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ÉCOLOGIE

Raphaël Kempf : « Selon moi, la loi séparatisme ne permet pas de dissoudre les Soulèvements de la Terre »

24 avril 2023 | Mise à jour le 25 avril 2023
Par | Photo(s) : AFP
Raphaël Kempf : « Selon moi, la loi séparatisme ne permet pas de dissoudre les Soulèvements de la Terre »

Raphël Kempf, est l'un des avocats des Soulèvements de la Terre. Crédit photo : DR

Alors que les Soulèvements de la Terre ont appelé à un nouveau rassemblement le week-end du 22-23 avril pour protester contre le projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse, le collectif écologiste est toujours menacé de dissolution. Depuis que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, trois jours après la manifestation contre la mégabassine de Sainte-Soline, a annoncé vouloir dissoudre le mouvement écologiste, la tribune publiée par le mouvement a reçu le soutien de nombreuses personnalités du monde politique, artistique et scientifique, et près de 100 000 signatures. Avec Raphaël Kempf, l’un des avocats du mouvement, retour sur la procédure en cours et ses éventuelles suites.

Que reproche-t-on précisément aux Soulèvements de la Terre ?

Précisément, rien ! Les reproches du ministre de l'Intérieur reposent pour l’essentiel sur des propos légitimant des actions violentes et dites de sabotage et sur le fait d'avoir organisé des manifestations au cours desquelles des dégradations ont eu lieu.

Nous considérons que cette procédure administrative de dissolution a pour effet de contourner le droit pénal et ses garanties, notamment le droit à un procès contradictoire et public. En effet, dans le cadre d'une procédure administrative, il y a un renversement de la charge de la preuve : c'est à nous de contester les faits qui nous sont reprochés, et non au ministère de les établir. Sont visés ici des propos ou des publications qui auraient eu pour effet de légitimer des actions violentes et des dégradations. Ces faits constituent des infractions pénales d'abus de la liberté d’expression, punies par loi de 1881 sur la liberté de la presse. Or, personne n'a été poursuivi en justice pour le moindre propos qui pourrait tomber sous le coup de la loi.

Cette procédure pose également un problème en termes de liberté d’expression : ce que l'on reproche aux Soulèvements de la Terre, ce sont essentiellement des propos. Cette procédure met également à mal une autre liberté fondamentale, la liberté d'association.

 

Qui est visé par cette procédure de dissolution, puisqu'il s'agit d’un mouvement ?

À ce jour, les Soulèvements de la Terre comptent plus de 90 000 personnes… Nous avions demandé, dans le cadre de la procédure contradictoire prévue par la loi avant une dissolution, que soient entendus plusieurs représentants du mouvement, parmi lesquels Philippe Descola ou encore Cyril Dion. Cela a été refusé par le ministère, ce qui, selon nous, est illégal. Ce n'est pas au ministère de l'Intérieur de décider qui parle au nom du mouvement.

 

Quelles seraient les conséquences concrètes ?

Pour l'instant, la dissolution des Soulèvements de la Terre n'a pas été prononcée. Mais dans le cas d’une telle dissolution et si des membres du mouvement continuant à se revendiquer comme tels venaient à se réunir à nouveau dans le but de maintenir ou reconstituer le mouvement, et que la preuve en soit apportée, alors il pourrait y avoir une procédure pénale. La loi prévoit que la reconstitution ou le maintien de groupements dissous peut être punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Je rappelle que des personnalités comme Annie Ernaux appartiennent au mouvement. On serait dans une situation ubuesque : la France ferait encourir une peine de prison à une prix Nobel de littérature…

Sur le plan administratif, la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement permet de recourir à des techniques spéciales de renseignement pour prévenir la reconstitution ou le maintien du groupement dissous. Écoutes administratives, sonorisations, investigations numériques dans les ordinateurs… Des moyens intrusifs extrêmement attentatoires à la vie privée peuvent être mis en œuvre.

 

C’est la première annonce de dissolution d’un mouvement écologiste. Comment comprendre cette décision ?

Il s'agit d'une fuite en avant répressive et sécuritaire. Le ministre de l'Intérieur utilise tous les moyens qu'il pense avoir en sa possession pour s'en prendre à des opposants politiques et à des personnes qui tiennent un discours avec lequel il est en désaccord.

 

Quel est le lien entre la loi séparatisme et cette annonce de dissolution ?

Gérald Darmanin pense qu'il peut dissoudre les Soulèvements de la Terre sur le fondement de la loi séparatisme [loi du du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, NDLR]. Je ne le pense pas. Cette loi extrêmement problématique prévoit, entre autres, la dissolution des groupements ou associations qui provoquent à la commission de violences contre les biens ou les personnes. Or, la qualification de provocation vient de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui encadre la liberté d'expression. Cela pose un véritable problème d'avoir une nouvelle manière de s'en prendre à la liberté d’expression. D'autant plus que la notion de provocation à la commission de violences contre les biens ou les personnes ne veut pas dire grand-chose en droit. Les agissements violents contre les biens n'existent pas, cette qualification ne concerne que les personnes.

Par ailleurs, il y a beaucoup d'actions de désobéissance civile légitimes qui s'en prennent aux biens, cela fait partie du répertoire d'actions des mouvements écologistes de nos jours. La loi séparatisme est scandaleuse et devrait être abrogée, comme bien d'autres lois liberticides adoptées ces dernières années.

Même dans les critères extrêmement lâches de la loi séparatisme, je considère que les Soulèvements de la Terre ne peuvent pas être dissous, car rien, dans les faits, ne peut être qualifié de provocation à des agissements violents contre des personnes ou des biens. D'autre part, les normes du droit international et européen, notamment la Convention européenne des droits de l'homme, protègent les libertés d'expression et d'association.

 

Le gouvernement a qualifié les militants écologistes d'« éco-terroristes ». Qu'est-ce que cela implique de se placer sur le terrain de la lutte anti-terroriste face à des mouvements écologistes ?

La qualification de terroriste a des conséquences dans l'espace public. Symboliquement, cela revient à disqualifier un adversaire politique et à délégitimer sa parole. Juridiquement, cela n'a pas de conséquence, surtout dans la mesure où l'éco-terrorisme n'a pas d'existence juridique. Toutefois, je crains que ce discours infuse et convainque les juristes, notamment le Parquet national anti-terroriste, qui n’est pas indépendant, de chercher à appliquer à l'avenir la définition juridique du terrorisme à des mouvements écologistes.

 

Retrouvez notre reportage sur les projets de mégabassines dans les Deux-Sèvres dans le numéro 5 de notre revue trimestrielle La Vie Ouvrière.