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EXTRÊME DROITE

De l'usage de la violence pour faire taire

27 juin 2024 | Mise à jour le 27 juin 2024
Par | Photo(s) : Emmanuel DUNAND / AFP)
De l'usage de la violence pour faire taire

Les groupuscules d'extrême droite multiplient les actions coup de poing et font de la violence un outil de lutte contre toute forme d'opposition, notamment face aux militants de gauche. Une violence exacerbée depuis le score réalisé aux élections européennes par le Rassemblement national, propos racistes et agressions se multipliant à l'approche des législatives. Ce qui n'est pas sans faire peser un risque pour notre démocratie.

« Vivement dans trois semaines, on pourra casser du PD autant qu'on veut », « vous verrez quand Bardella sera au pouvoir, quand Hitler reviendra… » Ces propos décomplexés ont été tenus lors de leur interrogatoire par des militants du RN et du Gud, un groupuscule d'extrême droite (ndlr : dissous entre temps par le gouvernement le 26 juin), suite à une agression homophobe et transphobe qui s'est tenue à Paris le 9 juin, soir des élections européennes. Depuis la percée de la liste RN portée par Jordan Bardella, la violence verbale et physique des militants et sympathisants d'extrême droite se libère. Les équipes des candidats du Nouveau Front Populaire font notamment état des agressions inédites dans le cadre d'une campagne dont ils font l'objet lors de leurs tractages (injures, coups, menaces…). A Bordeaux, un militant écologiste qui rentrait chez lui, des tracts du NFP sous le bras, a été agressé le soir du 21 juin. « Très vite, ils m'ont dit qu'ils soutenaient Jordan Bardella et qu'ils allaient nous écraser, parce qu'on était anti-France et pour les immigrés, a-t-il déclaré au journal Libération. Pour moi c'est une évidence, c’est un avant goût de ce qui va se passer tous les jours si le RN arrive au pouvoir. » Des militants d'extrême droite décomplexés qui depuis quelques années déjà assument de plus en plus la violence, n'hésitent pas à tenir ouvertement des propos racistes et à prendre la rue.

Heurts violents

Romans-sur-Isère, le 25 novembre 2023. Une centaine de militants de l'ultradroite convergent de toute la France en direction de cette localité de la Drôme pour y mener une expédition punitive. Exaltés par le meurtre du jeune Thomas, tué une semaine plus tôt à Crépol lors d'une fête de village, ils débarquent encagoulés, armés de battes de base-ball et de mortiers dans le quartier populaire de La Monnaie, d'où sont originaires les suspects du meurtre. Ils défilent en scandant des slogans racistes tels que «Islam, hors d'Europe » ou « La France aux Français ». Ce soir-là, des heurts violents ont lieu avec la police qui essuie des tirs de mortier. Ces jeunes militants ont répondu à l'appel lancé par la Division Martel – un groupuscule d'extrême droite constitué en 2022 et dissous par décret présidentiel le 6 décembre 2023 –, dont les intentions seraient, selon le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, de « promouvoir le recours à la violence pour favoriser l'avènement d'une suprématie nationaliste et xénophobe ». Sur les réseaux sociaux, des dizaines de comptes d'adhérents de Reconquête!, le parti d'Éric Zemmour, ont applaudi l'opération.

Accélérationnisme

« Depuis l'avènement de Bastion social en 2017 [mouvement néofasciste dissous deux ans plus tard, NDLR], il y a une nouvelle génération qui considère que celle qui l'a précédée n'était pas assez radicale et qui a voulu hausser le ton. Ces jeunes sont dans un état d'adrénaline permanent, avec l'impression de mener un combat contre un système sur le point de s'effondrer, relève le chercheur en sociologie Emmanuel Casajus, auteur de Style et violence dans l'extrême droite radicale. Certains sont passés aujourd'hui à l'accélérationnisme. À l'idée qu'une guerre civile va éclater en France qui partirait des banlieues avec le soutien des “islamo-gauchistes”. »

Ils s'en prennent aussi aux gens de gauche et aux syndicalistes avec un sentiment d'impunité totale.

Théorie popularisée par l'auteur des attentats de 2019 contre des mosquées à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, « l'accélérationnisme » est un courant venu des États-Unis qui soutient l'idée d'une guerre raciale en cours, qu'il faudrait précipiter par l'action violente pour l'emporter. En France, l'historien Nicolas Lebourg estime quant à lui que l'adhésion à ce courant aurait commencé avec les attentats de 2015. Marc a participé à la création de la Jeunesse antifasciste aixoise (J2a), constituée pour défendre le mouvement social face à l'extrême droite. Il a maille à partir avec ces groupes qui « décrivent leur violence comme de l'autodéfense face à l'islamisation de la France et à l'immigration massive. Mais ils s'en prennent aussi aux gens de gauche et aux syndicalistes avec un sentiment d'impunité totale. » Le procès de six individus interpellés à Romans-sur-Isère aura mis en évidence cette volonté délibérée d'en découdre appuyée sur une organisation quasi militaire. « Ce qui s'est confirmé à Romans-sur-Isère, c'est que ces groupes sont passés d'une violence pour se défendre à une violence punitive. Ils cherchent à démontrer leur force par des attaques de lieux identifiés à gauche : des locaux, des bars, des librairies… » constate Emmanuel Casajus. L'année 2023 aura ainsi été marquée par un nombre important d'actes de violence contre des biens ou des personnes. Locaux associatifs ou évènements festifs attaqués par des individus armés, antennes syndicales recouvertes de tags fascistes, élus menacés de mort ou tabassés…

