Mai 68 : sous les clichés, la grève
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Les services financiers de la poste en 68, c'est plus de 10 000 personnes à Paris, plusieurs dizaines de milliers en France. À plus de 95 %, le personnel y était féminin. J'étais chargée par ma fédération de coordonner l'activité syndicale des dix-huit régions françaises.
La grève débute le 18 mai. Les hommes, très minoritaires dans le service, travaillaient la nuit et ont occupé le site. Le 19, l'ensemble des travailleurs (femmes et hommes) votent à main levée la grève et la poursuite de l'occupation, qui seront reconduites tous les jours jusqu'au 6 juin. En France, dans les services financiers des postes, il y a environ 80 % de grévistes, comme à Paris
Le fil rouge de notre activité syndicale depuis la Libération, c'était le droit au travail des femmes et notre reconnaissance comme salariées à part entière, contre la mentalité selon laquelle le salaire des femmes était un salaire d'« d'appoint ». Nous revendiquions la réduction du temps de travail à 35 heures en 5 jours et 2 jours de repos consécutifs, et tout ce qui concerne la santé au travail. Nos conditions de travail étaient particulièrement pénibles après l'arrivée des ordinateurs au début des années 1960 : le travail s'apparentait à un travail à la chaîne pour celles qui bossaient au service caisse. Nous avons aussi exigé 3 jours pour garde d'enfant malade, l'allongement du congé maternité, la réversibilité de la retraite sur le conjoint, et l'ouverture de tous les emplois aux femmes, car les boulots qualifiés ou de chefs étaient réservés aux hommes.
La grève a été dure mais joyeuse, menée en intersyndicale CGT/CFDT/FO. (La CGT était le syndicat le plus représentatif avec 44 %). Notre grève était dirigée par des femmes. Nous avons veillé à ce qu'il n'y ait pas de représailles contre les chefs (hommes) qui avaient fait subir des humiliations aux femmes pendant des années. La grève libère aussi des pulsions de vengeance et on peut le comprendre, vu ce que nous avions supporté.
La reprise ne s'est pas faite partout en même temps, car d'un centre à un autre il y avait des particularités, des revendications spécifiques des travailleuses. Mais nous avons décidé en intersyndicale de reprendre le boulot, car les avancées étaient conséquentes : reconnaissance du syndicalisme et affirmation de notre dignité de femmes au travail.
Par ailleurs, ce qui avait été arraché à Rouen grâce à un conflit mémorable au début des années 1960, soit 36 heures 30 et un samedi libre sur deux, s'est généralisé aux dix-huit centres. Nous gagnions aussi six jours de congé pour enfant malade et des augmentations générales de salaires. Je garde de 68 le souvenir d'un extraordinaire moment de joie et de bonheur. Pour moi c'était en quelque sorte un premier aboutissement des nombreuses luttes menées précédemment.
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