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commission européenne

Une directive pour reconnaitre la présomption de salariat des travailleurs des plateformes

9 décembre 2021 | Mise à jour le 9 décembre 2021
Par et | Photo(s) : Gregory Chamekh /AFP
Une directive pour reconnaitre la présomption de salariat des travailleurs des plateformes

Des livreurs UBER EATS à Bordeaux.

Après que le Parlement européen s’est prononcé en septembre dernier pour une présomption de salariat des chauffeurs et livreurs des plateformes comme Uber ou Deliveroo, la Commission européenne a dévoilé ce jeudi 8 décembre un projet de législation qui doit ensuite être ratifiée par le Parlement et le conseil de l’Union européenne.

Concrètement, la directive considère que les livreurs ou les chauffeurs et d’autres catégories de travailleurs de plateformes de mise en relation devront bénéficier d'une présomption de salariat et donc d’un contrat de travail dès lors qu’il ne décident pas eux même du prix du produit ou de la prestation qu'ils fournissent, mais aussi s'ils n'exposent pas leurs ressources propres à un risque de faillite. Cette directive ne tombe pas du ciel, elle intervient alors que dans de nombreux pays, la justice ou les gouvernements ont écorné le modèle économique des plateformes par des décisions favorables aux travailleurs. « Les travailleurs individuels et leurs syndicats ont dû poursuivre les entreprises en justice pour prouver leur statut d'employés, mais les plateformes ont continué à nier les droits légaux fondamentaux », constate ainsi la confédération européenne des syndicats qui espère que la directive « comblera cette lacune grâce à une présomption qu’un statut d'emploi s’applique dans les plateformes de travail numériques. Il protégera donc également les droits des travailleurs véritablement indépendants à le rester (et empêchera les sociétés plateformes d’imposer une subordination supplémentaire dans la relation contractuelle). »

Une avancée significative pour les syndicats

 

« On peut se réjouir d’avoir obtenu cette présomption de salariat, et l’inversement de la charge de la preuve, puisque la directive fixe une présomption simple de relation de travail, avec charge à l'employeur de démontrer le contraire », se félicite Tristan Chevalier, conseiller confédéral au secteur Europe-International de la CGT. Ce juriste, craignait que la portée de la directive se limite « aux seuls livreurs de pizza et chauffeurs Uber », alors que la plateformisation du travail est déjà en train de s’étendre à d’autres secteurs d’activité comme dans la santé ou chez les avocats.

Ce texte arrive au moment où Emmanuel Macron doit prendre pour quelques mois la présidence de l’Union, or la France est plutôt réticente à la remise en cause du modèle économique des plateformes type Uber, Deliveroo par une reconnaissance de la présomption du salariat… L’enjeu sera donc de savoir si le chef de l'État profitera de cette « directive plateformes » pour redorer son image résolument antisociale à quelques mois de l’élection présidentielle. Rien n’est moins sûr car son gouvernement a déjà largement fait la preuve qu’il était plutôt favorable aux employeurs. « Le risque serait d’avoir une directive édulcorée, limitée dans son champ d’application », souligne le conseiller de la CGT. « C’est là dessus que la CGT et la CES vont se battre dans les mois à venir » .

