8 juillet 2019 | Mise à jour le 19 août 2019
En ordonnant aux grévistes de libérer l'accès aux lieux d'aisance, sous peine d'astreinte à hauteur de 500 euros par jour, le TGI de Paris a implicitement cassé la grève. Et condamné les salariées en lutte à perdre leur emploi.
Saisi en référé heure par heure par Derichebourg, l'actuel employeur des salariées chargées de la propreté des toilettes des gares SNCF (Nord, Lyon et Austerlitz), le TGI de Paris a jugé que les grévistes avaient entravé le droit au travail des non-grévistes et ordonné de libérer l'accès aux lieux d'aisance. « C'est un jugement expéditif et très sévère qui ne tient aucun compte du fait que le trouble à l'ordre public a été orchestré de toutes pièces par deux employeurs, 2theloo et Derichebourg, complices dans le contournement de la loi française », estime Richard Bloch de l'union locale CGT de Paris 10e.
Le repreneur veut le marché, mais sans les salariées
Repreneur du marché de la sous-traitance pour le nettoyage des toilettes des gares Sncf, le hollandais 2thello avait clairement annoncé ses intentions : se débarrasser des employées. Or, ces dernières auraient dû lui être transférées par Derichebourg, en vertu de l'article L. 1224-1 du Code du travail qui fait obligation à tout repreneur d'un marché de reprendre aussi les personnels, aux mêmes conditions sociales et salariales que celles dont ils bénéficiaient avec le prestataire sortant.
« Nous avons découvert que, pendant la grève, 2theloo a détourné des salariées en CDD sur d'autres chantiers pour les envoyer sur les gares en grève. Et ce, afin de remplacer les grévistes, alors que c'est 2theloo, et non les grévistes, qui a décidé de tirer le rideau de fer des relais-toilettes du fait qu'il n'y avait plus de production de nettoyage », explique Richard Bloch. Autant de faits dont le TGI n'a pas tenu compte dans son jugement rendu le 5 juillet. Un jugement à charge, contre les seules grévistes.
Quand le tribunal organise la mise au chômage
Prises en étau par ce jugement qui, de facto, les contraint – en la rendant vaine – à cesser la grève, les employées des trois gares n'ont eu d'autre choix que de lever les piquets. Et de s'en remettre au bon vouloir de leur employeur officiel, Derichebourg, qui a proposé de les transférer sur d'autres chantiers de son giron de la sous-traitance en nettoyage, partout en Île-de-France. Problème : la plupart d'entre elles travaillaient depuis vingt ans sur ces trois gares et avaient logiquement organisé leur vie familiale en fonction de leur lieu et de leurs horaires de travail.
Ne disposant plus d'aucun levier pour forcer 2theloo à les maintenir en poste, la plupart de ces femmes n'ont d'autre choix que d'accepter la rupture conventionnelle. Autrement dit, de se résigner à leur mise au chômage. « Nous allons bien évidemment engager des recours en justice contre 2theloo pour son refus d'appliquer la convention collective nationale de la propreté, mais cette procédure va durer plus d'un an et, entre-temps, ces salariées auront déjà perdu leur emploi. Nous sommes coincés », analyse, amer, Richard Bloch.
La CGT entend tirer les leçons du revers judiciaire
Dès lors, que faire ? Plaider l'atteinte au droit de grève ? Un échec très probable dans la mesure où le jugement du TGI ordonne aux grévistes de libérer les lieux… sans leur interdire, explicitement, de faire grève. Pour Richard Bloch, l'échec de cette bataille syndicale doit être constaté et analysé afin de servir d'enseignement : « Dès 2015, quand 2theloo est arrivé sur le marché en affichant son intention de ne pas respecter la législation française, nous aurions pu et dû anticiper ses desseins et l'attaquer en justice pour non-application de la convention collective de la propreté. » La messe n’est pour autant pas dite, la CGT entendant bien faire rétablir dans leurs droits les salariées des lieux d’aisance des gares parisiennes…
Le personnel des relais toilettes des gares SNCF parisiennes est en grève