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Le paradoxe d’Anderson, un grand roman social

4 septembre 2018 | Mise à jour le 5 septembre 2018
Par | Photo(s) : Charly Triballeau / AFP
Le paradoxe d’Anderson, un grand roman social

Issu du monde ouvrier, Pascal Manoukian n'a pas oublié ses origines. Et le prouve magnifiquement dans son nouveau livre Le paradoxe d'Anderson où la rentrée sociale percute la rentrée littéraire. Roman du déclassement social, il dénonce le rouleau compresseur de la politique ultralibérale.

Le paradoxe d’Anderson, enseigné en économie, est le fait que malgré un niveau de diplôme supérieur à celui de leurs parents, les enfants ne parviennent pas à atteindre un statut social plus élevé. Le nouveau roman de Pascal Manoukian, journaliste, grand reporter et directeur éditorial de l'agence Capa frappe fort et juste, là où le corps social souffre.

Aujourd'hui, non seulement l'entrée dans le monde du travail est de plus en plus difficile et les emplois de plus en plus précaires, mais la solidarité intergénérationnelle est mise à mal par une politique de guerre ouverte aux pauvres.

Aline et Christophe, ouvriers du nord de l'Oise, seraient sans doute qualifiés de « gens qui ne sont rien » par notre premier de cordée présidentiel… En effet, ils n'ont pas pu faire d'études, ne vont pas travailler en costard, mais bossent dur depuis qu'ils ont quitté l'école. Elle chez Wooly, une entreprise du textile, lui chez Univerre, une usine de bouteilles, construite sur d'anciennes terres agricoles. Dix hectares que le père de Christophe (surnommé Staline parce qu'il voyait rouge à chaque fois qu'on s'en prenait aux ouvriers) avait été contraint de vendre, non sans prévenir : « La terre reste, mais les usines partent ».

La région est rude, frappée par le chômage et les délocalisations massives. Ici se joue en miniature toute l'histoire de l'ère industrielle : exode rural des petits agriculteurs qui viennent grossir le rang des ouvriers qui seront à leur tour « espèce menacée » parce qu'ailleurs – dans un pays qu'on dirait plutôt en voie d'exploitation qu'en voie de développement – on travaille encore comme on travaillait ici il y a un siècle et demi.

Sur un tel terreau, l'extrême droite fait ses choux gras. Ici, souvent « le plus noir de l'homme est repeint en bleu marine, un camouflage grossier ».

Aline et Christophe ont eu « la chance » d'échanger leur force de travail et des cadences et horaires pas toujours faciles contre deux CDI. Ils ont eu deux enfants, Léa qui va passer son bac en section économie et Mathis, enfant fragile qui souffre de crises d'absence. Ils ont signé pour l'achat d'une maison qu'ils sont loin d'avoir fini de payer. Un couple ordinaire, soudé autour d'un espoir commun, que va venir mettre à mal ce fichu paradoxe…

Le soir, les week-ends, Aline soutient Léa dans ses révisions et découvre en effet avec elle que les économistes ont donné le nom de « paradoxe d'Anderson » à la grande casse sociale qui dévaste leur région au nom du profit de quelques-uns et au détriment des vies de tous les autres. Et qui va bientôt les frapper de plein fouet.

Écrit à la fois simplement et avec une humanité mêlée d'une grande colère, Le paradoxe d'Anderson s'inscrit dans la lignée de Les vivants et les morts de Gérard Mordillat, mais dans un style très différent où l'on sent l'esprit de synthèse et d'analyse du journaliste sous la plume littéraire.

Indéniablement, Le paradoxe d'Anderson est un roman social qui fera date, par la justesse du regard porté sur un monde où il n'y aura aucun salut dans un individualisme qui ne cache qu'isolement et égoïsme dévastateurs.

Extrait :

NVO – La Nouvelle Vie Ouvrière, le magazine des militants de la CGT, actualité sociale et juridique« Cent quarante-quatre ans après, les pauvres ne s'y sont toujours pas vraiment mis ! C'est désespérant, remarque Christophe. Pourtant, la colère gronde partout, chez Univerre, dans les fermes, les usines, les banlieues, les villages. Mais sourds au désespoir, les successeurs de Thiers ne l'entendent toujours pas. Un vrai mépris du peuple à l'odeur des brioches de Marie-Antoinette, annonciateur de toutes les révolutions. À condition bien sûr de trouver des hommes de courage prêts à risquer leur tête et leur CDI pour s'opposer aux marquis de la finance, poudrés de leurs bénéfices, cent fois renfloués par les États, réclamant l'abolition de tous les privilèges acquis, sauf les leurs. »

Le paradoxe d’Anderson, de Pascal Manoukian. Éditions du Seuil, 304 pages, 19 €