Jeune chef opérateur du son, Pierre A. vient d'apprendre que ce métier ouvre droit au régime d'intermittent du spectacle. Une rude expérience en entreprise l'a conduit à se syndiquer « pour transmettre que nous avons des droits ».
BTS audiovisuel en poche, Pierre A. voit sa carrière professionnelle commencer sur des chapeaux de roue : il est embauché en CDI – fait rare – dès le lendemain de sa sortie de l'école. Et débute comme chef opérateur son et mixeur dans une petite société de postproduction dont il préfère taire le nom, car il la quitte au bout de cinq ans et demi, après un licenciement économique « assez rude ». Les débuts idylliques ont en effet tourné au vinaigre dès que le jeune technicien s'est renseigné pour être délégué du personnel dans cette TPE… puis a adhéré au Syndicat des ouvriers, techniciens et personnels administratifs du cinéma et de l'audiovisuel (SPIAC-CGT).
Fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l'audiovisuel et de l'action culturelle (FNSAC-CGT).
« J'avais eu la chance de trouver du travail aisément et j'ai fait beaucoup d'heures. Donc, avant de quitter l'entreprise, je m'étais informé : convention collective, documentation sur les droits et le régime d'intermittent. J'ai trouvé toutes les informations auprès du syndicat et à la fédé. On m'a tout expliqué : le régime, l'indemnisation, les droits rechargeables, le nombre d'heures ouvrant droit à indemnisation chômage. »
Ce jeune homme a dans les mains un métier qui demande précision et rigueur. C'est en effet un peu le « chef d'orchestre » de tout ce qui est sonore dans un film de cinéma ou de télévision, dans une série d'animation, un documentaire pour le Web et même quelques bandes annonces. Tous les éléments de son lui sont fournis : les prises de son en studio, le doublage ou la postsynchronisation, les bruitages et la musique. « Il faut mettre ensemble tous ces éléments, les enrichir par exemple de timbres, d'effets, de “réverb”. Dans les métiers de la postproduction son, on travaille d'abord seul. Chacun livre ses propres éléments sonores – autant d'étapes vers l'ensemble – et moi je dois intégrer, harmoniser grâce au mixage. Puis, je travaille en fonction des choix artistiques du réalisateur qui a donné des indications et qui fait des commentaires sur le résultat qu'on lui fait écouter. »
Un métier solitaire
Un métier qui se pratique en très petites équipes et souvent seul, ou dans de petites structures. Cet isolement, Pierre l'a ressenti et, s'il dit avoir beaucoup appris pendant ce premier emploi, c'est surtout au niveau professionnel, mais très peu sur les droits et sur le régime d'intermittence auquel rien ne l'avait préparé. À peine quelques cours de droit du travail pendant ses études, mais rien sur le régime de salarié intermittent. Raison pour laquelle il a aussi ressenti ce besoin de militer « car dans les TPE, on est très seul et il y a peu de transmission de ces informations, alors que les besoins sont immenses et qu'on a déjà si peu de droits. On ne connaît pas les principes et, ne serait-ce que pour comprendre la logique du régime d'indemnisation chômage lié à l'intermittence et s'y retrouver dans la jungle des droits, c'est déjà un parcours du combattant. » De plus, en raison des âpres luttes pour que le régime d'indemnisation des intermittents reste dans le régime général et que l'ouverture des droits soit plus ou moins accessible, de nombreux changements sont intervenus pendant la dernière décennie. « La fédé a fait un super-boulot avec ce guide », déclare Pierre en exhibant la nouvelle édition du Guide pratique des droits des salariés du spectacle, du cinéma et de l'audiovisuel, qu'il a toujours avec lui (lire l'encadré « Vade-mecum »), « mais on ne peut pas faire l'économie d'avoir l'équivalent de ce guide sur Internet, ce qui permettrait de le réactualiser à chaque modification et de faire remonter les questions des syndiqués ou des informations concrètes et précises. De plus, dans ma génération [il n'a pas encore 30 ans, NDLR], on est plus demandeur d'outils numériques, et la CGT spectacle reste la référence. Il y a bien la plateforme CGT et sa permanence sociale, depuis un an, mais ça n'est pas suffisant. » Une piste à suivre vu la carence des institutions que constatent nombre d'intermittents du spectacle.
