Gibert Jeune ferme trois librairies parisiennes
Trois librairies Gibert Jeune de la place Saint-Michel, à Paris, vont devoir fermer d’ici au 31 mars. Supprimant 70 postes. Et tout un pan de l’histoire, du patrimoine... Lire la suite
Arthaud à Grenoble, Flammarion à Lyon, Privat à Toulouse, Les Volcans à Clermont-Ferrand… Quatre parmi les 57 librairies réunies sous l'appellation Chapitre par Actissia. Toutes des vitrines de renom, où il s'avéra très vite qu'il fallait faire du chiffre. Notamment par une centralisation des achats imposée aux directions, au mépris de l'histoire et de la spécificité de chacune des librairies, et une rationalisation économique et managériale étouffante. Sauf que les lecteurs ne s'y retrouvent plus et désertent les lieux, non sans, parfois, confier leur déception et leur consternation au personnel. Finis l'accueil, la proximité, les conseils… Mais des « points de vente », où il fallait fourguer du best-seller, le « bon livre » n'étant pas assez rentable.
« Ce n'est parce que les librairies font partie du secteur marchand, qu'elles valent moins qu'un théâtre ou un musée. Comme le spectacle vivant, elles participent également à l'accès à la culture, dans une sorte de maillage », analyse Serge Le Glaunec, animateur du pôle culturel de la CGT, en évoquant les luttes du syndicat contre l'illettrisme. « Notre métier ne peut être qu'artisanal, c'est un métier de prototypes », relève une éditrice, qui sait qu'une enseigne indépendante est particulièrement prescriptrice.
Fini l'accueil,
la proximité, les conseils aux fidèles lecteurs…
Bref, de plan social en plan social, (deux en deux ans avec 160 salariés sur le carreau), le 2 décembre dernier, le tribunal de commerce de Paris prononce la liquidation judiciaire des librairies Chapitre. Le 7 janvier, les magasins sans repreneurs seront purement et simplement sacrifiés, « sauf si l'activité de décembre permet une poursuite d'activité ». Mais sur un délai de quinze jours ! Le représentant de l'employeur de déclarer de façon lapidaire et non moins cyniquement, en ce qui concerne les contacts avec des repreneurs, que six magasins « faisaient l'objet de marque d'intérêt fort », quinze « feraient l'objet d'un intérêt avec condition », dix-huit seraient « l'objet d'un intérêt avec condition », dix-huit « ont des contacts sans assurance » et sept « n'ont aucune offre ». Fermez le ban.
Errements financiers
Une demande de liquidation que les représentants salariés au comité d'entreprise ont considérée comme « parfaitement inadaptée ». Leurs experts s'étaient étonnés, à maintes reprises, que les « frais de siège » (rue de Grenelle !), notamment, soient abondés par chaque librairie.
« Les nombreux errements des différentes directions qui se sont succédé au gouvernail de ces magnifiques librairies donnent l'impression aux salariés, d'ailleurs soumis depuis de nombreux mois à des risques psychosociaux importants, qu'il n'y avait pas de pilote dans l'avion ou, au mieux, qu'il n'a pas voulu entendre la voix des libraires qui travaillent depuis des années dans ces enseignes de qualité, apportant leur savoir-faire, leur expérience et leurs compétences au service de leurs clients fidèles », s'est indignée Véronique Crouzet, en tant que représentante des salariés créanciers.
La CGT commerce-distribution-services voyant là une « politique consistant exclusivement à tout miser sur la vente par Internet ». Actissia n'a-t-il pas proposé aux salariés dont le travail serait supprimé de se former en « conseiller complément alimentaire », en « conseiller beauté » au lieu de prendre la porte. Inutile de préciser que, dans le désastre, Najafi n'a rien trouvé de mieux que de se désengager.
Très rapidement, les actions des salariés se multiplient, la CGT étant fortement impliquée. À Grenoble, plusieurs dizaines de milliers de signatures parviennent à Arthaud-Chapitre disant « non à la fermeture de ce véritable emblème culturel de la ville ». Pareil à Lyon, où la vénérable librairie Flammarion, ouverte sur la non moins vénérable place Bellecour, est rapidement occupée. À Toulouse, maire et président du conseil général apportent leur soutien. Des informations sont données au cours du festival de Cannes. La ministre de la Culture reçoit les représentants du personnel.
