Le Medef joue la montre et pressurise sur le gouvernement
La quatrième séance de négociation le 7 avril a confirmé le fossé entre la volonté unanime des syndicats d’accroître les recettes de l’Unedic et le refus du patronat... Lire la suite
C'est reparti ! Et, qui plus est, sur les chapeaux de roues. Mercredi 15 février à l'issue d'une dernière réunion portant sur le diagnostic du marché du travail, patronat et syndicats ont décidé de rouvrir la négociation sur l'élaboration d'une nouvelle convention Unedic qu'ils avaient abandonnée le 16 juin dernier. Date butoir : le 28 mars. Tout s'est débloqué lundi 13 février quand le Medef s'est résolu à revenir à la table de la négociation en donnant mandat à Alexandre Saubot, le responsable de son pôle social. Sans indiquer le contenu de ce mandat le conseil exécutif du Medef a fait savoir qu'il fixe l'objectif d'une « réforme ambitieuse, pérenne et qui permette de résoudre le déficit structurel de l'assurance chômage », avec une ligne rouge : « l'impérieuse nécessité de ne pas alourdir le coût du travail ». Or, c'est notamment le refus patronal de surtaxer les contrats courts, pourtant très coûteux pour l'Unedic, qui a déjà fait capoter les négociations en juin 2016. Après cet échec – une première depuis 1982 –, le gouvernement a dû prolonger la convention signée en 2014. La convention de l'assurance chômage fixe les droits et les devoirs des demandeurs d'emploi indemnisés, mais le régime accuse un déficit annuel d'environ 4 milliards d'euros et sa dette cumulée atteint 30 milliards.
Si, depuis huit mois, la CGT réclame la réouverture de la négociation, le patronat, lui, a joué la montre, pris dans des dissensions internes entre les défenseurs de la négociation et les partisans d'une grève du dialogue social en attendant la présidentielle. Ainsi, ces deux derniers mois, sur proposition patronale, se sont tenues des réunions avec des experts afin d'établir un diagnostic partagé du marché du travail. Des discussions intéressantes que les syndicats n'avaient cependant pas l'intention de prolonger à l'infini. « Soit on ouvrait les négociations, soit on arrêtait », confie Denis Gravouil, négociateur pour la CGT.
La volte-face du Medef, le 13 février dernier, n'est certainement pas dénuée de calcul politique. Après en avoir âprement débattu, l'organisation patronale, inquiète de l'avenir du candidat François Fillon pour la présidentielle, a finalement préféré essayer de boucler un accord tant qu'il en est encore temps. Et couper court aux velléités d'étatisation de l'assurance chômage d'un Emmanuel Macron, si jamais celui-ci était élu… Même précaution du côté de la CFDT, qui préfère « aller vite » et garantir les droits pour deux ans « pour rassurer les salariés et les demandeurs d'emploi », a déclaré Valérie Descacq, sa secrétaire générale adjointe, au journal Les Échos. Car c'est aussi l'avenir du paritarisme qui se joue en partie.
Le calendrier prévoit 4 séances de négociations – 7 mars, 14 mars, 23 mars et 28 mars – avec l'espoir de conclure à cette date et, en cas d'accord, faire homologuer celui-ci avant le premier tour sans avoir à en discuter quand l'élection présidentielle (23 avril et 7 mai) battra son plein. D'autant plus que les législatives de juin se profilent derrière. « La négociation la plus expresse qu'on ait jamais connue », plaisante Denis Gravouil, négociateur pour la CGT, bien décidé non seulement à ne pas faire perdre des droits aux salariés, mais à en gagner de nouveaux.
Il revient donc au Medef de repartir du relevé de décision de juin dernier et de l'amender… La CGT relève d'ailleurs que l'organisation patronale « a admis du bout des lèvres qu'il était légitime que tous les syndicats de salariés demandent une discussion sur les contrats courts ». Reste que le sujet est extrêmement clivant. Toutes les études montrent à la fois que la multiplication des CDD de moins d'un mois – qui sont parfois d'un jour – est une réalité, et que ces contrats courts coûtent plus de 9 milliards d'euros à l'Unedic, soit deux fois son déficit annuel (les gens étant ramenés plus souvent à la case Pôle emploi). Le Medef en tire cependant des conclusions qui ouvrent la voie à des désaccords de fond. D'une part, il estime que ces CDD et autres contrats d'intérim ne représentent que 2 % de la masse salariale en France.
