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Loi IVG

Un demi-siècle de lutte pour le droit à l'avortement… et le combat continue

23 janvier 2025 | Mise à jour le 23 janvier 2025
Par | Photo(s) : AFP
Un demi-siècle de lutte pour le droit à l'avortement… et le combat continue

Simone Veil, alors ministre de la Santé, le 26 novembre 1974, à l'Assemblée nationale, lors des débats sur l'IVG. La loi sera promulguée deux mois après, le 17 janvier 1975

Les féministes s'étaient donné rendez-vous le 17 janvier, à Paris, pour célébrer les cinquante années de combat pour le droit à l’avortement, depuis son autorisation en 1975. Au menu de la soirée, de nombreux témoignages sur les batailles menées avant et après l’adoption de la loi, pour préserver ce droit jamais tout à fait acquis. L’occasion, aussi, de transmettre des idées et des stratégies de combat aux nouvelles générations, qui devront malheureusement en faire bon usage.

Champagne ! Ce 17 janvier 2025, une centaine de féministes fêtaient les cinquante ans de l’adoption de la loi Veil autorisant le recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans le grand auditorium de la MGEN [Mutuelle générale de l’Éducation nationale, NDLR], dans le quartier Montparnasse, à Paris. Le défilé des Suzy, Josie, Nicole et Martine à la tribune en début de soirée provoquait des sourires attendris. Puis, par leurs récits de vie, ces mamies imposaient l’admiration et le respect, transmettant leur expérience aux plus jeunes qui devront en faire bon usage. La soirée était animée par Suzy Rojtman, présidente du Collectif national du droit des femmes, et Aurélie-Anne Thos, infirmière et déléguée CGT à la maternité de l'hôpital Tenon (Paris 20e).

La poussée pour le droit à l’avortement

L’adoption de la loi Veil, en 1975, est le fruit d’une poussée de la revendication du droit à l’avortement dans toute la société. Au manifeste des 343 personnalités déclarant « Je me suis faite avorter », paru en avril 1971 dans le Nouvel Obs, succède en novembre de la même année la grande manifestation du Mouvement de libération des femmes. Un an plus tard, devant la justice, la plaidoirie de Gisèle Halimi durant le procès de Marie-Claire (jugée pour avoir avorté après un viol) est un cri. « Les avocates Gisèle Halimi et Monique Antoine avaient appelé à la barre l’actrice Delphine Seyrig, qui a témoigné avoir accueilli la veille, dans son appartement, un avortement clandestin », se souvient Françoise Picq, dirigeante du Mouvement de libération des femmes. En parallèle, les médecins du « Groupe information santé » découvrent la méthode Karman, qui permet de pratiquer des avortements moins traumatisants que le curetage traditionnel. Ils forment ainsi de nombreux soignants et non-soignants, qui réalisent des avortements illégaux à domicile. « En avril 1973, on décide qu’il faut transformer notre pratique en quelque chose de politique. C’est la constitution du MLAC », raconte Joëlle Brunerie Kauffman, gynécologue.

« On participait à des manifs, on prenait confiance ensemble. On était même parfois vulgaires, pour être dérangeantes » Josie Céret, fondatrice du MLAC

Josie Céret est une des premières militantes de ces 300 collectifs. Secrétaire au journal Le Monde, et fondatrice du MLAC, le Mouvement pour la libération de l’avortement et de la contraception, Josie tient des permanences à Puteaux. « On participait à des manifs, on prenait confiance ensemble. On était même parfois vulgaires, pour être dérangeantes », rigole l’octogénaire. Cinquante ans plus tard, appuyée sur son parapluie, elle continue d’être de toutes les manifestations.

Notre corps, nous-mêmes

Paradoxe de la victoire, l’adoption de la loi Veil « ampute » l’avortement de son aspect collectif et militant. Les femmes doivent désormais aller à l’hôpital, où l’on pratique encore principalement des curetages douloureux. « C’est pour ça qu’avec le MLAC de la place des Fêtes, à Paris, composé uniquement de non-soignants, on a repris les avortements par aspiration, avec nos pompes à vélo inversées, entre 1977 et 1980, dans la joie du ‘‘faire ensemble'' », raconte Annie Chemla. Les soignantes du MLAC, elles, s’investissent dans les centres IVG qui ouvraient, comme celui de Colombes, en 1975. Catherine Soulat et Martine Lalande racontent cette aventure dans Si une femme veut avorter, ne la laisse pas seule, publié le 5 décembre dernier.

