C'est peu dire que la chanteuse Melissmell a galéré et galère encore pour vivre de son art. Bourrée de talents, elle possède une énergie à toute épreuve pour continuer à donner de la voix. L'Ankou, son troisième album, est une belle réussite.
« Entendez-vous dans nos campagnes/Mugir nos pauvres, de faim, de froid ?/ Qu'ils viennent jusque dans vos bras/Pleurer dans nos villes, nos sarcasmes. » C'est avec le titre Aux armes que la chanteuse Melissmell se fait connaître en 2009. Un morceau qui mêle La Marseillaise et L'Internationale, écrit en réaction à la proposition de Nicolas Sarkozy de faire lire la lettre de Guy Moquet aux lycéens et de leur apprendre l'hymne national. Ce titre coup-de-poing va rencontrer un large public au point qu'en 2014 Jérôme Kerviel, l'ancien trader de la Société générale, convie la chanteuse à venir l'entonner devant les caméras, lors de sa marche sur Rome. « Pour ce morceau, j'ai perçu 7 000 euros de droits d'auteur avec lesquels j'ai acheté un piano droit », confie Melissmell. Un revenu exceptionnel alors qu'en général ses droits d'auteur n'excèdent pas 2 000 euros par an… Rien de mirobolant, comme la vente des disques (en gros, un euro perçu par album vendu). Le seul moyen de vivre de son art, c'est de multiplier les concerts, et donc les cachets (douze heures déclarées par concert) pour prétendre au statut d'intermittente du spectacle.
Mais avant d'en arriver là, Mélanie Coulet a dû batailler pour faire sa place. Née en 1981, elle grandit en Ardèche dans une famille où on ne roule pas sur l'or. Son père, qui conduit des bus et fait les marchés, déserte le foyer où sa mère, handicapée, doit jongler avec les aides pour nourrir la famille. Elle, alors adolescente, quitte l'Ardèche pour Grenoble, passe un triple CAP : vente, graphisme et peinture, « histoire d'assurer ses loyers ». Elle monte sur scène avec un premier groupe rock/new wave formé à Avignon, Nora, en même temps qu'elle assure ses arrières comme peintre en bâtiment.
Sur la route
Puis, en 2004, Mélanie arrête les groupes et décide de chanter sous le nom de Melissmell. « Mell », c'était déjà pris par une chanteuse de Nancy, alors elle a opté pour « Melissmell ». « Pour la mélisse qui soulage “les maux des femmes”, pour le mélisme, pour “Mel is Mel”, pour le lys de mer fossile que l'on trouve dans le sous-sol de l'Ardèche »… Mélanie sillonne la France et prend la direction de Lille où elle séjourne un an. « Il y avait plus de musiciens – tous au chômage – que de public. C'était un peu grillé pour me faire une place », sourit-elle. Elle affine son répertoire, « en dévalisant le rayon poésie de la Fnac » : Rimbaud, Baudelaire, Éluard, Michaud, Arthaud… Et ça se sent dans ses chansons (lire l'encadré « Clameur poétique »). Admirative de Léo Ferré, elle apprend ses chansons sur Noir Désir et Mano Solo. « Mon attirance pour la poésie, pour l'anarchisme et les questions existentielles vient sûrement du fait que j'ai été confrontée très tôt à la question de la mort. Atteinte d'une maladie génétique, on m'a retiré les intestins à 20 ans », confie-t-elle. L'urgence de créer se fait alors plus vive : comment faire avancer la chanson quand on est une femme, à l'image de Mama Béa, Brigitte Fontaine, Colette Magny ou de Catherine Ribeiro ?