« C'est un phénomène particulier qui ne nécessite pas d'en faire le centre de la négociation », a ainsi déclaré Alexandre Saubot. D'autre part, il est hors de question pour le Medef de toucher quoi que ce soit aux dispositifs qui les entourent au motif qu'ils permettent la flexibilité dans l'entreprise. Une logique qui se heurte à celle de la CGT, car, qui dit « contrat court » dit « contrat précaire ». « Nous, nous rappelons que la précarité coûte très cher à l'Unedic, explique Denis Gravouil, c'est pourquoi nous voulons rallonger la durée des contrats et ainsi permettre à l'Unedic de percevoir plus de cotisations et verser moins d'allocations. » Un sujet qui préoccupe également la CFDT : « Lutter contre la précarité grandissante est un sujet incontournable », indique Véronique Descacq « mais, précise-t-elle aussitôt, il faut être clair, la CFDT ne s'est pas engagée sur le pacte de responsabilité pour aujourd'hui réclamer une hausse du coût du travail »… De quoi encourager le Medef ? L'augmentation des cotisations sur les contrats courts, point d'achoppement de la négociation en juin, a donc bien du plomb dans l'aile sans que pour autant le patronat puisse s'exonérer d'une discussion sur la précarité.
Pour éviter de généraliser quelque dispositif que ce soit, le texte de départ de ce deuxième round, qui devrait être envoyé aux syndicats d'ici à la fin de la semaine, pourrait donc proposer des mesures incitatives dans les branches qui font le plus appel aux contrats courts (hôtels-cafés-restaurants, instituts de sondages, médico-social). « Il est très possible que cela nous soit présenté comme un accord équilibré alors qu'en fait, s'agace Denis Gravouil, il va s'agir de faire énormément d'économies sur le dos des chômeurs, en échange d'une toute petite surcotisation totalement symbolique et expérimentale dans quelques secteurs. »
Plusieurs autres pistes du même acabit seront probablement sur la table : un barème de cotisations sociales dégressif selon la durée des contrats ; la détaxation des contrats longs plutôt que la surtaxation des contrats courts… Et pour gratter des économies afin de renflouer les caisses de l'Unedic, il sera forcément proposé de jouer sur les paramètres habituels, quitte à pénaliser les chômeurs : abaisser le plancher d'indemnisation ; augmenter le taux de contribution des salariés et des employeurs ; jouer sur la durée maximale de l'indemnisation ; revoir les règles de calcul allocations-salaires ; relever les bornes d'âge pour l'indemnisation des seniors (les plus de 50 ans sont indemnisés trois ans au lieu de deux ans pour les autres chômeurs), voire instaurer une progressivité jusqu'à 57 ans pour bénéficier des trois ans, etc.
« Et pourquoi vouloir seulement faire des économies ? On peut aussi faire de nouvelles recettes ! », argumente Denis Gravouil qui rappelle que la CGT a toujours demandé « un accord équilibré, c'est-à-dire un accord qui ne demande pas aux chômeurs de payer en voyant fondre leurs droits ».
Au nom de l'équité, « tant claironnée par le patronat », la CGT apportera sur la table de la négociation la revendication de mettre à contribution les salaires les plus élevés – ceux supérieurs à 12 000 euros – par le déplafonnement de leurs cotisations. « Cela représente 131 000 personnes, en gros ce sont les dirigeants d'entreprises », précise Denis Gravouil. « En terme d'“équité” cela nous paraît beaucoup plus équitable que le grand projet qui est dans le texte du mois de juin (outre la filière senior) : le lissage des rémunérations sur le mois pour les gens qui sont en activité réduite, c'est-à-dire les deux millions de chômeurs des catégories B et C. Un tel projet leur fait perdre 200 à 300 euros par mois sur les 1 200 euros de cumul salaire-allocation ! »
Une seconde source de recettes résiderait dans la révision des exemptions d'assiette. « Ce sont toutes les parts de salaires qui ne sont pas soumises à cotisations telles que l'épargne salariale, l'intéressement, les complémentaires santé, c'est une perte de près de 3 milliards d'euros pour l'Unedic », précise Denis Gravouil. Pénaliser le recours aux contrats de plus en plus brefs au profit de contrats longs et surtout de CDI reste une revendication de la CGT qui attire l'attention sur deux autres sujets qu'elle portera le 7 mars : veiller à l'égalité entre femmes et hommes – en supprimant les écarts de salaires et en maintenant la borne d'âge de 50 ans qui permet le passage de 24 à 36 mois – et sortir de l'incertitude et du chantage qui entoure ces négociations en concluant une convention de longue durée, c'est-à-dire de quatre ans au minimum.
« Si, pour le Medef, il n'est pas question d'une augmentation du coût du travail, côté CGT il n'est pas question d'une perte de droits et d'une augmentation du coût de la précarité », prévient Denis Gravouil qui ajoute : « De plus, nous savons tous que derrière ces pertes de droit se jouent des drames humains. Chaque année, le chômage tue 14 000 Français. »
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