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Film

"Antigone" : audacieuse transposition contemporaine et hommage à la jeunesse

5 septembre 2020 | Mise à jour le 7 septembre 2020
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Antigone, le cinquième film de la québécoise Sophie Deraspe, est une adaptation contemporaine du mythe de Sophocle et un vibrant hommage à la jeunesse. Traité sous l'angle d'un réalisme social cru, ce récit politique révèle un Canada traversé par le racisme et les violences policières malgré une politique d'immigration souvent citée en exemple.
NVO, la Nouvelle vie ouvriere, le journal de l'actualité sociale, syndicale et juridique
Antigone, réalisé par Sophie Deraspe, sortie nationale le 2 septembre 2020 (1 h 49).

De nos jours, au Québec, Antigone est une adolescente douée, au parcours scolaire exemplaire. Elle, sa sœur et ses deux frères font corps autour de leur grand-mère, avec qui ils ont émigré d'Algérie à la suite de la mort – un assassinat, en fait – de leurs parents.

Il y a beaucoup de tendresse et de chaleur dans leurs relations, mais aussi le poids de l'héritage familial et culturel. En grandissant, les deux garçons ont fait leur trou dans la cité, entre terrain de foot et petits trafics. Lors d'un contrôle de police qui tourne mal, l'aîné est tué en voulant défendre son cadet.

Poursuivi pour l'agression d'un policier, ce dernier est emprisonné et risque la « déportation » – terme québécois pour qualifier l'expulsion – vers son pays d'origine. Et qu'importe s'il l'a quitté quand il n'était qu'un enfant, en tant que réfugié politique, et que le sort qui l'attend là-bas est scellé.

Impartialité de la justice

Ne restent plus que les trois femmes du foyer, face au deuil et à l'injustice manifeste de cette bavure. La grand-mère, qui parle à peine le français, est débordée ; Ismène est terrorisée et rêve d'intégration, d'un boulot, d'une vie normale. Mais Antigone, 16 ans, est trop droite, elle ne peut souffrir cette partialité qui s'abat sur eux, les émigrés, les citoyens de seconde zone.

La seule façon de protéger son frère des lois de l'État est de tenter de prendre sa place en prison à l'insu de tous et de l'aider à s'évader. Résolue, elle coupe ses cheveux, prend les armes et s'engouffre dans les voies de sa propre justice. À l'heure des réseaux sociaux, elle devient sans le savoir l'héroïne d'une génération. Et endosse par la même occasion le rôle d'une passionaria des temps modernes.

Réalisme social

Sophie Deraspe a fait plusieurs incursions dans le documentaire avant de réaliser Rechercher Victor Pellerin (2006), puis Les Signes vitaux (2009), deux long-métrages emprunts de réalisme. La réalisation, l'écriture et la lumière qu'elle porte sur son Antigone sont également empreintes d'un réalisme social cru. Le portrait de l'école, de l'institution carcérale ou de l'appareil judiciaire s'inscrivent dans une peinture crue de l'ordre qui prévaut dans nos sociétés contemporaines.

À l'inverse, la chaleur de l'intimité familiale et la pureté du couple Antigone-Hémon rompent avec cette dominante impersonnelle. Mais la cinéaste inscrit ce drame dans le mythe de Sophocle et lui donne une dimension politique universelle d'autant plus forte que le film sort dans un contexte de mobilisations antiracistes et de lutte contre les violences policières particulièrement tendues aux États-Unis.

L'adaptation moderne d'un mythe

« J'ai voulu garder les noms d'Antigone et de ses frères, Polynice, Étéocle, Ismène… Parce que c'est une histoire que l'on va suivre, si je retire les noms, comme une histoire originale contemporaine. Alors que j'avais envie de garder cette filiation, de garder ce moteur qui fait partie intégrante de toutes les adaptations d'Antigone depuis 2 000 ans », explique la cinéaste sur CBC/Radio-Canada.

Souvent cité en exemple pour sa politique d'accueil des étrangers, le Canada apparaît traversé par les mêmes hypocrisies d'État que la France dans la gestion de sa politique migratoire. Une politique plutôt guidée par une logique utilitariste que par celle de la garantie du respect de l'égalité des droits de chacun.