Disparition de Marcel Bluwal, réalisateur engagé
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Un engrenage destructeur, une réalité glaçante, une violence extrême, une négation de toute humanité sont au cœur de Carole Matthieu, une fiction qui ne se regarde pas sans un certain malaise. Comme à la lecture du roman de Marin Ledun (qui fut sept ans ingénieur à France Telecom/Orange) dont elle s'inspire, et dont nous avions parlé dans la NVO à sa parution en 2011. D'autant que sa sortie coïncidait avec une actualité terrible : un mois auparavant, sur le parking de son entreprise, un cadre de France Telecom, Rémy L., âgé de 57 ans, se suicidait en s’immolant par le feu.
Le roman et le film partent de cette réalité et des ravages du « lean management » pour brosser un tableau percutant, volontairement troublant, du travail sur les plateformes téléphoniques où, sous prétexte de « faire du chiffre », on met les salariés sous une pression insupportable, inexcusable, inhumaine.
Seuls remparts, les instances de médecine et d'inspection du travail, et les IRP (CHSCT en première ligne). Mais des remparts bien trop faibles et encore affaiblis par des lois (par exemple, Rebsamen, El Khomri, etc.), que des employeurs et managers zélés s'empressent d'appliquer, voire de devancer !
Carole Matthieu (Isabelle Adjani) est confrontée à ces méthodes au quotidien, d'autant plus qu'elle est médecin du travail en entreprise, dans le ventre de la bête qui dévore les salariés. Au sein de la Melidem, on vend par téléphone … des fauteuils. Peut-être fabriqués à des milliers de kilomètres dans des conditions indignes, nous n'en saurons rien, mais c'est très probable, rentabilité à tous les niveaux… Les managers de la plateforme téléphonique pratiquent le double appel, flicage et minutage du moindre « écart » des soutiers du télémarketing. L'une résiste à l'application mot à mot des procédures que lui dicte son écran, l'autre tente des stratégies d'évitement, un troisième, tout jeune, saute à pieds joints dans « l'esprit maison » et son bizutage, sans comprendre qu'il est lui-même un rouage qui peut sauter ou être broyé à tout moment.
Et puis il y a Vincent, détruit par ces méthodes immondes, et qui cherche auprès de Carole Matthieu un soutien que la restriction de ses pouvoirs l'empêche de lui offrir. Car Carole est aussi victime et souffre du total décalage avec son métier, entre le serment d'Hippocrate et le rôle auquel elle est réduite.
Vincent est à bout, son dossier médical montre un long calvaire, comme celui de Patrick, plus âgé, qu'on a isolé, relégué à une tâche subalterne : il distribue le matériel de bureau, silhouette semblant porter le poids du monde sur ses épaules, invisible et muette, glissant entre un entrepôt glauque et la plateforme téléphonique, bruyante et vivement éclairée. Vincent, Patrick… Et tous les autres qui ne savent pas encore qu'ils pourraient être les prochains sur la liste, courtisans inconscients qu'un jour, quand il n'y aura plus de Carole Matthieu pour les défendre, ils seront seuls et nus.
Carole Matthieu est le déversoir de toute cette souffrance. « La fosse à purin », dira-t-elle. Mais qui écoute sa souffrance ? Elle a une haute idée de sa mission, l'esprit de solidarité chevillée au corps. Elle tient grâce à des médicaments, mais plus la brutalité managériale augmente, plus elle aussi, comme Vincent, comme Patrick, s'enfonce. Tous trois victimes d'un système où les vies sont des variables d'ajustement. Jusqu'à ce que Carole, après avoir longtemps lutté, solitaire et à la limite de sa raison, franchisse la ligne rouge, rouge sang, comme le manteau qui l'enveloppe telle la cape d'un super héros justicier.
Sa réaction sera à la mesure de sa souffrance face à la brutalité managériale : extrême, violente, déshumanisée.
Gâchis humain, vies brisées, sens du travail et du métier saccagé… tout ça pour quoi ? Parfois pour le parachute doré des dirigeants ou leurs salaires vertigineux, souvent pour que des actionnaires lointains et anonymes (dont les fonds de pension) ajoutent un zéro de plus au montant de leurs dividendes. Une réalité qui concerne chacun, même parmi les plus modestes qui souscrivent parfois une assurance privée pour arrondir une trop petite retraite, sans penser un seul instant que peut-être, l'un de leurs proches subit des violences au travail à cause de cela, la relation entre l'un et l'autre étant souvent masquée par les organismes financiers.
À l'heure où les droits au travail (et ailleurs) rétrécissent comme peau de chagrin, les Carole Matthieu qui tentent, dos au mur, de défendre ce qu'il en reste pourraient bien être de plus en plus fragiles. À moins que… ?
Carole Matthieu, réalisé par Louis-Julien Petit.
Arte +7 jusqu'au 25 novembre, DVD Arte Éditions. Sortie en salles le 7 décembre 2016.
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