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Les vies de Ferguson

22 avril 2018 | Mise à jour le 20 avril 2018
Par
Les vies de Ferguson

Qui ne s'est pas une jour imaginé ce qu'aurait pu être sa vie « si »… ? Ce « si », le romancier new-yorkais Paul Auster en fait le centre des différentes probabilités de vie du jeune Ferguson qui aura (ou pas) 21 ans en 1968. Prétexte littéraire pour peindre l'Amérique mouvementée des sixties.

Avec son titre en forme de compte à rebours, 4 3 2 1, qui sert de prélude à la fantaisie du romancier, Paul Auster donne autant de formes qu'il le souhaite au destin de ses personnages. Écrivain démiurge, ayant droit de vie ou de mort, son imagination ne connaît d'autres limites que celles qu'il se fixe. En écrivant ce pavé, jamais indigeste, le romancier new-yorkais donne à Archie Ferguson la possibilité d'incarner quatre garçons différents, mais avec les mêmes parents, la même enveloppe charnelle, jusqu'au même génome. Chacun des quatre Archie Ferguson suivra un chemin singulier, au gré des circonstances et des rencontres qui vont façonner sa vie.

Sur la route de Ferguson

Le lecteur, lorsqu'il commence juste à connaître un de ces Ferguson, est désarçonné et prié d'en découvrir un deuxième, un troisième puis un quatrième.

Auster tire sans sommation, mais, passé la surprise initiale, on se fait plutôt bien à ces sauts spatio-temporels, à ces routes qui, par essence, ne peuvent se croiser, à ces bifurcations de ce que, faute de mieux, on appellera destin. De zéro à vingt ans, les quatre avatars de Ferguson vont connaître toutes les premières fois et se retrouver dans une commune disposition pour l'écriture.

On s'accroche, on s'attache même à chacun de ces versions du même protagoniste, alors que se dévoile un dessein plus vaste, celui de nous faire découvrir par Ferguson(s) interposé(s), un panorama de l'histoire des États-Unis dans les années 1950 et surtout dans les remuantes sixties.

Divergences et convergences

En donnant naissance à quatre Ferguson – chacun exprimant un intérêt pour la politique – et à tous ses proches, ce sont autant de regards divergents ou convergents qui sont portés sur l'enfance et l'adolescence, New York ou une autre ville, la guerre du Vietnam, le monde étudiant en ébullition, le mouvement pour les droits civiques, les assassinats de grands leaders, la libération des mœurs, la vie politique, la répression ou la libération, les inégalités et les revers de fortune, les infinies possibilités de la vie…

Un (grand) roman américain

Seul petit reproche de lectrice européenne, les digressions sur le baseball, si elles témoignent entre autres points, de la convergence entre les Ferguson et Auster, semblent surtout destinées à un public américain se passionnant pour ce sport élevé au rang de culte national. On est donc autorisé, si l'on n'en est pas féru, de sauter ces quelques paragraphes, ce qui, parmi les 1016 pages du roman, devrait passer tout à fait inaperçu !

Un grand roman à tous points de vue, où la forme, vertigineuse (ces phrases longues, mais limpides) conditionne l'histoire et qui est aussi un formidable éloge de la littérature, qu'on en soit lecteur ou auteur.

Extrait « Tout du long, depuis le commencement de sa vie consciente, il avait le sentiment persistant que les embranchements et les routes parallèles que l'on a pris ou pas étaient tous empruntés par les mêmes personnes au même moment, les gens visibles et les invisibles et que le monde réel ne pouvait jamais être davantage qu'un simple fragment du monde car le réel se composait aussi de ce qui aurait pu arriver mais ne s'était pas produit, qu'une route n'était ni pire ni meilleure qu'une autre mais que le tourment de vivre dans un corps singulier faisait qu'à tout moment on ne pouvait se trouver que sur une seule route, même si on aurait aussi bien pu se trouver sur une autre, en train de se diriger vers un but complètement différent. (…) »

NVO – La Nouvelle Vie Ouvrière, le magazine des militants de la CGT, actualité sociale et juridique -4, 3, 2, 1de Paul Auster. Actes Sud, 1024 pages, 28 €