En effet, si Pôle emploi dispose bien d'un accueil téléphonique, via le 3949, Pierre déplore qu'il y ait « de la désinformation », ce que confirme un communiqué de la FNSAC-CGT : « Des propos inadmissibles de la part certains services de Pôle emploi nous ont été rapportés. En effet, sur le serveur vocal 3949 de Pôle emploi, des agents auraient affirmé : “Les dossiers sont bloqués, vous n'avez qu'à vous en prendre à vos syndicats. Ils ont refusé de signer l'accord.” Ceci est évidemment complètement faux : l'accord du 28 avril a été régulièrement signé, notamment par la CGT Spectacle, et déjà transposé par le décret du 13 juillet. Le système d'information de Pôle emploi a été adapté pour intégrer cette nouvelle réglementation. Il est normalement opérationnel pour appliquer toutes les nouvelles règles, y compris rétroactivement, et ce, à la publication du décret. »
Désinformation
Pierre, qui côtoie beaucoup d'autres jeunes travailleurs du spectacle, constate que nombreux sont ceux qui « n'osent pas demander et s'estiment déjà heureux de décrocher un contrat, qu'ils signent sans l'avoir lu, sans savoir vraiment quel est le salaire et encore moins de quelle convention collective ils dépendent. Et la loi El Khomri vient encore compliquer les choses, notamment sur les heures supplémentaires », remarque-t-il en déplorant « trop d'individualisme chez les intermittents » ce qui, par exemple, amène les employeurs à négliger de reconnaître l'ancienneté. « On peine à faire valoir notre expérience en raison de la précarité et d'un monde de plus en plus concurrentiel, mais si on ne fait rien, on aura des sous-conventions avec des droits sous le minimum. » Débutant tout juste sous le régime de l'intermittence, Pierre le voit comme « un principe de solidarité. Ce n'est pas une subvention mais un droit pour lequel les générations précédentes se sont battues et qu'il faut préserver et améliorer. D'autant, précise-t-il, que dans beaucoup de nos métiers, les carrières peuvent être courtes et que souvent, passé cinquante ans, les producteurs ne t'appellent plus. »
Précarité, faibles salaires, ces incertitudes qui ne manquent pas de peser sur le quotidien : « Lorsque j'étais en CDI, je me suis renseigné pour faire un emprunt afin d'acquérir un logement, mais le montant de mon salaire était trop faible pour qu'on me prête car les banques regardent vos revenus sur trois ans. Sous le statut d'intermittent, même en travaillant régulièrement, il n'est pas sûr que ce soit différent, car les banques verront plutôt les périodes chômées que celles travaillées… Et encore, je suis jeune et sans famille à charge, mais pour les femmes qui ont des enfants, c'est la double peine, car si on m'appelle notamment pour remplacer des personnes absentes pendant les congés scolaires, je suis disponible, je peux aussi travailler tard. Une femme qui a des jeunes enfants sera nécessairement pénalisée. » Pierre espère travailler prochainement sur des courts et des longs métrages mais, on l'aura compris, il est de ceux qui ont décidé de se faire entendre.
Vade-mecumIl ne faut pas moins de 216 pages pour comprendre ses droits lorsqu'on est salarié du spectacle, du cinéma ou de l'audiovisuel. Depuis octobre 2016, la CGT Spectacle a toiletté son précieux guide pratique dont la quinzième édition (vendue 15 euros) est l'instrument indispensable pour s'y retrouver, notamment depuis l'adoption de la loi « Travail ». Contrat de travail, retraites et prévoyance, formation professionnelle, privation d'emploi, protection sociale, ainsi que les précieuses annexes avec leur carnet d'adresses indispensables sont autant de chapitres de ce guide réalisé par la FNSAC-CGT.