Mémoires offertes de l'immigration.
PHOTOS, PAPIERS D'IDENTITÉ, INSTRUMENTS DE MUSIQUE, CHÂLE, OUTILS DE TRAVAIL…
Sur 450 m2, les vitrines de la Galerie renferment les objets confiés par les donateurs comme une trace de leurs histoires singulières avec, à chaque fois, un récit sur le parcours du propriétaire de l'objet présenté et, à l'extérieur, un résumé de l'histoire de l'immigration dans laquelle il s'inscrit. « La galerie ne répond pas à une typologie chronologique ou géographique, souligne Hélène du Mazaubrun, muséologue, responsable de la galerie des dons. Elle s'attache au récit de vie singulier mais aussi à la mémoire générationnelle de l'immigration. » Et aux allers et retours que cela suppose entre le passé et le présent. Car évoquer le parcours de ses ancêtres, c'est s'interroger sur sa propre identité.
L'IDENTITÉ QUESTIONNÉE
« La scénographie insiste sur cette dimension sensible, sur ce mouvement de la mémoire, ce chemin intérieur de l'identité », insiste Hélène du Mazaubrun. L'objet renvoie autant au récit de vie du propriétaire qu'à la démarche du donateur. Ainsi, l'espace est scénarisé en quatre séquences : hériter, partager, contribuer et accepter, afin d'en rendre compte. Qui suis-je par rapport à mon passé ? Qui suis-je en fonction du regard des autres ?
Quelle reconnaissance acquiert-on en fonction du travail, de l'engagement syndical ou militaire ? Et de citer l'exemple d'Ora Adler, fille du photographe de plateau de cinéma Emmanuel Lowenthal, qui a fui l'Allemagne nazie des années 1930.
Outre les photos de son père, elle a donné à la galerie sa médaille de chevalier des Arts et des Lettres, reçue en 1998, après avoir versé le fond paternel à la Cinémathèque française. Or, les lois Pasqua de 1995 l'obligent à apporter les preuves de sa nationalité. Plutôt que de renvoyer sa médaille, elle a préféré en faire don au musée pour témoigner : « D'un côté, la France reconnaît la contribution de ma famille immigrée au patrimoine national français. D'un autre, on remet en cause notre présence sur le territoire. »
Le parfum maternel
Dans cette galerie, il est des objets insolites comme cette taie d'oreiller et cette bouteille de parfum dans la vitrine renvoyant au récit de Sarah Doraghi, qui ainsi a voulu signifier la présence olfactive de sa mère. En 1983, en pleine guerre d'Iran, Sarah et ses sœurs se retrouvent à Paris chez leur grand-mère et leur tante, tandis que leur mère reste à Téhéran. Pendant six ans, pour retrouver sa présence, Sarah parfume une taie d'oreiller. « Je suis sortie de l'enfance avec un bout de tissu ombilical auquel je n'ai jamais su renoncer. Voici donc ma mère 50 % coton, 50 % polyester… »
Une tonne d'acier
Le premier don fait au musée est une truelle de maçon, celle de Luigi Cavanna, offerte par son fils François. L'écrivain, décédé fin janvier, a raconté notamment dans Les Ritals, en 1978, le parcours de son père italien, arrivé en France en 1912. À propos de la truelle, il prévenait : « Ce n'est pas une relique. J'en ai hérité et, tout naturellement, je m'en suis servi à mon tour comme d'une chose allant de soi. »
Un objet hautement symbolique qui évoque la transmission mais aussi le labeur. Et ce n'est pas le seul dans cette galerie, tant le travail est central dans ces parcours de vie.
Ainsi, une fraiseuse y trône. Celle d'Emilio Reig, républicain espagnol, exilé en France. Sa fille, Isabelle Reig-Raboutet, a songé la donner un temps à la Maison des Métallos, où son père syndiqué militait.
L'exposer dans la séquence « contribuer » de la galerie, c'est montrer que c'est aussi par le travail et les luttes syndicales que les immigrés ont participé à l'histoire de France comme Marius Apostolo ou Saïd Abtout (voir encadré). « Une tonne d'acier, c'est à la mesure de tout ce qu'on a apporté à la France en tant que fils et filles de républicains espagnols. Grâce à cette machine, mon père pouvait se sentir utile. Elle représente aussi sa fierté d'ouvrier et son savoir-faire », témoigne-t-elle.
Baptista de Matos, lui, a fait don d'une pierre du métro parisien. Débarqué du Portugal en 1963, il intègre la RATP deux ans plus tard et participe au prolongement de la ligne 1 du métro parisien, puis à la construction de nombreuses stations comme celle du RER Charles-de-Gaulle (tout un symbole !) d'où est issue la pierre exposée : « Pour moi, c'était le trophée d'un guerrier des souterrains. C'était mon trophée, le symbole de ma carrière, de ma contribution à la France. »
Contrat de travail
Dans la vitrine dédiée à Alexandrovitch Condratievitch Tikhomiroff et à sa femme Maria Consuelo Magaz, un cor chromatique, des programmes des cirques Pinder et Barnum. Son fils Alexandre Tikhomiroff en a fait don au musée, qui l'avait contacté suite à la parution de son livre « La tasse de thé » (1), où il raconte notamment le parcours de son père. Ce dernier a quitté la Russie en 1920, est passé par la Turquie et la Bulgarie. Arrivé en France en 1926, il sera un temps musicien dans les cirques mais pas que…
Son fils est plutôt déçu en découvrant la vitrine où ne figure pas le premier contrat de travail de son père. Il avait pourtant insisté pour qu'il y soit. Et d'expliquer : « Mon père a été recruté en Bulgarie pour venir en France travailler dans les aciéries Ugine en Savoie. C'était atroce, des conditions de travail dignes du XIXe siècle ! Ce contrat de travail témoignait de la présence de milliers de Russes dans ces usines. »
Tableau mystérieux
Giuseppina Folia a fait le déplacement de Bordeaux pour l'inauguration. La vitrine dédiée à ses parents, Ferrante Boselli et Karola Katz, referme un drôle de tableau où figurent 368 hommes en médaillon, dont son père (« le deuxième sur la cinquième rangée en partant du haut », précise-t-elle), avec la mention en italien « Association des combattants italiens de la Fédération française – section Toulouse ». Deux casques au sol avec les dates 1913-1918. Pourquoi son père y figure-t-il alors qu'il est né en 1903 et qu'il est venu en France en 1923 ? Mystère.
Quoi qu'il en soit, ce tableau qui dormait dans un grenier, elle a tenu à en faire don au musée. Il a le mérite de renvoyer aux parcours de ses parents. Lui, débarqué d'Italie à Toulouse, a mené une ferme, tandis que sa mère, fuyant l'Allemagne nazie qui a exterminé 17 membres de sa famille, s'installe à Strasbourg, avant de rencontrer son père.
Giuseppina sait peu de choses de son enfance, sa mère n'en parlait jamais. Mais elle se souvient de l'insulte « youpin » qui lui écorche encore la gorge… Et elle est émue devant cette vitrine : « Nous n'avons pas eu la même vie qu'eux. Moi et ma sœur sommes devenues professeures, nos enfants ont réussi. ». Et ont appris l'italien et l'allemand…
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