Simon Delétang, planches de salut
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« Fils d'Auguste Rainier Gatti, éboueur-balayeur, et de Letizia Luzona, femme de ménage, immigrés italiens, Dante Gatti grandit entre le bidonville du Tonkin à Monaco et le quartier Saint-Joseph de Beausoleil, porté par le regard d'un père, militant anarchiste, […] transfigurant la moindre réalité d'apparence triviale en conte fantastique, […] et celui de sa mère l'incitant à investir le monde du langage, à se l'approprier afin de pouvoir échapper à la stricte reproduction d'un sort social tracé d'avance. » La notice d’Armand Gatti rédigée par Gilda Bittoun dans le Maitron des anars commence fort. Normal, sa vie se conjugue par tous les temps, avec le A en toile de fond.
A comme Armand – ses parents l’avait appelé Dante mais c’était pas assez français pour la mairie de Monaco en 1924. A comme Anarchie – une affaire de famille : outre l’engagement de son père, il confiait au micro de France Culture en 2010 que sur quatre de ses oncles piémontais, partis à Chicago, deux furent pendus parce qu’anarchistes. « Chez nous, dans ma famille, les armes sont les livres, les combats sont les mots, la révolution, c'est les mots ! »
A comme Aventure – celle de la résistance à l’adolescence quand on lui donnait du Don Quichotte puis du « Donqui », celle du journaliste engagé que certains lecteurs récalcitrants du Parisien tout juste « libéré » nommaient « l’ondoyant macaroni », celle encore du métier de dompteur qu’il apprend pour réaliser l'enquête « Envoyé spécial dans la cage aux fauves » qui lui vaut le prix Albert Londres. L’aventure encore comme grand reporteur en Amérique latine, au Guatemala notamment où il rencontre le futur Che Guevara…
A comme Art – Gatti fut poète, cinéaste, metteur en scène, écrivain, dramaturge. Sa deuxième pièce, Le Crapaud-Buffle est montée en 1959 par Jean Vilar au TNP et fait scandale. Le théâtre qu’il porte, à travers plus de quarante textes (Le poisson noir, La vie imaginaire de l’éboueur Auguste G., Rosa Collective, La passion du général Franco par les émigrés eux-mêmes…), c’est celui de la Parole errante, selon l’image du « juif errant », confiera-t-il. La Parole errante devient Centre international de création qui ouvre en 1986 à Montreuil. Douze ans plus tard, missionné par le ministère de la Culture, Armand Gatti et son équipe ouvrent la Maison de l'Arbre dans les anciens entrepôts du cinéaste Georges Méliès.
En mai 2016, le bail qui lie le conseil départemental de Seine-Saint-Denis à la Parole errante arrive à échéance et n’est pas renouvelé selon les mêmes termes. Le risque qu’il soit fait table rase du travail de Gatti et du passé du lieu est important. (Un collectif d’usagers, metteurs en scène, comédiens, libraires, écrivains, réalisateurs, musiciens, enseignants, éducateurs, militants, essaye d’imaginer un devenir pour ce lieu et a écrit un projet nommé la Parole errante demain). Quoiqu’il advienne, laissons le dernier mot à son équipe : « De Gatti, Henri Michaux disait à leur première rencontre : “Depuis vingt ans parachutiste, mais d'où diable tombait-il ?” La question reste ouverte. Gatti est à jamais dans l'espace utopique que ses mots ont déployé, celui où le communard Eugène Varlin croise Felipe l'Indien, où Rosa Luxembourg poursuit le dialogue avec les oiseaux de François d'Assise, où Antonio Gramsci fraternise avec Jean Cavaillès, Buenaventura Durruti avec Etty Hilsum, Auguste G. avec Nestor Makhno. Gatti, si on ne le sait déjà, on le saura bientôt, est l'un des plus grands poètes de notre temps et des autres. »
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