Projet de loi de finances 2021 : un budget comme si de rien n’était
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L'heure n'est plus aux envolées lyriques présidentielles pour expliquer la politique du gouvernement. Le 27 septembre, avec la présentation du premier projet de loi de finances (PLF ou budget) du quinquennat, les chiffres ont parlé. Deux priorités se dégagent pour « transformer notre modèle économique », objectif fixé par Emmanuel Macron : réduire le déficit public (2,6 % en 2018 pour atteindre 0,2 % en fin de quinquennat) et la dette – conformément à l'engagement pris à Bruxelles – et lever la contrainte fiscale qui pèse sur les plus riches. Le gouvernement fait un pari : ces personnes placeront l'argent ainsi récupéré dans les entreprises installées en France lesquelles disposeront alors des financements dont elles ont besoin pour « investir, innover et créer des emplois » au bénéfice de tous les Français. C'est ce que martèle le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire. Une déclinaison de la « théorie du ruissellement », en échec depuis quarante ans aux États-Unis, qui réunit tous les ingrédients d'une explosion des inégalités.
Le ministère de l'Économie a beau avoir édité un petit « livret » vantant ce que le gouvernement fait pour le pouvoir d'achat des ménages, les chiffres sont têtus. Loin d'une logique de redistribution des richesses vers les plus modestes, le PLF favorise les ménages les plus aisés avec deux mesures fiscales emblématiques destinées à lutter contre la rente : la création d'une « flat tax » et la réforme de l'impôt sur la fortune (ISF) – le plus gros cadeau fiscal fait aux riches depuis trente ans –, qui leur économiseront respectivement 1,3 milliard d'euros d'impôts et 3,2 milliards.
Alors que les revenus du capital sont soumis aux prélèvements sociaux (CSG, CRDS…) et, depuis 2013, leur fiscalité alignée sur le barème progressif de l'impôt sur le revenu (IR), Emmanuel Macron opte pour un prélèvement forfaitaire unique (PFU ou « flat tax ») à hauteur de 30 %. Dès le 1er janvier 2018, il s'appliquera aux intérêts, dividendes, plus-values de cessions de valeurs mobilières, etc. Cela, pour ne pas « désavantager certains placements qui pouvaient atteindre des taux marginaux d'imposition allant jusqu'à 65 % »,explique Bruno Le Maire. Dans le même temps, l'impôt sur la fortune (ISF, une taxe sur le patrimoine supérieur à 1,3 million d'euros) est supprimé et remplacé par un simple impôt sur la fortune immobilière (IFI) dont les revenus (loyers) restent imposés au barème de l'IR. Les valeurs mobilières (portefeuilles d'actions, obligations, etc.), quant à elles, seront exonérées de l'ISF.
En ajoutant les dispositions ciblées sur les entreprises – baisse du taux de l'impôt sur les sociétés (IS), suppression de la taxe sur les dividendes, etc., alors même que les bénéfices explosent –, le total des avantages fiscaux offerts par l'État aux détenteurs du capital s'élève à 6 milliards d'euros. Ils commenceront à les encaisser dès le 1er janvier 2018.
Bruno Le Maire se défend d'avoir conçu un budget pour les riches. Sur les 10 milliards d'euros de baisses d'impôts prévus sur l'année, il en reste effectivement 4 pour augmenter le pouvoir d'achat de tous les autres Français. Las ! Rien ne se passera comme pour les riches. Comme ils seront très nombreux à se les partager, cela fera peu par ménage, et les baisses de cotisations sociales (maladie et retraite) prévues à cet effet seront étalées sur l'année en deux temps. Finalement, au 1er janvier, l'augmentation de salaire n'excédera pas 0,5 % pour atteindre en tout 0,74 % (au lieu de 1,45 % si la bascule s'était faite en année pleine). Ainsi l'État économisera 4,5 milliards d'euros, soit l'équivalent des cadeaux fiscaux faits aux plus nantis.
