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JO Paris 2024

Des Jeux Olympiques, pour quoi faire?

19 octobre 2023 | Mise à jour le 19 octobre 2023
Par et | Photo(s) : J-F Rollinger / Onlyparis.net
Des Jeux Olympiques, pour quoi faire?

Les anneaux olympiques au pied de la façade de l'hôtel de ville à Paris

Même si les Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024 alignent des chiffres un peu moins démesurés que les précédentes olympiades, ce seront tout de même neuf milliards d'euros minimum ainsi que des milliers de salariés et de bénévoles mobilisés pour un mois de compétition. Pour quel héritage ? La question se pose sur le plan économique, social et environnemental, mais aussi en termes d'infrastructures. Notre enquête est à retrouver dans le numéro 7 de la Vie Ouvrière.

Le rendez-vous est donné devant l'entrée de l'université Paris 13, à Bobigny (93). Une quarantaine de cyclistes s'élancent sous escorte policière pour une balade urbaine encadrée par des militants du collectif Saccage 2024. Qui, comme le nom l'indique, dénonce les dégâts environnementaux et les mutations urbaines subis par le département de la Seine-Saint-Denis, au nord de la capitale, à l'occasion des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) qui se tiendront à Paris l'année prochaine (du 26 juillet au 11 août pour les Jeux olympiques et du 28 août au 8 septembre pour les Jeux paralympiques). Au soleil couchant, le peloton surplombe la gare de Dugny-La Courneuve où un panneau publicitaire clame que « Demain, grâce aux Jeux, le parc départemental Georges-Valbon s'agrandira et gagnera 13 hectares ». Faux, rétorque Arthur, du collectif, devant l'Aire des Vents. C'est sur cette prairie coincée entre Dugny et l'aéroport du Bourget que le village des médias, censé accueillir 1 300 journalistes et techniciens des médias venus du monde entier, se construit. « Pour les Jeux, on dilapide un bien commun. L'Aire des Vents a été vendue à la Solideo [Société de livraison des ouvrages olympiques, NDLR] autour de 70 euros le mètre carré. On nous promet 20 % de logements sociaux, ce sera plutôt des logements intermédiaires qui ne bénéficieront pas à la population locale. Les 13 hectares de végétalisation de terrain, où l'armée stockait des hydrocarbures, ne compensent pas la perte des 27 hectares de l'Aire des Vents, considérée comme un couloir écologique. » Les promeneurs poussent jusqu'au carrefour Pleyel, où se construit un échangeur autoroutier pour desservir le futur village olympique. Au milieu de ce triangle, où le trafic routier et la pollution atmosphérique sont déjà étouffants, grandissent près de 700 enfants d'une école maternelle et élémentaire. Pour Hamid Ouidir, parent d'élève à la FCPE 93 et membre du comité de vigilance JO 2024, « ce projet risque de laisser des séquelles à vie ».

Des jeux à enjeux

À moins d'un an de l'ouverture de Paris 2024, l'heure n'est pas forcément à la fête pour tout le monde. Opposée au début à l'organisation des JO dans la capitale, jugeant leur coût trop élevé, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a finalement changé d'avis pour s'engager en faveur de Jeux sobres en dépenses, respectueux de l'environnement, exemplaires sur le plan social. Pourquoi ce revirement ? Parce que les JO sont bien plus qu'une parenthèse, synonyme d'une trêve invitant à la fin des conflits dans le monde et à la fraternité entre les peuples. Ils sont porteurs d'enjeux politiques, géopolitiques et, bien sûr, économiques.

À l'international, c'est le moyen d'augmenter sa visibilité, de faire l'agenda, de montrer sa capacité à réunir et à parler au monde entier. Aujourd'hui, le sport est l'avant-scène des relations internationales et la diplomatie de coursive fait partie intégrante des Jeux. Jean-Baptiste Guégan, enseignant en géopolitique du sport

« Ce sera aussi l'occasion pour le gouvernement d'élaborer un récit positif à l'extérieur et à l'intérieur des frontières, après le traumatisme des attentats de 2015, les manifestations des Gilets jaunes, la crise sanitaire ou les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, plus récemment », analyse Jean-Baptiste Guégan, enseignant en géopolitique du sport. Les Jeux seront-ils populaires et accessibles, comme l'a promis Emmanuel Macron ? En dépit de billets à 24 euros, le public a été refroidi par des prix exorbitants : 980 euros pour assister en bonne place à la finale du 100 mètres ou celle de basket. Le ticket d'entrée pour la cérémonie d'ouverture sur les quais de Seine peut grimper, lui, à 2 700 euros. « Ce qui provoque la colère, c'est la dissonance entre le discours et la réalité. Le système de tirage au sort, mis en place au début, a pu aboutir à une surreprésentation d'un public aisé. Dit autrement, la probabilité que les billets à 24 euros bénéficient à un public aux revenus modestes est faible », remarque Thomas Eisinger, professeur associé en droit des organisations et manifestations culturelles à l'université d'Aix-Marseille.