D’autres s’attellent à adapter le manuel de santé féministe américain Our body, ourselves (en français Notre corps, nous-mêmes). « Le MLAC manquait d’un tel livret. On devait connaître notre corps pour faire face au pouvoir médical », précise Nicole Bizos. L’utilité d’un tel ouvrage est tel qu’une nouvelle génération de féministes décidera de le réactualiser en 2020.

Un demi-siècle d’avancées

A 98 ans, Emile Beaulieu, l’inventeur de la pilule abortive RU 486 en 1982, avait, lui aussi, tenu à être présent ce soir-là. « J’envisageais ma pilule comme celle de la liberté des femmes. On aurait pu la prendre chaque mois pour faire venir les règles, qu’il y ait ou non fécondation. J’aurais voulu appeler ça la ‘‘contragestion''. Mais le conseil de l’Ordre des médecins m’est tombé dessus. Il a fallu ferrailler, aussi, avec le patron allemand de Roussel Uclaf [laboratoire pharmaceutique, NDLR], un allemand proche du pape », expliquait-il dans un film quelques années plus tôt, projeté pour l’occasion.

Allongement du délai de recours à l’IVG à 12 semaines grâce à la loi Aubry de 2001, puis à 14 semaines en 2022, reconnaissance du délit d’entrave à l’IVG en 1993 (étendu au numérique en 2017), adoption, en 2021, de la loi portant sur la mise en place de trois séances d’éducation à la vie sexuelle et affective pendant la scolarité, inscription du droit à l’avortement dans la Constitution, en 2024… L’impulsion du mouvement des années 1970 aura permis bien des avancées. Toutefois, des marges de progressions existent : sur la suppression de la double clause de conscience, qui permet aux médecins de refuser de pratiquer les avortements ; la possibilité pour les sage-femmes de pratiquer des IVG instrumentales [méthode qui consiste à aspirer le contenu de l’utérus après dilatation du col] en centre de santé…

Intégrisme religieux et privatisation de la santé

Alors que tant de défis sont encore à relever, le climat est plutôt au recul des droits procréatifs. L'influence de la droite catholique, en France ou aux Etats-Unis, rebooste les intégristes. Dans les années 1990, ils s’appelaient SOS Tout-Petits ou La Trêve de Dieu. Avec une méthode commune : des commandos anti-IVG s’introduisant dans les hôpitaux pour perturber les interventions et culpabiliser les patientes. « En 1993, à Tours, neuf jeunes gens se sont enchaînés à la table gynéco avec des antivols de moto, sur lesquels ils ont coulé du ciment », raconte Odile Montazeau, sage-femme, membre de l’Association nationale des centre IVG et de contraception (ANCIC). Pour répondre à ces assauts, Maya Surduts crée en 1990 la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et la contraception (CADAC). S’ils se concentrent aujourd’hui sur la diffusion, sur les réseaux sociaux ou les abribus de la capitale, de fake news visant à dissuader les femmes d’avorter, comme le groupe « Les Survivants », les adversaires de l’IVG pourraient, à la faveur de financements de milliardaires, comme Pierre-Edouard Stérin, reprendre un service plus musclé.

Mais en attendant, la principale entrave au droit à l’avortement consiste aujourd’hui en la destruction de l’hôpital public. 300 maternités « non rentables » ont disparu depuis la loi sur l’hôpital de 2009, et avec elles, leurs centres IVG. Seules les plus militantes surnagent, avec difficulté. Après la fermeture en catimini du CIVG de Tenon en 2009, le collectif s’est battu pied à pied, pendant quatre ans, pour obtenir sa réouverture. Une tâche d’autant plus difficile qu’elles étaient la cible des attaques de SOS Tout Petits qui venait manifester chaque samedi aux abords de l’hôpital. La maternité des Lilas est, quant à elle, contrainte à l’errance par l’agence régionale de santé depuis 2010.

De la force pour l’avenir

Si l’humeur était à la fête, en cette soirée du 17 janvier, elle n’était pas au triomphe. L’investiture de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, les plans du milliardaire ultra-réactionnaire Pierre-Edouard Stérin pour conquérir le pouvoir en France … laissent entrevoir des jours difficiles pour celles qui défendent les droits des femmes à disposer de leurs corps. Les jeunes générations de féministes ont-elles tout intérêt à tirer de la force et des idées des témoignages de leurs aînées.