15 mars 2019 | Mise à jour le 14 mars 2019
Disposant d'une force de frappe financière colossale, la fondation initiée par Bill Gates et sa femme en 2006 est désormais incontournable. Pour le journaliste Lionel Astruc, cette belle générosité n'est qu'une façade. L'envers du décor est nettement plus inquiétant.
Bill Gates. Sa vie ressemble à une success story des temps modernes. Quand un petit génie de l'informatique devient, en quelques décennies, l'homme le plus riche du monde avant que, dans un élan de générosité altruiste, il ne mette cette immense fortune au service des plus démunis. De quoi vous transformer illico en une icône vénérée d'un bout à l'autre de la planète.
Indéboulonnable ? L'enquête menée par Lionel Astruc, spécialiste des questions environnementales, sur le fonctionnement et les actions de la Fondation Bill et Melinda Gates écorne cette belle image. Avec de sérieux arguments. Derrière la philanthropie affichée, c'est en effet un redoutable « outil au service de multinationales nocives pour l'environnement, la santé et la justice sociale » qui apparaît.
Les milliards distribués n’arrivent jamais directement à ceux auxquels ils étaient destinés
Les milliards de dollars généreusement reversés à la fondation par le couple Gates et le milliardaire Warren Buffet, lui aussi touché par la grâce philanthropique depuis 2006, n'arrivent ainsi jamais directement à ceux à qui ils sont censés être destinés. Ils passent d'abord entre les mains du « Trust » de la fondation qui les investit, seuls les intérêts récoltés servant ensuite au financement des actions. Et là, le bât blesse.
De BAE Systems, l'exportateur d'armes britannique, à la société minière brésilienne Vale, dont l'un des barrages s'est récemment rompu en Amazonie, en passant par McDonald's ou encore Shell, construction, restauration rapide, combustibles fossiles, pétroliers, entreprises minières, agroalimentaire ou grande distribution et laboratoires pharmaceutiques, la liste des entreprises choisies par le trust a tout d'un catalogue des boîtes les moins recommandables qui soient.
Évasion fiscale, conflits d’intérêts et paradis fiscaux
D'autant moins que tout cela s'entoure d'évasion fiscale, de conflits d'intérêts, de paradis fiscaux. Quant aux bénéficiaires, là encore, ils posent souvent question. Car, selon Bill Gates, les solutions aux maux de notre monde ne peuvent être que techniques et technologiques. La faim ? Il suffit de développer les cultures d'OGM. Comme en Afrique, où « la fondation est un véritable cheval de Troie pour Monsanto-Bayer et l'industrie agrochimique », qui en profitent au passage pour mettre la main sur les semences traditionnelles.
Idem dans la santé où, même si de réels progrès ont été apportés pour certaines maladies, comme la polio, l'accent est là encore trop souvent mis sur le « technologique », la promotion de vaccins mis au point par de grands labos comme GSK ou Sanofi, dont certains apparemment peu efficaces. Ce, alors que des maladies moins « rentables », comme la diarrhée ou la sous-nutrition, qui ne nécessitent pas de vaccins mais sont très présentes, restent oubliées des projets.
Une influence inquiétante au niveau mondial
Tout aussi inquiétantes enfin sont l'importance, l'influence surtout, que cette fondation a prise au niveau mondial. Influence qui se fait ressentir jusque dans les politiques menées par l'OMS, que la fondation finance pour une part importante, voire par certains États, dont les systèmes de santé sont devenus des officines de cette organisation, « les sommes d'argent distribuées garantissant la loyauté ».
Ce charity business, où philanthropisme rime le plus souvent avec capitalisme, constitue une sérieuse menace pour la démocratie.