Un coût et des coups

Fixé à 6,7 milliards d'euros au moment de l'attribution des JO en 2017, le budget de Paris 2024 devrait finalement atteindre 9 milliards. La faute à l'inflation, à la hausse du coût des matières premières et de l'énergie, plaident les organisateurs. Pour autant, Paris figurerait parmi les Jeux les moins chers de l'histoire, leur organisation s'appuyant en grande partie sur des infrastructures déjà existantes. Deux structures en ont la charge. L'organisation et la sécurité des épreuves, les transports, la restauration des participants ou encore les salaires des organisateurs sont gérés par le Comité d'organisation des jeux olympiques et paralympiques (Cojop). Les infrastructures sportives et non sportives (stades, village olympique, centre médias) sont sous la responsabilité de la Solideo. « Si l'on se place sur le seul terrain économique, on peut se demander pourquoi tant d'argent, qui plus est de l'argent public. Mais les Jeux sont un accélérateur, analyse Vincent Chaudel, économiste du sport. Si nous ne les avions pas eus, le Grand Paris se serait quand même fait, mais à quel horizon ? Ces grands rendez-vous sont le moyen de mettre tout le monde autour de la table, de fédérer et de déclencher un mouvement. » En Suisse, à quelques encablures du Comité international olympique, Martin Müller, professeur de géographie à l'université de Lausanne, est plus critique.

L'un des enjeux pour un gouvernement qui se porte candidat, c'est de servir des intérêts immobiliers. Martin Müller, professeur de géographie à l’université de Lausanne

« Les lois d'exception votées à l'occasion des JO permettent d'accélérer les procédures habituelles et se traduisent le plus souvent par une gentrification des quartiers et une bétonisation des espaces verts. Comme ce fut le cas à Londres et à Rio », pour Martin Müller. La Seine-Saint-Denis n'échappe pas à la règle. Les JO servent de prétexte aux collectivités et à l'État pour accélérer les mutations urbaines liées au Grand Paris, en dépit de l'urgence écologique qui nécessite de préserver des terres nourricières et des écosystèmes en ville. Exemple de lieu emblématique : les jardins ouvriers d'Aubervilliers menacés de destruction pour laisser place à une piscine olympique et une gare du Grand Paris Express. « En dépit d'une décision de justice rendue en 2021, qui oblige la municipalité à revoir ses plans, 4 000 m2 de jardins ont déjà été détruits. Par ailleurs, les projets du Grand Paris vont encore détruire 10 000 m2, dans une ville qui ne compte que 1,40 m2 de verdure par habitant », explique Jean-Marie Baty, dirigeant du Mouvement national de lutte pour l'environnement en Seine-Saint-Denis. Autre revers de la médaille olympique, l'éloignement des populations les plus précaires. À commencer par les étudiants locataires des résidences franciliennes du Crous, sommés par leur bailleur de vider les lieux avant le 30 juin 2024 et de laisser leur logement au personnel affecté aux Jeux (soignants, secouristes…). Une décision toutefois suspendue par la justice fin août dernier… Au cœur de l'été, plusieurs associations et syndicats (DAL, Gisti, LDH, CGT 93, Solidaires 93) dénonçaient aussi l'expulsion de familles qui occupaient un bâtiment de la mairie de Paris sur les bords du canal Saint-Denis. « L'opération se préparait depuis au moins un an, sans qu'aucun travail de diagnostic social n'ait été conduit dans l'intervalle. Est-ce là l'esprit de solidarité, le levier d'inclusion que doivent constituer les Jeux olympiques et paralympiques ? » interrogent les associations. De la même manière, en avril, plus de 400 migrants ayant trouvé refuge sur l'Île-Saint-Denis, près du futur village des athlètes, ont été délogés sur décision de l'État.

