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Des couvre-feux, conséquences de politiques de santé délétères

Isabelle Avran
17 octobre 2020 | Mise à jour le 20 octobre 2020
Par | Rédactrice en chef adjointe de la NVO
Interrogé sur deux chaînes de télévision le 14 octobre, Emmanuel Macron a annoncé les mesure prévues face à la remontée de l'épidémie de Covid. Il a décidé de concentrer les mesures indispensables à la santé de tous sur une mesure phare, le couvre-feu imposé dans huit métropoles où le virus circule activement, et annoncé des primes totalement insuffisantes pour les plus fragiles.
Les épidémiologistes l'annonçaient depuis plusieurs semaines : il fallait s'attendre à une « seconde vague » de Covid à l'automne. De fait, le 15 octobre, Santé Publique France annonçait 30 621 contaminations supplémentaire à la Covid en une journée, portant à plus de 800 000 le nombre de cas recensés, avec plus de 6500 nouvelles hospitalisations en une semaine, dont 1750 en réanimation.

Pourtant, sans avoir répondu aux revendications des soignants concernant notamment le besoin de lits, de moyens, de personnels supplémentaires en nombre, sans avoir répondu aux appels des enseignants réclamant eux aussi des moyens en particulier pour dédoubler les classes et l'embauche de personnel indispensable à des conditions sanitaires correctes de l'école à l'université, sans entendre la détresse et la colère des travailleurs qui s'entassent quotidiennement dans les transports en commun bondés, refusant de voir l'ampleur de l'appauvrissement et de la précarisation d'une part de la population, Emmanuel Macron a décidé de concentrer les mesures indispensables à la santé de tous sur une mesure phare, le couvre-feu imposé dans huit métropoles où le virus circule activement, et annoncé des primes totalement insuffisantes pour les plus fragiles.

À l'occasion de l'entretien télévisé qu'il a accordé à TF1 et France 2 mercredi 14 au soir, le président de la République a en effet confirmé les rumeurs qui fuitaient depuis plusieurs jours de la mise en place d'un couvre-feu de 21 heures à 6 heures du matin en Île-de-France, et dans les métropoles de Grenoble, Lyon, Aix-Marseille, Montpellier, Lille, Saint-Étienne, Rouen et Toulouse, à compter de vendredi, à minuit, et pour au moins quatre semaines sinon six. Des contraintes sur les libertés pour pallier l'absence d'anticipation et de politiques publiques de santé dignes de ce nom ? Appelés à limiter les contacts de la sphère privée, les travailleurs sont dans le même temps appelés à continuer le travail.

Pourtant, souligne la CGT dans un communiqué ce 15 octobre, « sur les 357 nouveaux foyers de contamination recensés la semaine dernière, en France, plus du quart d'entre eux se trouvent sur les lieux de travail, dans les entreprises. Viennent, ensuite, le milieu scolaire et surtout les universités dont on sait les conditions d'accueil des étudiants dans des amphithéâtres bondés. Et, en troisième position, les établissements de santé, hôpitaux et cliniques qui représentent une contamination sur dix ».

Quant au télétravail, le président de la République a repris le discours du Medef qui préfère son organisation par les branches ou dans l'entreprise à une formalisation des règles et obligations. Interrogé sur les transports que les salariés sont contraints d'emprunter parfois dans les pires conditions, il s'est contenté d'annoncer… qu'ils ne seraient pas réduits.

Pas de moyens supplémentaires annoncés pour l'hôpital

« Nos services hospitaliers sont dans une urgence qui est plus préoccupante » qu'au printemps, avoue le locataire de l'Élysée. Il le reconnaît : « nos soignants sont très fatigués », et « nous n'avons pas de réserves cachées » en services de réanimation.

Les soignants et leurs organisations syndicales ne cessent de le rappeler depuis des mois. Et dès avant la pandémie.

Ils et elles l'ont de nouveau crié ce 15 octobre, manifestant partout en France, pour réclamer « la création de 100 000 emplois au niveau national pour les hôpitaux, 200 000 pour les Ehpad et 100 000 pour le secteur du médicosocial et de l'action sociale, avec l'ouverture de lits de réanimation dans les hôpitaux », en même temps que l'augmentation des salaires.

