Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le 23 avril 1919, le mouvement ouvrier obtient en France, après d'autres pays, une loi fixant le principe de la journée des huit heures. Le fruit de décennies de luttes, qui font écho aux revendications d'aujourd'hui.
Travailler mieux, obtenir rémunération de son travail et de sa qualification, travailler moins pour accéder au repos et aux loisirs : lorsque la France adopte, le 23 avril 1919, la journée de huit heures, cette revendication du mouvement syndical international a déjà une longue histoire.
Pour le gouvernement de Georges Clemenceau, puis pour le patronat qui finit par se rallier à cette idée, il s'agit surtout alors de donner des gages au mouvement syndical pour éviter toute contagion révolutionnaire. Il n'empêche : pour les ouvriers, c'est une victoire de taille.
« Huit heures de travail, huit heures de loisirs, huit heures de repos » : histoire d'une revendication
Au XIXe siècle déjà, la réduction du temps de travail était devenue l'une des principales revendications du mouvement ouvrier dans le monde industriel. A cette époque, les ouvriers travaillaient dix, douze, voire quatorze heures par jour, même si les enfants, d'une part, les femmes, d'autres part, avaient obtenu dans certains pays l'accès à des journées moins longues.
« Huit heures de travail, huit heures de loisirs, huit heures de repos » : le slogan, lancé par le théoricien socialiste britannique Robert Owen en 1817, deviendra vite un mot d'ordre syndical sans frontières.
Ainsi, la Première Internationale, fondée à Londres en 1864, l'adopte peu après dans son programme. C'est très vite le cas également des syndicats américains, lesquels choisissent d'en faire un axe revendicatif de leur lutte du 1er mai 1886, le premier mai étant le « Moving Day », ou jour de « mobilité » forcée pour nombre d'ouvriers puisque les entreprises entament alors leur année comptable. La répression frappera violemment les grévistes.
Lors de son Congrès à Paris en 1889, l'Internationale socialiste adopte la proposition de Jules Guesde de faire des huit heures une revendication des travailleurs et travailleuses tous les premiers mai.
Pour la CGT, au lendemain de la première guerre mondiale, la revendication de la journée de travail de huit heures est de nouveau à l'ordre du jour.
Un mouvement mondial
Le patronat en refuse d'abord jusqu'au principe. Selon lui, le pays manque de bras pour reconstruire et il faut en outre faire face à la concurrence internationale.
Les arguments du gouvernement et du député Albert Thomas, ancien ministre de l'Armement, finiront par le convaincre. Pour eux, il s'agit d'abord d'éviter la contagion révolutionnaire après la révolution bolchévique dans ce qui est devenu l'Union soviétique. D'autant qu'elle essaime en Europe : mobilisation spartakiste en Allemagne réprimée dans le sang (et où Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht seront assassinés), République des Conseils en Hongrie… Or, en France, une journée de manifestation le 6 avril 1919, quelques semaines avant le Premier mai, rassemble dans les rues parisiennes plus de 300 000 travailleurs.
D'autre part, au lendemain de la guerre, la France entend tirer profit de sa victoire en tant que puissance. Or, alors que se mettent en place et la Société des Nations (SDN) et l'Organisation internationale du Travail (OIT), où elle entend jouer un rôle, nombre de pays adoptent des législations réduisant le temps de travail.
Enfin, la question de la modernisation de l'économie est elle aussi à l'agenda politique et économique. Pour l'exécutif, la rationalisation de l'organisation du travail devrait, en dépit de la RTT, permettre de gagner en productivité.
Un texte de compromis
C'est dans ce contexte que les parlementaires adoptent le 23 avril 1919 la loi sur la journée de huit heures.
Il s'agit d'un compromis. Léon Jouhaux qui, pour la CGT, a négocié le texte (dans le cadre d'une négociation tripartite), a obtenu le vote du principe des huit heures dans l'industrie et le commerce, la réduction du temps de travail pouvant être modulée sur la semaine, le mois, voire l'année. Mais les modalités d'application de ce principe dépendront de négociations, de branches voire d'entreprises.
Le texte prévoit aussi de possibles dérogations. De même, selon la loi, la RTT ne donnera pas lieu à des réductions de salaires mais celles-ci en revanche pourraient être motivées par d'autres considérations. Aussi la loi, ainsi négociée, pèse-t-elle en particulier sur les travailleurs aux pièces, déjà soumis à des cadences de travail particulièrement difficiles.
Le texte n'est donc qu'un compromis. Mais le mouvement est lancé en faveur d'une RTT conçue comme un élément incontournable de progrès social.
Elle apparaît aussi comme un atout économique. La productivité ne cesse d'augmenter, et la croissance industrielle passe de l'ordre de 2 % avant guerre à environ 4 % en 1921.
L'avenir d'une aspiration sociale
Semaine de 40 heures mais aussi congés payés en 1936, cinquième semaine de congés payés en 1982, réforme des 35 heures en 2002 : à chaque fois, l'argumentaire du patronat demeure le même, qui revient à prétendre à une menace sur l'économie et la compétitivité. L'Histoire a pourtant montré le contraire.
Et aujourd'hui, pour la CGT, il est aussi possible de travailler tous, travailler mieux et travailler moins. La confédération propose, notamment une réduction du temps e travail à 32 heures.
Une revendication qui, pour aboutir, supposera encore de nouvelles mobilisations.