Au fil des rencontres
Pour se faire un nom, elle débarque à Paris, où elle chante dans les bars, notamment à La Liberté (rue du Faubourg-Saint-Antoine), le QG du groupe Les Têtes raides, où elle croise le chanteur Christian Olivier. Mais aussi dans les squats d'artistes, où elle rencontre le guitariste de Mano Solo, Bayrem Ben Amor, et Daniel Jamet, de la Mano Negra, qui collaboreront avec elle par la suite. Tous l'encouragent à poursuivre mais bon, pas de sésame à la clé, il faut trimer… Elle joue alors dans la rue, devant un Monoprix à Daumesnil où elle récolte, en cinq heures, les bons jours, 100 euros en liquide et 100 euros de bouffe. Et c'est loin d'être Byzance. Elle plantera sa tente dans le bois de Vincennes un an durant… « La galère, je trouvais ça normal, je connaissais depuis mon enfance. J'avais l'énergie pour me consacrer à fond à la musique et pour manger des pâtes. »
L'Ankoude Melissmell, Pias, 14,99 euros.
En tournée dans toute la France.
Son site
Elle va jongler avec le RSA durant sept ans avant de signer pour un premier album, Écoute s'il pleut, en 2010. Repérée comme jeune espoir au festival Alors chante ! de Montauban, où elle remporte le deuxième prix du public en 2009, elle enchaîne alors les concerts : plus de cent dates par an. Et peut enfin bénéficier du statut d'intermittente du spectacle, en 2011. « Avant d'en arriver là, il fallait faire de la scène, et pour ça faire un album. C'est un peu comme un SDF qui cherche un toit sans emploi… » Avec un deuxième opus, Droit dans la gueule du loup, en 2012, elle continue les tournées et maintient ses droits au chômage.
« Les droits, ça s'arrache »
« L'intermittence est un statut précaire quand on fait de la musique. C'est bien d'être revenu au calcul des 507 heures sur un an, ça laisse plus de temps pour fabriquer un album. » Mais le moindre incident peut tout faire basculer. Ainsi, sa maison de disques, Discograph, a fait faillite ; elle est rachetée par Harmonia Mundi, puis par Pias. Résultat : la sortie de son troisième album a été retardée de plusieurs mois et Mélanie a perdu ses droits au chômage. Elle vit aujourd'hui grâce à sa pension d'invalidité. Avec une quinzaine de concerts prévue à l' automne 2016, elle n'a pas pu prétendre au statut d'intermittente qui en nécessite une quarantaine. Qu'a-t-elle pensé de la bataille des intermittents du printemps 2016 ? « Ils ont raison de se battre. La liberté comme les droits, ça s'arrache. Si on se laisse endormir, on se fait avoir. Moi, je ne manifeste pas mais je me bats dans la musique, je défile sur scène. De toute façon, je pense que chaque personne devrait avoir droit à un salaire à vie. » En attendant, Mélanie devra patienter encore quelques mois avant l'ouverture de nouveaux droits au chômage.
Biographie1981 : naissance à Valence.
2004 : chante sous le nom de Melissmell.
2009 : deuxième prix du public au festival de Montauban.
2011 : sortie d'Écoute s'il pleut et prix Georges-Moustaki.
2012 : sortie de Droit dans la gueule du loup.
2016 : sortie de L'Ankou.
Clameur poétique
Melissmell porte haut la contestation. Elle fustige le mépris des puissants pour ceux d'en bas, questionne une démocratie vacillante et des citoyens apeurés prêts à se jeter dans la gueule du loup au fil de ses précédents albums avec des chansons comme
Aux armes,
Les Enfants de la crise,
Les Brebis ou
Bleu marine. Dans son dernier opus,
L'Ankou (serviteur de la mort, dans la mythologie bretonne, chargé de charrier les âmes), la voix grave et puissante de Melissmell, portée par une musique très rock, nous livre des paroles sacrément bien ciselées. Comme dans
Le Chant des éclairés, magnifique morceau qui interroge les lendemains à construire quand
« à chaque fin de siècle naît un phare qui expire ». Elle nous livre encore, dans
Khmar, une chanson rageuse contre la domination masculine :
« Putain, je n'aurais pas de fils/La vieillesse me guette, Sans rien devoir à personne/Pour des larmes que tu n'auras jamais versées. »
Après la tuerie de Charlie Hebdo, elle compose Le Pendu, où elle exhorte les assassins à pendre leur Dieu comme ils pendent les femmes. Si une saine colère s'élève magistralement avec des accents rappelant Noir Désir, les paroles de Melissmell empruntent des chemins éminemment poétiques qui subliment ses interrogations.