Derrière le prétexte de mise à l’abri des personnes les plus fragiles, les JO sont surtout l’occasion de cacher les parias olympiques. Paul Alauzy, Médecins du monde

Derrière le prétexte de les mettre à l'abri, Paul Alauzy, coordinateur de la veille sanitaire en Île-de-France pour Médecins du monde, y voit surtout l'occasion de cacher « les parias olympiques. Une cinquantaine d'habitants ont été incités à prendre un bus pour Toulouse où ils ont été accueillis pendant trois semaines. Ils ont ensuite été envoyés à Nîmes sans autre solution. Résultat, ils sont remontés à Paris. Des enfants étaient scolarisés, des habitants avaient trouvé des petits boulots… L'État veut cacher la misère. Des arrêtés antimendicité vont encore tomber. » Quel héritage laissera Paris 2024 ? Los Angeles, Barcelone, Séoul, Sidney ou Pékin – les Jeux les plus chers de l'histoire –, toutes les villes hôtes affirment que la compétition a plus rapporté qu'elle n'a coûté. Malgré une constante depuis 1968 : un coût toujours sous-estimé. Le remboursement des Jeux de Montréal (1976) s'est ainsi étalé sur trente ans ; le budget initial de Londres (2012) a été, lui, multiplié par trois… Pour Paris, le Centre de droit et d'économie du sport de Limoges évalue les retombées entre 5,3 et 10,7 milliards d'euros pour l'Île-de-France sur la période 2017-2034.

Le poids de l'emploi

Sur le plan de l'emploi, la charte sociale signée en 2018 entre le Cojop, la Solideo, les employeurs et les organisations syndicales – une première dans l'histoire (voir p. 64-65) – formalise seize engagements, parmi lesquels le développement des compétences et la sécurisation des parcours professionnels. Si l'objectif de 10 % des heures travaillées réservées à l'insertion professionnelle pour les publics dits « éloignés de l'emploi » a été dépassé, « rien ne garantit, une fois les chantiers livrés, que ces heures déboucheront sur des recrutements », constate Bernard Thibault, coprésident du comité de suivi de la charte sociale et ex-secrétaire général de la CGT. La Cojop et la Solideo avaient lancé une étude destinée à identifier les emplois et les besoins en formation. « Cette cartographie devait permettre aux branches professionnelles d'anticiper les besoins en recrutement et de mettre en œuvre des parcours de formation adaptée », rappelle la mission d'information parlementaire sur les retombées des JOP, dans un point d'étape daté de février 2023. Mais « force est de constater, soulignent les auteurs, que cet objectif n'a pas toujours été atteint, le cas de la filière de la sécurité privée en étant l'un des exemples les plus manifestes ».

À moins d'un an de l'événement, il semble acquis que les besoins en agents de sécurité (25 000, en plus de la police et de la gendarmerie) ne seront pas satisfaits. Et ce, même si Pôle emploi a été missionné pour former 20 000 chômeurs ou étudiants. « Les entreprises [de sécurité] ont déjà du mal à répondre aux demandes des clients habituels, fait remarquer Saïd, 25 ans d'expérience en tant que manager et recruté comme vigile sur la Coupe du monde de rugby. Le métier souffre d'une image dégradée, mais aussi de la faiblesse des salaires [malgré une revalorisation de 7,5 % en janvier], de la forte précarité [plus de 70 % de contrats à durée déterminée] et du niveau élevé de turnover [50 % par an]. »

Quoi qu'il en soit, « la charte a contribué à limiter les phénomènes de sous-traitance en cascade sur les chantiers. Il y a eu quatre fois moins d'accidents du travail sur les chantiers des JO que sur des chantiers classiques en France », observe Boris Plazzi, secrétaire confédéral et référent CGT du collectif Paris 2024. Cent trente accidents, dont dix-sept graves, ont été enregistrés sur les chantiers menés par la Solideo. Les risques demeurent, en revanche sur des chantiers parallèles, moins surveillés. En juin 2023, un ouvrier est mort sur celui du bassin d'Austerlitz, à Paris. Et d'autres zones d'ombre subsistent. Alors que 44 500 volontaires sont attendus, la mission parlementaire appelle à une « meilleure distinction des missions relevant du bénévolat et du salariat », relayant les craintes d'un « détournement » du bénévolat, au vu du contenu de certaines fiches de poste. Autre cas, le commerce. Un décret, pris par le gouvernement au mois de mai et dénoncé par les syndicats, autorise les commerces de détail à ouvrir le dimanche du 15 juin au 30 septembre 2024. Le périmètre : les villes organisatrices et leur périphérie. Soit « un quart du territoire national », selon Bernard Thibault.

Pour conclure, Martin Müller a étudié la durabilité sociale, environnementale et économique des JO. Devant l'objectif du Cojop de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre générés par l'événement, il reste sceptique : « On ne peut pas diminuer l'empreinte carbone sans diminuer drastiquement la taille des Jeux. Il faudrait aussi réutiliser systématiquement les structures existantes. D'où l'idée de faire circuler les Jeux entre les mêmes villes, pour éviter les nouvelles infrastructures. »