De même, la hausse de la prime d'activité est échelonnée sur quatre ans, l'exonération de la taxe d'habitation s'étale sur plusieurs années, etc. Par contre, l'augmentation de la CSG (+1,7 %) prendra, elle, pleinement effet en début d'année. En définitive, la classe moyenne ne profitera pas du PLF 2018, la majorité des retraités perdra en pouvoir d'achat et les fonctionnaires se demandent comment le gain de pouvoir d'achat promis pourrait se matérialiser puisque leur point d'indice est de nouveau gelé.
Les cadeaux fiscaux coûtent cher, et vouloir rentrer dans les clous de Bruxelles oblige. L'État prévoit donc des coupes drastiques dans les dépenses publiques. Il estime avoir besoin de récupérer 15 milliards d'euros, ce qui produit un budget d'austérité. L'effort sera réalisé par l'État (7 milliards d'euros), la Sécurité sociale (5 milliards d'euros) et les collectivités locales (3 milliards d'euros).
La lutte contre les déficits affectera les transferts sociaux et les services publics, pénalisant d'abord les ménages les plus modestes qui, précisément, en ont le plus besoin. Un coup de rabot est également donné à des mesures indirectes de redistribution des richesses : baisse des crédits pour les contrats aidés (lire p. 36 de la NVO d'octobre 2017) de 2,5 milliards d'euros, pour les primes à l'embauche…
La mission ministérielle à la Cohésion du territoire voit son budget tomber de 18,3 milliards d'euros à 16,5 milliards l'an prochain, puis à 15 milliards en 2019. La baisse y est concentrée sur les aides au logement : suppression du dispositif de l'aide personnalisée au logement (APL) « accession à la propriété » et diminution progressive de la participation de l'État dans le Fonds national d'aide à la pierre. Le logement social est mis à la diète par la coupe de 1,7 milliard d'euros dès 2018 dans le dispositif des APL (à la baisse généralisée de 5 euros non compensée au 1er octobre 2017 s'ajoute une baisse jusqu'à 60 euros dans le parc social). Priés de trouver de nouvelles sources de financement, les bailleurs sociaux – qui logent dix millions de personnes – se voient proposer par l'État de mutualiser leurs ressources, de geler le taux du Livret A pendant deux ans et d'abaisser au premier euro le seuil de déclenchement des suppléments de loyer de solidarité (SLS des locataires dont les revenus sont supérieurs aux plafonds). « On s'attaque aux deux outils de la solidarité nationale envers les plus fragiles : l'APL et le logement social », a estimé Christophe Robert, porte-parole de la fondation Abbé-Pierre.
Le PLF 2018 est présenté par le gouvernement comme « un budget de transformation et de pouvoir d'achat ». C'est le signe « d'un changement profond de notre modèle social »,rétorque la CGT. Car la réalité est bien que ce budget affaiblit la société française en faisant le choix des riches. Il sabre dans les transferts sociaux, affaiblit les services publics, au mépris des ménages modestes. Les inégalités entre eux et les classes moyennes vont se creuser, de même que le fossé entre ces dernières et les catégories supérieures.
Alors que les 10 % des Français les plus riches possèdent déjà plus de la moitié de la richesse nationale, l'Office français de conjoncture économique estime que, sur le quinquennat, ils concentreraient 46 % des baisses d'impôts prévues et gagneraient dans ces réformes six fois plus que le revenu médian et dix-huit fois plus que les 10 % les plus pauvres. Non seulement le gouvernement dit vouloir lutter contre la rente alors qu'il met tout en place pour qu'elle explose mais, de plus, comme le souligne un rapport de l'ONG Oxfam, il « fait le choix délibéré d'affaiblir la fonction redistributive de l'impôt et de s'affranchir d'un contexte où les inégalités clivent la société ». En effet, les dispositions fiscales du PLF appellent quasiment les plus aisés à faire sécession du reste de la société, ce qui amplifiera le sentiment de déclassement des classes moyennes. Un très gros risque au regard de la situation politique et sociale française.
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