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HISTOIRE

150 ans de la Commune : « Un mouvement qui ouvre des pistes nouvelles », entretien avec Roger Martelli

18 mars 2021 | Mise à jour le 30 mars 2021
Par
Entretien avec l'historien et auteur Roger Martelli, coprésident de l'Association des amies et amis de la Commune de Paris 1871.
Entretien sur l'héritage de la Commune de Paris avec Roger Martelli NVO - La Nouvelle Vie Ouvrière, le magazine des militants de la CGT

Roger Martelli, historien du communisme francais, portrait, à Paris.

Dans quelle mesure la Commune est-elle la suite des mouvements révolutionnaires des xviiie et xixe siècles en France (1789, 1830 et 1848) ?

La Révolution de 1789 a installé, en France, un courant populaire et révolutionnaire qui marie les aspirations sociales et démocratiques à l'égalité et à la liberté. À la différence d'autres pays, ce courant a été minoré après la chute de Robespierre, mais n'a jamais été marginalisé. Périodiquement, il se manifeste et infléchit le cours de l'histoire nationale, comme il le fait en 1830 et en 1848. Il revient sur le devant de la scène après la débâcle du Second Empire, à la fin de l'été 1870.
Mais désormais deux phénomènes s'entremêlent : le regain de l'idée républicaine et l'affirmation d'un acteur nouveau qui est le mouvement ouvrier. Le mouvement communaliste de 1871 est à la charnière des deux phénomènes. Il continue une histoire, en même temps qu'il ouvre des pistes nouvelles. C'est en cela qu'il est un événement décisif.

Historiquement, comment a-t-on traité de la Commune et du conflit de classes qui s'y joue ?

La Commune a toujours été l'objet de violentes polémiques, plus dures encore que celles qui accompagnèrent la ­Révolution française. Les adversaires de la Commune, majoritairement monarchistes et conservateurs, ont aussitôt fixé un argumentaire à charge, installant d'emblée une légende noire de la ­Commune, qui fait de celle-ci un mal absolu que la France doit encore expier. Quand ils parviennent enfin au pouvoir, après 1879, les républicains embarrassés s'en tiennent à un compromis : l'amnistie de 1880 efface la peine, mais pas la condamnation ; l'amnistie se confond avec l'amnésie.

La Commune a été ainsi vouée officiellement à l'oubli, événement malheureux englouti dans cette « année terrible » évoquée par Victor Hugo et qui va de la déclaration de guerre à la Prusse, en juillet 1870, à la Semaine sanglante de mai 1871. Il a fallu attendre novembre 2016 pour que l'Assemblée nationale se décide enfin à réhabiliter les communard·e·s et à mettre à l'honneur les valeurs portées par la Commune. Manifestement, la droite française n'a pas digéré cette décision, comme si la Commune gardait pour elle un esprit subversif qu'il fallait encore et toujours conjurer. C'est une raison supplémentaire pour célébrer avec éclat ce cent-cinquantième anniversaire.

Le mouvement ouvrier en a-t-il fait un cadre de référence pour les luttes menées postérieurement ?

Il en fait aussitôt un événement de référence. Jusqu'en 1871, il doit se déterminer, non sans difficulté, par rapport à des révolutions nécessairement ambiguës, populaires par leur impulsion et bourgeoises par leur contenu. À partir de 1871, il dispose d'une révolution et d'un essai de gouvernement massivement populaires et même ouvriers. Le monde ouvrier n'est donc plus voué à être à la remorque de mouvements pilotés par d'autres. Il devient une composante majeure de ce « bloc historique » qu'évoquera plus tard le philosophe et communiste italien, ­Antonio Gramsci, et qui est la clé du devenir de tout mouvement d'émancipation démocratique et sociale.

Évidemment, tout le monde n'a pas la même interprétation d'un événement d'une incroyable richesse et diversité. En fait, chacun lit la Commune en fonction de ses grandes options et de sa stratégie, qu'elle soit syndicale ou politique. Mais, à partir du retour des exilés et déportés, après 1880, l'habitude se prend de venir se recueillir devant le mur des Fédérés, devenu un symbole ardent de la Commune et de ses combattant·e·s. Force est de constater que, jusqu'à ce jour, le souvenir de la Commune a plus divisé ses héritiers qu'elle ne les a rassemblés. Mais quand le rassemblement a été possible, la mobilisation s'est faite populaire et massive.

Sans doute est-il bon d'en tirer les leçons aujourd'hui. La Commune n'a pas été un mouvement uniforme, relevant d'une lecture unique. Elle a constitué à la fois l'affirmation de valeurs et l'ébauche d'actes significatifs, avec son cortège de possibles dont beaucoup, en si peu de temps, ont été à peine esquissés. La Commune n'a pas besoin de consensus lénifiants. Mais qui se reconnaît dans l'héritage de la Commune devrait apprendre à conjuguer la pluralité des regards et la volonté convergente de faire, de la mémoire de la Commune, un bien commun pour la société tout entière.

Dernier ouvrage paru (mars 2021) : Commune 1871. La révolution impromptue, éditions Arcane 17, 240 pages, 18 €.
NVO - La Nouvelle Vie Ouvrière, le magazine des militants de la CGTÀ retrouverDans la NVO de mars 2021, un dossier spécial sur la Commune de Paris à l'occasion de son 150e anniversaire.
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