12 juin 2024 | Mise à jour le 12 juin 2024
Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT et quatre autres dirigeants d'organisations syndicales représentatives ont affirmé, le 11 juin, lors d’une conférence de presse, leur ferme opposition à une nouvelle réduction des droits des chômeurs. Une mesure que l’exécutif s’entête à vouloir entériner par décret, malgré la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée au soir du 9 juin, à l’issue des élections européennes.
« Un véritable hold-up sans que le gouvernement ne produise la moindre étude d’impact », c’est par ces mots que Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, a qualifié le projet de réforme de l’assurance-chômage que le gouvernement s’entête à vouloir passer par décret le 1er juillet malgré la dissolution de l’Assemblée Nationale. L’Unedic, l'organisme gestionnaire de l'assurance-chômage, a, en effet, révélé que cette réforme entraînerait 5,4 milliards d’euros d’économies alors que le gouvernement en avait annoncé 3,6 milliards. « Cette réforme par décret est un enjeu majeur puisqu'elle concernerait au minimum 1 million de personnes précarisées et qu'environ 300 000 personnes seraient privées de droits », a-t-elle poursuivi à l’occasion d’une conférence de presse qui s’est tenue le 11 juin 2024 à Paris au siège du Conseil économique social et environnemental et qui a réuni cinq dirigeants d'organisations syndicales représentatives. Pendant près d’une heure, si les formules varient, leur détermination est la même pour réaffirmer leur totale opposition à cette nouvelle contre-réforme. De Marylise Léon, pour la CFDT, à Frédéric Souillot (FO) en passant par Cyril Chabanier (CFTC) et François Hommeril (CFE-CGC), tous ont dénoncé une succession de réformes à marche forcée depuis 2017 et appelé solennellement le gouvernement à renoncer à publier le décret. Celui-ci va réduire la durée d'indemnisation de dix-huit à quinze mois, obligera à avoir travaillé huit mois (au lieu de six actuellement) au cours des vingt derniers mois pour bénéficier d’une indemnisation et passera de 53 à 57 ans de l'âge minimum pour avoir droit à une indemnisation plus longue…
Transformation de notre modèle social
François Hommeril et Cyril Chabanier ont tous deux pointé la très forte inquiétude qui régnait dans les bancs de la majorité concernant l’éventualité probable de l’adoption de la proposition du loi du groupe parlementaire Liot (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires). Celle-ci avait pour but de bloquer le projet de l’exécutif. Adoptée en commission des affaires sociales, elle devait être examinée jeudi 13 juin. De là à imaginer que l’annonce de ce revers prévisible a pesé dans la décision de dissoudre l’Assemblée…
Après les syndicalistes, la parole a été ensuite donnée à quatre chercheurs. Michael Zemmour, Claire Vivès, Bruno Coquet et Dominique Lhuillier se sont succédé pour analyser la logique de cette réforme et en détailler l’impact. « Nous avons connu, en quelques années, une importante transformation de notre modèle de protection sociale et notamment de l’assurance chômage », a souligné Michael Zemmour, enseignant chercheur à Lyon 2. « La baisse des dépenses de l’Unédic, avec cette nouvelle réforme atteint entre 10 et 12 milliards, soit un quart du budget de l’assurance chômage en seulement quelques années », explique l’économiste très écouté lors de la lutte contre la réforme des retraites en pointant également un changement de logique. « Alors qu’elle avait pour fonction d'empêcher la perte de revenus suite à un licenciement et de permettre la recherche d’un nouvel emploi, l’assurance-chômage devient un instrument de gouvernement du marché du travail », explique-t-il en détaillant les principales victimes de la réforme : les jeunes et les précaires mais aussi les seniors, particulièrement les ouvriers et employés et les femmes.
Appauvrir les chômeurs
Claire Vivès, sociologue au centre d’études de l'emploi et du travail, a, quant à elle, pointé la logique idéologique de ces réformes. « Le postulat est de considérer que les privés d'emploi sont responsables de leur situation. Il devient légitime d’appauvrir les chômeurs afin de les « inciter », en réalité les contraindre, à reprendre un emploi. Cela vise à délégitimer toutes les exigences des demandeurs d'emploi concernant la rémunération, le temps de travail…. », dénonce-t-elle.
Nous allons avoir de plus en plus de personnes qui vont revenir à de multiples reprises au chômage, vont devoir prendre des emplois qui altèrent leur santé
Bruno Coquet, chercheur associé à l’OFCE, a, lui, souligné la très bonne santé financière de l’Unedic, en excédent depuis des dizaines d’années, mais aussi l’absence de tous bilans des réformes précédentes et le caractère totalement incompréhensible des différents décrets. C’est à la santé des chômeurs, un véritable angle mort, que s’est intéressée Dominique Lhuilier, psychologue du travail au CNAM. « Nous allons avoir de plus en plus de personnes qui vont revenir à de multiples reprises au chômage, vont devoir prendre des emplois qui altèrent leur santé », alerte-t-elle. Apport scientifique sur les effets de la réforme, communiqué commun à l’ensemble des huit organisations syndicales, recours devant le Conseil d’Etat si le décret est publié, il n’est pas question de baisser les bras, d’autant que comme le rappelle Sophie Binet : « Si jamais le gouvernement publie cette réforme, un autre gouvernement peut le défaire ! »