À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT
Économie

Entretien croisé sur le revenu universel

28 novembre 2016 | Mise à jour le 30 novembre 2016
Par | Photo(s) : DR
Entretien croisé sur le revenu universel

Le revenu universel est présenté la plupart du temps comme un instrument de lutte contre la pauvreté. À quel niveau le fixeriez-vous ?

Frédéric Lefebvre. Je me suis prononcé pour un montant de 800 à 1000 euros par mois. Le revenu universel a pour vocation de se cumuler avec un revenu d'activité. On ne le perd pas, contrairement au système actuel de l'assistanat, puisqu'il est versé sans condition. Le dispositif incite donc à aller vers le travail. Il constituerait une alternative à notre système social, qui est à bout de souffle, inégalitaire et inefficace puisque nous comptons 8,5 millions de pauvres dans notre pays.

Boris Plazzi. Le seuil de pauvreté est fixé à environ 1000 euros par mois. Je rappelle par ailleurs qu'en 2015 l'Observatoire de la pauvreté estimait à 1424 euros le niveau du revenu nécessaire pour vivre décemment pour une personne seule. De son côté, la CGT revendique un Smic à 1800 euros brut. Un revenu universel dont le montant serait fixé au niveau du seuil de pauvreté constituerait déjà un progrès social appréciable, à condition toutefois qu'il ne se substitue pas aux diverses prestations sociales d'aujourd'hui.

Frédéric Lefebvre.  Attention, je n'ai pas dit cela ! Car il est évident que nous ne sommes pas en mesure d'alourdir la charge de l'assistanat en rajoutant une prestation supplémentaire par rapport aux autres.

Comment finance-t-on ce revenu universel ?

Frédéric Lefebvre. Je travaille sur un chiffrage, mais pour l'heure je ne parviens pas à obtenir du gouvernement les éléments me permettant d'identifier la réalité de ce que coûte la totalité du maquis social d'aujourd'hui. Je peux toutefois préciser le principe de ce financement. D'abord, je veux rappeler que le coût de la gestion de notre système social est évalué à 30 milliards d'euros par an : c'est l'argent dépensé pour rétribuer les gens qui édictent des normes et les conditions de versement des différentes prestations. Ce coût serait économisé avec le revenu universel puisqu'il est inconditionnel. Ensuite, on n'insiste pas assez sur le côté vertueux du système qui se cumule avec une activité, donc qui incite à travailler, se former, créer une entreprise, s'occuper d'un parent, etc. On sort ainsi les gens du chômage et on réalise de nouvelles économies. Par ailleurs, le revenu universel a vocation à remplacer une grande partie des allocations existantes. C'est vrai, par exemple, des allocations familiales, mais pas seulement.

« Je suis inquiet quand j'entends que le revenu universel pourrait se substituer à notre système de protection sociale. » Boris Plazzi
Il n'y aurait plus d'allocations chômage ?

Frédéric Lefebvre. Je ne peux pas me prononcer sur ce point pour l'instant, car je suis toujours en attente des chiffres qui me permettraient d'apprécier correctement la situation. Globalement, je milite pour un système d'autofinancement du revenu universel sur la base d'une nouvelle répartition du budget de la protection sociale qui s'élève, je le rappelle, à 660 milliards d'euros par an. Enfin, je propose une réforme de la fiscalité. On a actuellement un système inégalitaire sous couvert du principe de la progressivité. Je suis plutôt favorable à un système de « flag tax » ou d'impôt forfaitaire, qui viendrait s'ajouter à la CSG et qui supprimerait l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les sociétés et tout un tas de dispositifs qui freinent en réalité le dynamisme de l'économie.

 

BP : Le coût d'un revenu universel fixé aux environs de 1000 euros par mois s'élève à 750 milliards d'euros par an, soit un tiers du PIB. Je suis dubitatif à l'idée de dégager une telle somme avec une réforme fiscale. Je suis également inquiet quand j'entends M. Lefebvre proposer que le revenu universel puisse se substituer à notre système de protection sociale. Dans ces conditions, je ne vois pas comment on peut réduire la pauvreté, surtout à budget constant. En prenant aux riches pour donner aux pauvres ? On sait que ce système ne fait que le bonheur des assurances privées.

Le revenu universel s'ajouterait au salaire d'activité. Ne craignez -vous pas que les employeurs en profitent pour tirer les salaires vers le bas ?

