Il y a d'abord cette première scène : dans la moiteur d'une classe studieuse, le professeur, sans mot dire, se jette par la fenêtre du fond de la classe. Filmée sans fioriture, de façon réaliste et dans un cadrage parfait, cette entrée en matière donne le ton du deuxième long métrage de Sébastien Marnier.
Son premier film, Irréprochable, thriller intimiste et psychologique sorti en 2015 mettait au centre de l'intrigue une femme privée d'emploi instable et effrayante incarnée par une Marina Foïs obsédante. Ici, la menace plane à nouveau et c'est un Laurent Lafitte troublant, dans le rôle de Pierre, le prof remplaçant, qui est au cœur du dispositif.
À son arrivée au prestigieux collège de Saint-Joseph, Pierre décèle, chez les 3e 1, une intelligence supérieure, une hostilité ouatée, une violence occulte. Est-ce dû au choc émotionnel, après la tentative de suicide de leur professeur de français ? Est-ce que quelque chose se joue entre les élèves de cette classe-pilote d'enfants surdoués ?
Est-ce leur apparente obsession pour la menace écologique et leur regard fataliste sur l'avenir qui les rend si suspects ? Et que font-ils quand ils disparaissent en grappe à la lisière des bois et des zones industrielles ? Il y a chez eux une lucidité, une cohésion, une discipline — mais aussi un mépris de classe — qui relèvent de la société secrète et font froid dans le dos.
Figure parfaite pour ausculter les troubles de la jeunesse, le professeur observateur est un classique. On pense notamment à François Bégaudeau dans Entre les murs de Laurent Cantet (Palme d'Or en 2008) ou à Isabelle Adjani dans La journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld (2009). Ici, on a affaire à un quadra beau gosse, sportif et curieux, mais seul, remplaçant et qui n'a jamais fini sa thèse sur Kafka.
D'abord curieux puis obsédé et même fasciné par les jeux et les projets morbides de ses élèves, il est l'objet de leur harcèlement moral mais a lui-même des côtés troubles. La Métamorphose n'est pas loin, d'ailleurs, quand son ordinateur disparaît, qu'il reçoit des coups de fils anonymes et que des cafards colonisent sa salle de bain…
L'école privée cultivant l'excellence dans un écrin reculé renvoie également un portrait opaque. Emmanuelle Bercot en prof de musique écorchée et ultra douée et Pascal Gregory en proviseur austère et périmé, notamment, donnent en quelques scènes un subtil aperçu du mirage élitiste.
Dans cette adaptation du roman éponyme de Christophe Dufossé, le tour de force c'est ce trouble qui, instillé durant tout le récit, maintient une tension constante. Traversé par plusieurs genres — réaliste, fantastique, claustrophobique, catastrophique —, L'heure de la sortie se situe quelque part entre Le Village des damnés de Wolf Rilla (1960) ou John Carpenter (1995) et Melancholia de Lars Von Trier (2011).
Dépassant largement le cadre scolaire, il impose une pulsion de mort très contemporaine qui devient une critique sociopolitique froide et déconcertante. La scène finale, qu'on se retient de révéler, boucle un schéma d'angoisse totale.