4 septembre 2018 | Mise à jour le 6 septembre 2018
L'affaire du référendum hallucinant de l'Intermarché de Villemagne (Hérault) a fait grand bruit la semaine passée. Retour avec l'union locale de Bédarieux sur ce qui s'est passé et sur le contexte de cette nouvelle attaque contre le droit du travail.
Un supermarché du département du sud de la France qui fait ses meilleurs jours durant l'été, un dirigeant habitué à gérer son entreprise d’une main de fer et qui n'admet pas d’être contredit, des employés pressurés et qui n'en peuvent plus, voilà le décor d’une mauvaise farce autour du droit du travail dans l'Hérault.
Dans la ville de Villemagne-l'Argentière, un Intermarché a vu sa gestion particulière arriver dans les pages des journaux nationaux et faire les gros titres des sites d'information. Jean-Pierre Le Berrigo, dirigeant du magasin, entendait sucrer les congés de ses employés en été, et il entendait profiter du fameux référendum d'entreprise désormais possible grâce à la casse du Code du travail entreprise sous Hollande et poursuivie sous Macron.
Un courrier du fond du cœur
L'employeur envoie donc un courrier à ses salariés pour les informer de sa volonté et il y explique très clairement pourquoi et comment le scrutin se déroulera. D'abord parce que l'été est une trop bonne saison pour les affaires pour se permettre de donner des congés : « Avoir accepté de mettre en place des congés payés au mois de juillet et août est pour moi une erreur. Pour nos deux mois les plus forts, vous prenez tous ou presque des congés. »
Quant à avoir recours à des salariés en CDD ou en contrat saisonnier, quelle idée ! Car les « saisonniers n'ont aucune connaissance de notre métier et aussi, souvent, pas forcément l'envie que vous avez de faire bien » (sic !). Entre le refrain classique sur ces fainéants de saisonniers et la flagornerie envers ses employés, le courrier adressé le 31 juillet commençait fort, mais le meilleur était à venir.
Des critères farfelus et illégaux
Souhaitant réellement associer les salariés à ce choix car « décider sans votre accord ne servira à rien », il leur proposait d'entourer le oui ou le non en bas du courrier pour prendre position, mais fixait des conditions… particulières : « Ce vote n'est pas anonyme car je considère que nous devons tous assumer nos décisions. Les votes non exprimés seront pris en compte comme un oui pour ne pas se retrouver avec une participation trop faible. » Et il indiquait, royalement, qu'il faudrait non pas 50 %, mais 60 % de votes favorables pour pouvoir faire les modifications qu'il désirait. Des précisions qui sont pourtant illégales au regard de la loi sur le référendum d'entreprise, puisqu'il faut deux tiers de oui, pour une adoption et surtout que le scrutin reste secret…
Le tout ponctué de phrases empruntées au plus pur style macronien : « ENSEMBLE NOUS SOMMES FORTS… SEULS NOUS SOMMES RIEN » (re-sic !) ou encore « un seul objectif […] être au service de nos clients qui font nos salaires à tous ».
La goutte d'eau…
Pour les salariés qui ont reçu ce courrier, en plein cœur de l'été, et parfois de leurs congés, cela a été « comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase », indique Dimitri Estimbre, secrétaire à l'organisation de l'union locale de Bédarieux, la ville voisine. Il a vu, comme d'autres camarades, passer sur son fil Facebook, la photo publiée par un salarié, via un pseudo, de ce courrier.
« Cela a sonné comme un appel de détresse », précise-t-il. Ce magasin était déjà connu pour ses pratiques problématiques et pour la pression exercée sur ses salariés. « Pour les élections professionnelles, nous avions été approchés par des salariés qui souhaitaient monter une liste avec l'étiquette CGT, mais la pression de la direction les a fait renoncer », rajoute Dimitri. Ces décisions sur les congés ne sont pas une nouveauté, « les salariés ont déjà deux semaines à Noël et une semaine à Pâques en moins ».
Pour lui, si l'affaire a pu prendre rapidement, c'est d'abord parce que les salariés ont voulu la faire sortir via cette publication sur Facebook. L'union locale a rapidement pris contact avec certains salariés pour « vérifier la véracité du courrier ».
Comme une traînée de poudre
La suite est connue : les militants diffusent la photo, via leurs comptes sur Facebook et Twitter, devant ce qui paraît être une démarche grotesque (et grossière), la CGT Intermarché diffuse l'information sur son blog, les publications deviennent virales et finissent par faire les manchettes… des journaux.
« L'UD 34 a été submergée d'appels de journalistes qui voulaient des réponses, et surtout trouver des salariés de l'Intermarché prêts à témoigner […] Nous avons refusé de mettre la moindre pression sur les salariés pour les forcer à parler ou à participer à des actions. » Lors de la conférence de presse organisée par l'UL, les vigiles avaient d’ailleurs pour ordre de surveiller les salariés pendant leur pause cigarette pour faire respecter l'interdiction imposée par le directeur de parler à la presse.
Un pas dans la syndicalisation
Avec la médiatisation de l'affaire, le référendum a été annulé, selon la communication d'Intermarché citée par France Info : « puisque les conditions formelles d'organisation de ce référendum et les conditions légales de confidentialité ne sont pas respectées, le point de vente de Villemagne-l'Argentière a décidé d'annuler le référendum, qui est donc nul et non avenu ».
Cette victoire s'est traduite par des « messages de remerciement sur nos messageries privées » tient à préciser Dimitri Estimbre. Et de futures adhésions sont prévues : « Des salariés de l’Intermarché ont voulu adhérer à la CGT, à l’UL. Mais s’ils sont assez nombreux, on aimerait qu’ils s’organisent en interne en créant un syndicat dans l'entreprise. » Il rappelle aussi que la CGT est un « outil dont il faut se servir », tout en soulignant l'utilité d'une union locale : « Être là pour aider les salariés à s’organiser. »