Au cœur des manifs… notre modèle social
Plusieurs dizaines de milliers de lycéens, étudiants, salariés, fonctionnaires et retraités ont manifesté mardi 9 octobre partout en France, pour la première fois depuis la... Lire la suite
Avec l'avalanche de ses réformes, Emmanuel Macron aura au moins bénéficié du soutien de Pierre Gattaz. Le 25 avril dernier, sur France Inter, le patron des patrons s'est félicité de sa politique, l'appelant à assumer des réformes de « rupture » et affirmant : « De temps en temps, il faut accepter qu'un gouvernement prenne la main […] et aille vite, parce que nous, quand on négocie, ça peut durer des années, pour des adaptations douces. » En clair, pour le Medef, le locataire de l'Élysée fait le job, allant plus vite et plus loin que ce que le patronat pourrait espérer. Un an après l'élection présidentielle, l'actualité du printemps 2018 est d'abord marquée en France par une montée des colères et une poussée des luttes, dans le monde du travail, dans les services publics et les entreprises privées, parmi les retraités, dans la jeunesse, en particulier la jeunesse étudiante qui refuse de voir son avenir sacrifié.
Car depuis 2017, il ne s'agit plus seulement, pour l'exécutif, de poursuivre les politiques des précédents gouvernements, quitte à en intensifier le rythme et l'ampleur. Mais bel et bien, sur tous les fronts, d'aller au bout de la démolition brutale du droit du travail et des protections collectives acquises par les luttes en particulier depuis la mise en œuvre du programme du Conseil national de la Résistance.
Les chantiers prolifèrent. Réforme du droit du travail et flexibilité sans précédent dans les entreprises, à la demande et à la satisfaction du Medef. Multiplication des possibilités de licenciement, comme par les ruptures conventionnelles dites collectives. Plafonnement des droits des salariés aux prud'hommes. Dislocation des services publics, avec leur privatisation ou leur soumission aux normes concurrentielles.
Désagrégation de leurs missions d'intérêt général et du statut des fonctionnaires qui en garantissent l'indépendance, ou des agents qui en assurent la sécurité, comme à la SNCF dont la réforme se veut un marqueur, pourtant non annoncé, du quinquennat. Blocage d'une réelle et urgente augmentation des budgets dans les secteurs de la santé et de l'éducation notamment, au nom de l'absence de moyens. Pérennisation de la baisse de l'impôt sur les sociétés et réforme de l'impôt sur la fortune, faisant gagner aux plus riches plusieurs milliards d'euros. Réforme en cours de la protection sociale, avec le refus de toute augmentation de ses ressources et le remplacement programmé d'un régime à prestations définies par un autre à cotisations définies. Réforme de l'assurance chômage et de la formation professionnelle, pour laquelle l'exécutif est passé outre les négociations entre organisations syndicales et patronales. Réforme encore de l'entrée à l'université qui, pour mettre un terme à l'insupportable loto du tirage au sort, renforcera en réalité une compétition fondée sur les inégalités…
Derrière la novlangue technocratique du président, qui présente les changements à marche forcée comme l'adaptation nécessaire aux transformations du monde moderne, apparaît bel et bien en réalité une révolution libérale brutale dont l'ancien banquier devenu ministre puis locataire de l'Élysée entend affecter tous les domaines de la société.
À force, les mécontentements s'accumulent, les exigences de justice se renforcent, des mobilisations s'organisent, les têtes se relèvent. Hôpitaux, EHPAD, SNCF, justice, EDF, enseignement secondaire et supérieur, nettoyage, mais aussi entreprises privées, dans la métallurgie, la verrerie, l'agroalimentaire, le transport, le commerce et la grande distribution… nombre de secteurs sont touchés par les mouvements revendicatifs des salariés.