Le modèle économique des plateformes remis en question dans de nombreux pays

Voici un tour d’horizon non exhaustif établi par l’AFP de décisions récentes ayant obligé les entreprises de la « gig economy » (économie des « petits boulots ») à s’adapter.
Espagne: livreurs présumés salariés
Le gouvernement espagnol a modifié la loi en mars afin que les coursiers utilisant des applications de livraison soient considérés comme des salariés, et non plus comme des auto-entrepreneurs, ce qui oblige les entreprises à payer des cotisations sociales.
La société britannique Deliveroo a alors cessé ses activités en Espagne fin novembre. Les autres plateformes ont choisi de s’adapter, tentant parfois de contourner la loi.
Italie: meilleures conditions de travail
Le parquet de Milan (nord) a annoncé début décembre avoir obtenu des améliorations importantes sur les conditions de travail des livreurs à domicile, annulant au passage une gigantesque amende initialement prévue.
Le parquet avait notifié en février aux quatre sociétés visées par une enquête (Foodinho-Glovo, Uber Eats, Just Eat et Deliveroo) qu’elles devaient modifier les contrats, considérant que les livreurs n’étaient pas des auto-entrepreneurs mais qu’ils fournissaient « une prestation de type coordonné et continu ».
Selon le parquet de Milan, 20.000 livreurs auront droit à des visites médicales, des équipements de sécurité et des formations en matière de sécurité.
Pays-Bas: la convention collective des taxis s’applique
Un tribunal néerlandais a jugé en septembre que les chauffeurs Uber étaient sous contrat de travail, et non pas des travailleurs indépendants. Le géant américain de la réservation de voitures avec chauffeurs a fait appel.
Belgique: victoire pour Deliveroo, défaite pour Uber
Un tribunal belge a débouté mercredi plusieurs dizaines de coursiers Deliveroo qui souhaitaient être reconnus comme salariés.
Dans une autre affaire, la cour d’appel de Bruxelles a jugé fin novembre que la réglementation en vigueur devait interdire d’exercice les quelque 2.000 chauffeurs LVC (location de voiture avec chauffeur), essentiellement des chauffeurs Uber, de la capitale belge.
Royaume-Uni: les chauffeurs Uber sont des « travailleurs »
La Cour suprême britannique a estimé en février que les chauffeurs Uber étaient des « travailleurs », pas des auto-entrepreneurs, et qu’ils devaient bénéficier de droits sociaux minimums: salaire minimum et congés payés. Le mois suivant, Uber a accordé ce statut à ses 70.000 chauffeurs britanniques.
Au Royaume-Uni, le statut de « travailleurs » (« workers »), pas forcément formalisé par un contrat, bénéficie d’une moindre protection par rapport aux employés salariés (« employees »), qui ont eux des congés maladie, l’assurance chômage, etc.
Un tribunal britannique a par ailleurs estimé lundi, donnant tort à Uber, que les plateformes ne sont pas de simples « agents » pour les chauffeurs.
France: statut indépendant « fictif »
La Cour de cassation a reconnu en mars 2020 l’existence d’un lien de subordination entre Uber et un de ses chauffeurs, jugeant que le statut d’indépendant était « fictif » et qu’il devait être considéré comme salarié.
En septembre dernier, la cour d’appel de Paris a considéré que la relation de travail entre un chauffeur et Uber pouvait « s’analyser comme un contrat de travail » et non comme une relation commerciale.
Parallèlement, un premier procès devant une juridiction pénale contre Deliveroo aura lieu en mars prochain, pour « travail dissimulé », devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir employé des livreurs sous le statut de travailleurs indépendants.
États-Unis: réglementations favorables aux plateformes annulées
L’administration Biden a annulé en mai une règlementation adoptée par l’administration Trump rendant plus difficile pour les travailleurs des plateformes de revendiquer un statut de salarié, afin de « maintenir les droits des travailleurs à un salaire minimum et aux protections liées aux heures supplémentaires ».
En Californie, le statut des chauffeurs VTC est au cœur d’un feuilleton. L'État a voté une loi en 2019 les considérant comme des salariés. Uber a contrattaqué en 2020 en faisant approuver par référendum le statut d’indépendant des chauffeurs. Un référendum déclaré inconstitutionnel par un juge en août dernier. L’affaire n’est pas terminée, Uber ayant annoncé son intention de faire appel.
Chine: appel à une « rémunération décente »
Début décembre, une directive du ministère des Transports a exhorté les plateformes de réservation de VTC comme Didi (équivalent chinois d’Uber) à améliorer les conditions de travail des conducteurs avec une « rémunération décente » et un temps de repos « raisonnable ».
Amérique latine: des projets de régulation
En Amérique latine, on dénombre plusieurs projets parlementaires pour réguler plus strictement l'activité des plateformes, en vue surtout d’une meilleure couverture sociale pour les travailleurs.
C’est le cas notamment au Chili, en Argentine, au Brésil et en Colombie. Aucun de ces projets n’a pour l’heure abouti.