2 000 membres actifs

En janvier 2023 en Bretagne, le maire de la commune de Callac a dû renoncer à l'implantation d'un centre d'accueil pour réfugiés sous la pression de l'extrême droite. Depuis cette « victoire », l'ultradroite s'est senti pousser des ailes dans la région. L'été dernier, le Festival pour une Bretagne ouverte et solidaire s'est vu envahir par des individus venus faire le coup de poing. « Ils ont débarqué au milieu des familles, vêtus de bombers noirs et armés de battes de base-ball pour tout péter, relate Matthieu Nicol, secrétaire de l'UD CGT des Côtes-d'Armor. Ça fait deux ans que ça monte ici. À Rennes, on les a vus défiler à 1 h 30 du matin en criant « La France aux Français » et « Les étrangers dehors ». Deux unions locales, celles de Guingamp et de Rostrenen, ont été recouvertes de tags nazis et de croix celtiques, symbole de l'ultradroite. Des mesures de représailles, après les mobilisations de la CGT contre l'extrême droite dans le département, estime le responsable syndical. Ces faits de violence valent à ces groupuscules à tendance royalistes, nationalistes-révolutionnaires ou identitaires, l'appellation d'« ultradroite ». Un terme créé par la police et popularisé dans les médias pour les distinguer d'une extrême droite plus institutionnelle qui ne franchirait pas la limite de l'agression physique. Membres du Groupe union défense (GUD), de l'Action française ou encore de réseaux identitaires, spécialistes de l'agit-prop et enracinés localement (Les Remparts Lyon ; L'Oriflamme Rennes ; Tenesoun en Provence…), ils seraient environ 2 000 membres actifs, selon la direction générale de la Sécurité intérieure.

Service d’ordre

« Il y a chez eux une culture du mercenariat. Ils vont se rendre utiles auprès de partis qui n'ont pas de service d'ordre, coller des affiches, tracter. Et Reconquête! est leur porte-voix politique », observe Emmanuel Casajus. En janvier 2022, le groupuscule les Zouaves Paris est dissous à la suite de l'agression de militants de SOS Racisme lors d'une réunion électorale d'Éric Zemmour à Villepinte (Seine-Saint-Denis). Si Reconquête! se garde de condamner les violences de l'ultradroite, le RN, qui a adopté une stratégie de normalisation, prend régulièrement ses distances avec l'action de ces groupuscules. Pour autant, on retrouve certains de leurs membres, notamment du GUD, dans les premiers cercles du mouvement frontiste, y compris parmi les candidats aux législatives. Moins nombreux qu'il n'y paraît, les activistes de l'ultradroite compensent la faiblesse de leurs troupes par une forte présence sur les réseaux sociaux qui leur donnent la capacité de mener des opérations coups de poing. À Aix, des étudiants qui bloquaient leur fac dans le cadre du mouvement contre la réforme des retraites l'an dernier ont dû organiser un service d'ordre pour se prémunir des attaques et intimidations quotidiennes d'activistes de l'Action française, relais du syndicat étudiant droitier UNI, dont beaucoup de membres se revendiquent de la Génération Z (organisation de jeunesse de Reconquête!). « L'Action française est organisée en gros bras à l'échelle de la Provence. Ils sont pour l'ordre et contre les corps intermédiaires », analyse Marc, de la J2a, qui a dû leur faire face avec ses camarades.

Menées criminelles

Cet usage décomplexé de la violence peut aussi mener jusqu'à l'acte criminel. Ainsi, le 19 mars 2022, l'ancien rugbyman Federico Aramburu était abattu au petit matin par balles dans les rues de Paris, après une altercation dans un bar avec deux membres du GUD. L'enquête révélera que les tireurs présumés possédaient un arsenal militaire à leur domicile. Plus récemment, après l'incendie de ses deux véhicules en mars 2023, qui s'est propagé à une façade de son domicile familial, Yannick Morez, le maire divers droite de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), où devait s'implanter un centre d'accueil pour réfugiés, a remis sa démission, écœuré par « l'absence de soutien de l'État ». L'incendie a eu lieu après des mois d'intimidations. Selon une note récente d'Interpol, la moitié des attentats terroristes déjoués au sein de l'UE, fomentés par des individus se réclamant de l'extrême droite, avait été planifiée en France. En cas d'accession au pouvoir du Rassemblement national, la question de la place donnée à ces groupuscules interroge. « Ils pourraient devenir des sortes d'associations culturelles qui cultiveraient le fascisme, estime le chercheur Emmanuel Casajus. Ou bien servir de nervis, en parallèle de la police, dont les actes seraient couverts. » Une menace de plus en plus concrète.

(Article réactualisé publié dans la Vie Ouvrière#9)