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CINÉMA

Opération patriotique : Dunkerque sous l’œil de Nolan

26 juillet 2017 | Mise à jour le 28 juillet 2017
Par | Photo(s) : Warner Bros. Entertainment Inc.
Opération patriotique : Dunkerque sous l’œil de Nolan

"Les guerres ne se gagnent pas avec des évacuations", disait W. Churchill en parlant de l'"opération Dynamo"

Avec Dunkerque, le grand cinéaste américano-britannique, Christopher Nolan, signe sa première fiction adaptée d’un fait historique. La mise en scène à sensation est époustouflante. Dommage que le propos n’aille pas beaucoup plus loin qu’un vibrant hommage patriotique. Analyse

C’est le grand film historique de l’été. Et pour cause. Après avoir beaucoup impressionné, ces dernières années, avec sa trilogie des Batman ou des films de science-fiction comme Inception (2010) et Interstellar (2014), le grand cinéaste américano-britannique Christopher Nolan change de genre et s'empare de l’épisode historique de l’opération Dynamo pour s’essayer au film de guerre. L’histoire est connue : au début de la Seconde Guerre mondiale, fin mai 1940, environ 400 000 soldats britanniques, canadiens, français et belges se retrouvent encerclés par les troupes allemandes dans la poche de Dunkerque. La bataille de Dunkerque (nom de code : Opération Dynamo) est alors lancée pour évacuer le corps expéditionnaire britannique (CEB) vers l’Angleterre. En clair, les troupes françaises, belges et canadiennes font barrage à l’ennemi allemand pour permettre aux Anglais de retourner sur leur île sans quoi ils risquaient fort de ne pas pouvoir la défendre.

Disons-le tout de suite, c’est un grand spectacle inclassable : quelque part entre le blockbuster hollywoodien, le film de guerre, le jeu vidéo, le film d’action et même la poésie. Nolan brouille les pistes. Se démarquant de tout projet de reconstitution historique, il parie sur un récit à trois temporalités qui se superposent et sont annoncées dès le départ : une semaine sur terre, un jour en bateau et une heure en avion. Voilà le programme à l'embarquement. Car la mise en scène joue sur les sensations (on pense à Gravity d’Alfonso Cuaron) : que ce soit aux côtés d’un jeune déserteur (Fionn Whitehead) qui se bat pour forcer le passage sur un navire, aux côtés d’un riche britannique venu chercher des soldats sur son bateau privé, ou dans la carlingue aux côtés des pilotes de la Royal Air Force, le spectateur est embarqué. Et le mode narratif à trois bandes renforce la structure et le suspense du film. Résultat : la mécanique fonctionne somptueusement. La musique de Hans Zimmer, elle, enveloppe tout. Jusqu’à étouffement, malheureusement. Voilà pour la forme.

Le magnifique oubli du sacrifice des soldats de l’opération Dynamo

Sur le fond, l'absence de traitement du rôle des troupes françaises dans cet épisode, tout juste esquissé au début du film, et le peu de cas accordé par le scénario aux hommes qui ont su protéger la retraite anglaise avant de regarder les derniers navires disparaître, tout en sachant qu’ils allaient, eux, basculer dans l’horreur, sont problématiques. Car le film s’appelle Dunkerque et non pas Dynamo. L’hommage au peuple anglais, pourquoi pas ? Quel mal à saluer l’héroïsme du voisin insulaire lors de cette période de l’histoire européenne? Encore qu’en ces temps de Brexit orageux, on croit deviner un sous-entendu selon lequel les Anglais seraient plus forts en ne comptant que sur eux-même… Bien sûr, le film pose la question du courage. À travers l’histoire d’une défaite. Et même à travers le destin d’un jeune soldat qui tente à tout prix de fuir le combat. Sont mis sur le même plan un pilote héroïque de la Royal Air Force et un déserteur, ce qui ne manque pas d’audace dans un grand spectacle hollywoodien. Et le propos selon lequel être courageux, c’est moins d’affronter ou d’abattre un ennemi plus fort que soi, que se de donner les moyens de survivre et d’aider son prochain à ne pas mourir donne matière à réfléchir.

Les guerres ne se gagnent pas avec des évacuations, disait W.Churchill en parlant de l’«opération Dynamo ».

Mais alors que Nolan livre un film iconoclaste sur plusieurs registres, le sens du récit reste d’une banalité tout à fait conventionnelle : les séquences s’enchaînent où les bateaux coulent, où tous les espoirs s’effondrent un à un, où on touche le fond (presque littéralement) jusqu’à cette scène présentée comme un miracle : des bateaux de civils britanniques apparaissent à l’horizon et l’Amiral Bolton (Kenneth Brannagh), qui croyait aller tout droit à l’abattoir du haut de la jetée, de lâcher un « Home ! » les yeux pleins de larmes. À partir de là, l’espoir revient et tout s’enchaîne merveilleusement jusqu’à cet avion de la Royal Air Force, qui, à court de carburant, parvient tout de même à neutraliser un bombardier allemand sanguinaire. Et à se poser sur la plage avec la poésie d’un oiseau, malgré ses roues initialement rouillées. Certes, le pilote (Tom Hardy) est vite cerné par des soldats ennemis venus l’accueillir mais à ce stade, ça déborde. Trop de bons sentiments. Trop simpliste. En 1958, un autre Dunkerque, réalisé par Leslie Norman, fait plus d’un million d’entrées en France, à l’époque, et est bien plus nuancé. C’est pourtant l’un des derniers films des Ealing Studios de Michael Balcon, connu pour ses films patriotiques. Il montre notamment la bonne volonté toute relative pour ne pas dire la franche tendance au refus d'une bonne partie du peuple anglais de risquer sa vie et ses embarcations pour venir secourir ses soldats. Car ce qui fut perçu comme une victoire côté anglais s’inscrit, malgré tout, dans une défaite militaire historique.

Dunkerqueréalisé par Christopher Nolan. 1 h 47. Sortie nationale : le 19 juillet