrit Marylin Baldeck, déléguée générale de l'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).

Cette tactique s'accompagne d'autres méthodes qui consistent à inverser la culpabilité à coup de « tu l'as bien cherché », entretenir la peur en se montrant imprévisible et surtout… verrouiller le secret en persuadant la salariée que personne ne la croira si elle dénonce les faits.

Autre frein, les idées reçues qui rendent les femmes suspectes. « On continue d'entendre que les victimes n'ont pas bien compris le sens de l'humour du harceleur, qu'elles n'ont plus l'âge ou encore qu'elles n'ont pas l'air d'aller mal… Beaucoup font semblant d'aller bien. La capacité à socialiser ne doit pas être un motif de suspicion » , souligne Marylin Baldeck. Quant à l'agresseur, les clichés contribuent au contraire à le dédouaner : « C'est un tactile, un méditerranéen », un « bon père de famille », un « bon vivant », un « camarade »…

LE JURIDIQUE FAIT PARTIE DU RAPPORT DE FORCE

Le silence des victimes est donc un premier écueil à surmonter. Mais ce n'est pas le seul. La CGT doit, selon Marylin Baldeck, se convaincre de l'utilité d'agir sur le plan juridique. « Les organisations syndicales ont plus l'habitude de l'action collective et de porter revendications politiques, le droit n'est pas forcément un outil naturel pour elles. Pourtant, il fait partie du rapport de force et il faut le connaître », estime-t-elle. Ses conseils pratiques sont précieux.

Par exemple : en cas de perte d'emploi, essayer de faire passer la plainte aux prud'hommes en premier pour éviter qu'une relaxe au pénal n'ait une influence négative. Ou encore : aider la victime à préparer son récit, éventuellement l'écrire avec elle, avant de l'envoyer porter plainte au commissariat. « Une cuisinière avait été agressée par des chefs cuistots. Comme les faits étaient très graves, ses collègues l'ont accompagnée au commissariat et ont attendu dehors. Mais elle n'était pas préparée en amont. À l'AVFT, nous pouvons consacrer une journée, avec la personne, à refaire la chronologie », poursuit la déléguée générale de l'association.

PRÉVENTION ET INFORMATION

Consciente de la nécessité que les auteurs soient sanctionnés, la CGT souhaite, toutefois, mettre l'accent sur la prévention et l'information. Entrent dans ce cadre l'organisation de journées d'études et de séances de formation, la production de tracts, mais aussi le développement de partenariats en territoires, comme la convention de deux ans avec la Direccte, qui a permis d'obtenir un financement pour travailler sur la question des violences. « Nous avons pu former nos militant·e·s sur les violences sexistes et sexuelles en sollicitant l'AVFT de Belfort et Lons », rappelle Raphaëlle Manière, secrétaire générale de l'union départementale CGT du Jura.

« L'enjeu de l'action syndicale, c'est de trouver des solutions en amont », avance Anne Braun. D'abord parce que c'est le meilleur moyen de préserver l'emploi. Une fois que le mal est fait, « le maintien dans l'emploi est rarement possible, confirme en effet Marylin Baldeck. Et avant de perdre leur travail, les victimes ont été mises au placard, elles n'ont pas pu évoluer professionnellement. »

VIOLENCES SEXISTES AU TRAVAIL ET ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

Ensuite, le syndicat vient de lancer une grande campagne qui articule plusieurs chantiers : lutter contre les violences sexistes et sexuelles au travail et gagner l'égalité professionnelle, y compris au sein de la CGT. D'abord parce qu'il est dans les missions des institutions représentatives du personnel de donner une portée collective à des situations qui ont tendance à être traitées en toute discrétion, politiser le débat pour s'extraire du conflit interpersonnel.

Mais aussi parce que c'est la seule voie pour obtenir que les pratiques changent durablement. En effet, si les femmes sont victimes de violences, c'est aussi lié à une organisation sexuée du travail dans laquelle elles occupent les emplois les plus précaires et les moins rémunérés.
Rendez-vous le 8 mars pour toute une journée d'actions et d'initiatives sur les lieux de travail et le 17 mars pour une journée de formation à l'attention des militant-e-s, destinée à renforcer l'égalité au sein de l'organisation. C'est une certitude pour Raphaëlle Manière : «Si nous n'avançons pas en interne, si nous ne sommes pas exemplaires parce que conscient-e-s des enjeux, nous ne serons pas en capacité d'avancer ni dans les lieux de travail, ni dans les territoires. »