En février, le verdict tombe : fermeture de Romans, Dijon, Lyon, Évreux, Nantes… L'amertume dépassée, l'émotion est à son comble. La CGT appelle à l'occupation pour obtenir des garanties d'indemnités décentes.
Une Scop à Clermont-Ferrand
On l'a dit, les éditeurs ont vu d'un mauvais œil la disparition de ces relais précieux. Gallimard rachète Nancy, Albin Michel Sarreguemines et Châlons-en-Champagne, mais aussi Limoges, Orléans… À Grenoble, c'est Rue des Écoles, éditeur scolaire, qui reprend l'enseigne, ainsi que Biblioteca, le service de Chapitre dédié aux collectivités. À Saint-Étienne et Roanne, ce sont d'anciens salariés qui se sont portés acquéreurs, à Antibes, c'est le patron de Chapitre de Nice qui reprend le flambeau.
Plusieurs ex-directeurs de librairies Chapitre veulent aussi y croire, comme à Angoulême et Saint-Brieuc. Sur 57, ce sont 34 qui ont finalement trouvé repreneur, laissant cependant 430 salariés sans emplois.
À Clermont-Ferrand, où la proximité avec les lecteurs est particulièrement sensible, le personnel, qui avait anticipé, ne veut pas regretter la défection d'Albin Michel, où siège le patron d'Actissia, qui a trouvé le cahier des charges « trop contraignant ». Situation particulière : une Scop est en cours de constitution. Le fait de treize associés salariés et de six extérieurs. Une belle aventure « qui nous permettra à nouveau d'exercer notre métier », souligne Rosa da Costa, secrétaire de la région CGT, qui affiche fièrement trente ans de Volcans !
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Trois questions à
Muriel Sanson,
responsable du rayon Beaux-Arts,
puis du rayon Littérature
à la librairie des Volcans à Clermont-Ferrand
La culture, pour tous
Aujourd'hui licenciée comme trente-trois de vos collègues, comment vivez-vous cette situation ?
À 47 ans, je travaillais aux Volcans depuis vingt ans. J'y suis entrée à la suite de mon mastère d'histoire de l'art à la fac. Une opportunité formidable, les Volcans étant, dans les années 1980, une grande librairie universitaire et généraliste. La dixième en chiffre d'affaires d'après le classement de la profession. Les lecteurs y trouvaient la proximité, l'accueil, le choix, la diversité… Y compris des ouvrages un peu « pointus ». Rien à voir avec la FNAC ou France Loisirs qui fonctionnent comme des supermarchés. Jusqu'à l'arrivée de différents fonds d'investissement, il y a cinq ans, qui rachètent une cinquantaine de librairies en France, dont la nôtre. Et du coup, notre direction n'avait plus de pouvoir. On nous a demandé de déstocker les ouvrages titres de notre librairie, et de vendre des best-sellers. Des emplois ont été supprimés, remplacés par des stagiaires notamment.
Le chiffre d'affaires fut-il à la hauteur de ce que les nouveaux propriétaires escomptaient ?
Non, bien sûr. Nos clients ne retrouvaient plus ce qu'ils cherchaient. Certains ont très vite compris, et nous l'ont dit, qu'il y avait un fonds d'investissement derrière ces changements. Ce n'est pas faute d'avoir alerté notre direction à travers le comité d'entreprise. En gommant l'identité des Volcans, où il y a un réel potentiel de lectorat, on ne pouvait qu'aller à une baisse du chiffre d'affaires. Il fallait au contraire développer les relations avec les institutions et associations culturelles, notamment, la vie intellectuelle de la région.
Jusqu'à la fermeture, le 10 février dernier…
Pas de repreneur en effet. Que faire ? Ne pas baisser les bras. Après tout, on connaît bien notre travail ! Grâce à Rosa da Costa, une de nos collègues, l'idée d'une Scop a germé. Nous avons rencontré un responsable de Scop, qui nous a donné tous les éléments juridiques. Aussitôt que nous en avons parlé, des soutiens financiers nous sont parvenus par le site Ulule, et se créait l'Association des amis des Volcans. Treize des trente-quatre salariés ont décidé de s'investir dans le projet. Forts de défendre, en même temps que la lecture, une idée de l'économie solidaire, rare dans le commerce. Une idée dont on peut dire qu'elle a quelque chose de « politique ».
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