Frédéric Lefebvre. Non, au contraire, je m'inscris dans une logique d'augmentation des salaires. Aujourd'hui les salaires sont bas parce que la protection sociale coûte cher. Si je réduis son coût, je baisse les « charges » ( les cotisations sociales, NDLR) et je peux donc augmenter les salaires. Tout en offrant une protection nouvelle avec le revenu universel : on accouche alors d'un nouveau modèle social.

BP : Oui, le risque est bien réel quand on connaît la pression qui s'exerce sur les salaires dans les entreprises. On nous ressasse en permanence le discours sur le « coût du travail » prétendument trop élevé. Les employeurs pourraient bel et bien être tentés de se réfugier derrière l'existence de ce revenu de subsistance pour réduire la part du salaire d'activité. Le Smic lui-même pourrait n'y pas résister.

 

Frédéric Lefebvre. Je suis contre le Smic, car il maintient les salaires vers le bas.

BP : Il est pourtant trop élevé pour les patrons qui cherchent à s'en affranchir. Il n'est pas rare que les minima salariaux soient inférieurs au Smic dans les grilles de salaires.

 

Frédéric Lefebvre. Je n'oppose pas comme vous les patrons et les ouvriers. Ils ont le même intérêt, celui que l'entreprise gagne de l'argent.

BP : L'entreprise, c'est aussi les salariés qui sont fondés à réclamer une meilleure répartition des richesses créées par leur travail.

Les promoteurs du revenu universel s'appuient en général sur le postulat qu'il n'y aurait plus de travail pour tout le monde. Faut-il y voir un renoncement à lutter contre le chômage ?  

Frédéric Lefebvre. Ce n'est pas mon postulat. Il est symptomatique de voir les syndicats qui luttaient hier contre le salariat, assimilé à de l'esclavagisme, s'arc-bouter aujourd'hui pour le défendre. La réalité, c'est que le travail mute et que les salariés sont confrontés à des situations très disparates au cours de leur vie professionnelle. Dans ces conditions, le revenu universel offre au citoyen la liberté de construire sa vie comme il l'entend.

BP : La rengaine selon laquelle « on a tout essayé contre le chômage, en vain » tend en effet à légitimer, chez une partie de la classe politique, l'acceptation d'un salariat de seconde zone définitivement éloigné de l'emploi. C'est dangereux ! Bien sûr que le travail mute. C'est pourquoi la CGT milite depuis une bonne quinzaine d'années en faveur d'un nouveau statut du travail salarié, offrant un déroulement de carrière et une protection sociale à chaque salarié.

« Le revenu universel offre au citoyen la liberté de construire sa vie comme il l'entend. » Frédéric Lefebvre

FL : Et comment financez-vous cela ?

BP : Bonne question. Par une répartition plus équitable des richesses issues du travail. Les salariés ont créé 2100 milliards d'euros de richesses en 2015, un montant qui permettrait mathématiquement d'allouer un revenu mensuel de 2500 euros à tous. Mais peut être faudrait- il rediscuter des 250 milliards d'euros de dividendes versés annuellement, en période de crise, aux actionnaires et pas seulement à ceux des entreprises du CAC 40. Et puisque vous parlez beaucoup d'assistanat, peut être faudrait-il aussi revisiter les 220 milliards d'euros de fonds publics versés chaque année aux entreprises, sous forme d'exonérations fiscales et sociales, sans condition également. Tout cet argent fait évidemment défaut aux salaires, à l'investissement et à l'emploi.

Pensez-vous qu'on puisse vivre décemment sans travailler dans la France d'aujourd'hui ?

FL : Il y aura toujours une frange, faible, qui choisira l'oisiveté plutôt que le travail. Mais qu'est-ce que le travail ? Là est la question. Ce n'est pas forcément une activité exercée dans le cadre du salariat. Le revenu universel favorise la liberté du choix de son activité comprise au sens large. Cette activité peut ne pas produire de la richesse au sens monétaire du terme mais engendrer des économies pour la collectivité, qui la rémunère avec le revenu universel. 

BP : On ne peut pas vivre sans travailler de façon permanente, sauf à jouir d'une rente suffisante, ce qui n'est évidemment pas le cas de la plupart des gens ! Le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté, c'est de permettre à chacun de vivre dignement de son travail. C'est possible en partagent plus justement à la fois le travail et les richesses créées par le travail. Ensuite, ne négligeons pas le facteur émancipateur du travail. Le travail a toujours été ambivalent, entre souffrance et satisfaction. Mais je crois que le travail reste une valeur centrale dans la société d'aujourd'hui et que la très grande majorité des gens veulent travailler.

 

À relire

Article sur le revenu universel dans Ensemble de juin 2016, page 13. Et dans la NVO d’octobre 2016, page 30.