Il n'en aura pas été question dans le propos présidentiel, pas plus que d'une réelle campagne de tests gratuits ni de mesures susceptibles de protéger les salariés sur leur lieu de travail (comme l'accès aux masques gratuits…).

Le gouvernement espère-t-il désengorger les urgences en mettant en place un droit d'entrée à 18 euros qui fera hésiter les plus précaires de se soigner alors que le pays souffre de ses déserts médicaux ?

Une primette pour les plus précaires

Avec l'appauvrissement de la population, le Président était aussi attendu sur les mesures susceptibles d'aider les plus précaires.

De fait, selon une étude de l'Insee rendue publique le 14 octobre, « un quart des ménages déclarent une baisse de leur situation financière à la suite du confinement ». L'institut de statistiques précise : « Parmi les 10 % des ménages les plus modestes, 35 % ont assuré percevoir une dégradation de leur situation financière ». CDD, contrats précaires, parents devant garder leurs enfants… ont vu leurs revenus baisser et leurs dépenses (alimentaires…) augmenter.

Santé et action sociale : nouvelle mobilisation le 15 octobre

Toutes les associations de solidarité avec les plus démunis confirment l'augmentation du nombre de familles, de jeunes, d'étudiants… contraints de faire appel à l'aide alimentaire.

Enquête SAPRIS, menée depuis avril auprès de 130 000 volontaires suivis dans les grandes cohortes en population générale et enquête EpiCoV, réalisée en mai 2020, menée sur un échantillon représentatif de 135 000 personnes

Les deux enquêtes multidisciplinaires menées par l'Inserm depuis avril et mai confirment en outre combien les conditions sanitaires s'avèrent beaucoup plus difficiles pour les plus précaires. On ne s'en étonnera guère : le coronavirus touche davantage les classes défavorisées, les ouvriers, les migrants et la crise sanitaire a accentué les inégalités sociales. Les facteurs d'exposition potentielle au virus, disent ces études, sont liés « au lieu de résidence, aux conditions de logement ou à la nécessité de travailler hors du domicile », tandis que le confinement n'est pas sans effet sur les conditions de vie.

Ainsi, « les personnes habitant un logement exigu ou surpeuplé (moins de 18 min 2 s par personne pour celles qui partagent un logement) sont 2,5 fois plus nombreuses à avoir été positives au Covid-19 (…) [Celles] habitant une commune très densément peuplée (au moins 1 500 habitants par km2 avec un minimum de 50 000 habitants) sont deux fois plus nombreuses à avoir été positives ». Et « le cumul s'accentue au bas de l'échelle des revenus et parmi les personnes immigrées d'origine non européenne, reflétant des phénomènes de ségrégation socio-spatiale. »

1 : Français sur 3 a subi une perte de revenu depuis le début de la crise sanitaire

Pourtant, le plan de relance gouvernemental n'octroie que 0,8 % des dépenses pour les plus appauvris de notre société, alors que les entreprises bénéficient sans condition de l'essentiel, à travers aides, prêts garantis, exonérations sociales et fiscales, dont la suppression de l'impôt de production, quelles que soient leur taille et la réalité de leur situation économique. Celles du Cac 40 sont les grandes assistées de la République.

Mercredi, Emmanuel Macron a annoncé que les « bénéficiaires » du RSA et des APL recevront une aide exceptionnelle de 150 euros, et 100 euros par enfant, dans les six semaines à venir. L'aide devrait être attribuée à 4,1 millions de foyers, incluant 5 millions d'enfants.

« Une prime ça met du beurre dans les épinards pendant un ou deux mois, mais ce n'est pas ça qui change la vie durablement, qui permet d'avoir un logement pérenne ou de prévoir de pouvoir payer la cantine toute l'année » a réagi Marie-Aleth Grard, présidente d'ATD Quart Monde.

Pas d'accès au RSA jeune. Pas de coup de pouce non plus aux étudiants, comme le dénonce l'Unef. Emmanuel Macron y tient : « Nos fondamentaux, c'est la lutte contre la pauvreté par le retour à l'activité et le travail », assure-t-il en cette période de licenciements massifs. Et d'ajouter, fidèle à l'antienne libérale selon laquelle les privés d'emplois seraient responsables de leur situation : « plus on augmente nos minima sociaux, plus on rend difficile le retour à l'activité ».

Ou quand les « Jours d'après » s'annoncent pires que les jours d'avant. Si l'on n'y remédie pas.