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Suicides liés au travail : La prévention d'abord

19 novembre 2021 | Mise à jour le 19 novembre 2021
Par
Suicides liés au travail : La prévention d'abord

Véronique Daubas-Letourneux

Les suicides liés au travail restent le plus souvent en dehors des statistiques sur les accidents du travail. C'est sur cette question que revient la sociologue Véronique Daubas-Letourneux*.
En Librairieune du livre Accidents du travail, Des morts et des blessés invisibles Accidents du travail, Des morts et des blessés invisibles, de Véronique Daubas-Letourneux, Éd. Bayard, 300 pages, 18,90 euros.

Quelle est la place des suicides dans les accidents du travail ?
C'est une réelle question souvent occultée et malheureusement mise au devant de l'actualité par les vagues de suicides que l'on a connues dans de grandes entreprises comme France Télécom-Orange et le procès qui s'en est suivi. Le jugement rendu parle de « harcèlement moral institutionnel », ce qui renvoie aux nouvelles formes de management des entreprises et aux pressions exercées sur les salariés qui se retrouvent de plus en plus isolés, évalués. Quitte à engendrer chez certains des affections psychiques – s'ils ont été exposés à ce que l'on appelle des « risques psychosociaux au travail », qui peuvent entraîner des passages à l'acte. Mais c'est vrai que l'on est là face à un fait social qui n'est pas simple à appréhender parce qu'officiellement, il n'y a pas de comptage systématique par profession. Sauf peut-être pour les agriculteurs et certains autres métiers pour lesquels cela donne lieu à une reconnaissance en accident du travail. Pour ce qui est du régime général, l'assurance maladie [qui gère les accidents du travail, ndlr] reconnaît de son côté entre dix et trente suicides en tant qu'accidents du travail chaque année.

Pourquoi cette invisibilité ?
Cette invisibilité a plusieurs causes. Tout d'abord, parce que les raisons d'un suicide sont souvent multiples, complexes, même si, bien évidemment, le travail peut jouer et avoir une certaine influence. Cela rend la procédure de reconnaissance incertaine. En effet, une enquête doit être menée afin de vérifier la « matérialité » des faits, c'est-à-dire établir la réalité du lien entre le travail et cet événement identifié. Ce qui est plus évident si la personne a laissé derrière elle une lettre expliquant son geste ou si le lieu du suicide est le travail. Autre raison : la difficulté pour les ayants droit d'entreprendre ce type de démarche dans une période de deuil. Pour qu'un suicide donne lieu à une reconnaissance en accident du travail, il faut en effet que la famille fasse une démarche, ce qui n'est déjà pas simple, pour que le lien avec le travail soit là encore établi, ce qui peut présenter de réelles difficultés. Sans parler des travailleurs non couverts pour les risques d'accidents du travail.

Comment améliorer la reconnaissance de ces suicides en accidents du travail ?
En rendant visibles les liens qui existent entre le travail et les affections psychiques que cela peut provoquer, comme le montrent les rapports de l'Observatoire sociétal des cancers ou la littérature scientifique sur les questions de lien entre la santé et le travail. L'un des autres leviers pour agir, c'est aussi en interne, au niveau du collectif de travail. Mais là, on se retrouve parfois dans des entreprises où il n'y a pas de collectif de travail, ce qui nous renvoie à la faiblesse du syndicalisme. Les organisations syndicales pourraient aussi réagir sur cette sorte d'illégalisme connu, sur lequel les pouvoirs publics n'agissent pas de façon systématisée parce qu'il est difficile de l'objectiver. Il y a là des enjeux de rapports de force. Or l'évolution du CHSCT en comité social et économique inquiète beaucoup parce qu'en fait, elle entraîne plutôt pour les salariés une tendance vers moins de moyens, moins de latitude pour interroger la question des conditions de travail, de la santé et de la sécurité. C'est une époque qui appelle vraiment à une vigilance accrue en termes de garde-fous au niveau juridique et pourtant, ce sont plutôt des reculs que l'on constate en termes de protections liées au Code du travail ces dernières années. Avant la reconnaissance de ces suicides en accidents du travail, l'enjeu doit surtout être de les prévenir !