Les uns revendiquent, comme à Carrefour, un minimum de justice, un autre partage des richesses entre ceux qui perçoivent des bénéfices considérables et profitent des largesses gouvernementales en cadeaux fiscaux et ceux qui n'ont que leur travail et sont menacés de le perdre. D'autres rejettent la nouvelle forme de licenciement qui les broie, cette fameuse rupture conventionnelle collective introduite par le gouvernement et qui permet de licencier massivement sans les obligations d'un PSE. Dans les hôpitaux, les EHPAD… les professionnels défendent le droit d'exercer correctement leurs missions de service public. Ils réclament des moyens pour la santé, contre les fermetures des urgences, les suppressions de lits, la maltraitance institutionnelle dont sont victimes nos aînés faute de moyens humains et matériels. Les cheminots, eux, refusent la privatisation programmée des transports ferroviaires accompagnée de la fin du statut, avec les conséquences d'un tel bouleversement en termes écologiques, de sécurité des voyageurs et de survie économique de territoires entiers.
Exigence de justice, défense de l'intérêt général et volonté de qualité du travail et au travail apparaissent ainsi, dans la diversité des situations et des luttes, comme des fils rouges qui remettent sur le métier la question du sens du travail. C'est ainsi que nombre de luttes se construisent dans la solidarité intercatégorielle, mobilisant les équipes de travail, comme par exemple les médecins et les infirmiers ou aides-soignants, et remettant en cause des organisations managériales qui nuisent à la qualité des missions.
Mais, comme le faisait remarquer Philippe Martinez dans un entretien fin mars à nos confrères de L'Humanité, pas plus qu'il n'y a eu en 1968 de mot d'ordre de grève générale, ne peut se décréter d'en haut une « convergence des luttes ». Celles-ci, analyse-t-il, relèvent d'abord du « cousu main ». Et ce cousu main, c'est en premier lieu l'écoute, la capacité des organisations syndicales à permettre aux salariés d'exprimer leurs besoins et revendications, de décider de leurs formes d'engagement et de luttes. Mais c'est aussi leur capacité à défendre des propositions crédibles, à les mettre en débat, avec le collectif de travail comme, pour ce qui concerne les services publics, avec les usagers. C'est ce que font, par exemple, les cheminots CGT qui, loin de tout statu quo, ont élaboré un projet alternatif à celui du gouvernement (voir notre précédente édition) et le mettent en débat avec leurs collègues et dans les gares.
La convergence relève ainsi surtout de l'articulation de toutes ces spécificités : de métiers, de catégories professionnelles, de propositions et projets. Elle suppose aussi un engagement sans précédent de l'interprofessionnel. D'autant plus que le monde du travail se caractérise aujourd'hui par l'éparpillement de lieux de travail, la sous-traitance, l'insécurité et la précarisation des salariés…
Cette convergence implique aussi un travail patient et déterminé auprès de ce que l'on nomme l'opinion publique. Dans ce domaine, le rouleau compresseur médiatique est à la mesure du rouleau compresseur des réformes gouvernementales. L'exécutif entend à la fois affirmer le caractère incontournable de ses réformes, et prétendre à la ringardise des organisations syndicales et au caractère minoritaire sinon violent des mobilisations, notamment dans les universités.
Pas sûr pourtant que cela suffise. En témoigne le besoin qu'a éprouvé Emmanuel Macron d'intervenir par deux fois en une semaine sur les chaînes de télévision, ou bien le fait que l'Intérieur ait eu recours au déploiement de la force et de la répression de façon inédite tant dans les facs qu'à Notre-Dame-des-Landes.
Nicolas Sarkozy, dans ses meetings, faisait siffler la CGT. Emmanuel Macron, lui, affiche à l'égard de l'ensemble des organisations syndicales un mépris jupitérien, prétendant transformer toute négociation sur les réformes en simple échange sur les modalités de leur mise en œuvre, ou encore laissant les syndicats découvrir ses décisions par voie de presse. En dépit de divergences tant sur les objectifs que sur la stratégie, la profondeur de la contre-révolution en cours, le mépris et l'autoritarisme arrogant affichés par le pouvoir contribuent pour leur part à des convergences intersyndicales qu'il est important d'élargir.
Cinquante après le printemps de 1968, Emmanuel Macron et son équipe entendent mettre en œuvre ce que Nicolas Sarkozy espérait : « En finir avec Mai 68. » Et aller bien au-delà dans les remises en cause. Face à un tel programme, ce qui se joue en ce printemps sera sans doute déterminant.
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