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PORTRAIT

De l'intime au collectif

3 octobre 2014 | Mise à jour le 19 avril 2017
Par
De l'intime au collectif

Du livre d'enfant à la BD, en passant par la caricature, la peinture, le dessin de presse ou la poésie, Halim Mahmoudi possède une palette d'expressions aussi large que celle des émotions humaines. Son roman graphique Un monde libre » confirme le talent découvert en germe dans « Arabico ».

 

 

 

 

 

nvo : Vous signiez en 2009 une BD très remarquée : « Arabico » (Liberté) qui raconte le quotidien d'un gamin de banlieue qui perd sa carte d'identité. Ce fait anodin vous permet de décrire de l'intérieur le mécanisme de la discrimination. Avec le recul, comment voyez-vous « Arabico » ? Si vous le dessiniez en 2014, serait-il différent ?

Halim Mahmoudi : Aujourd'hui, je le dessinerais avec beaucoup d'humour. Voire, que de l'humour. Cela dit, ma vision des choses n'a pas changé. Le personnage se sent étranger en France comme dans son pays d'origine. En cours de route, il se découvre une proximité aussi soudaine que violente, avec ces migrants du monde qui risquent leur vie pour survivre.

Arabico est pour moi le symbole d'une seule et unique quête : soi-même.Dans « Un monde libre », le personnage finit de découvrir qui il est : un être humain qui vit sur terre avec de l'amour et du temps, et qui finit par accoucher de ce qu'on appelle le bon sens.

« Un monde libre » remet les pendules à l'heure : les étrangers sont ceux qui gouvernent. Et ils n'ont aucune légitimité à le faire. Peu importe le pouvoir. Ils sont entre eux, au-dessus des lois. Ils imposent des règles, des dogmes, organisent des guerres, qui engendrent des exilés. Et au final, des immigrés comme Arabico…

Je l'ai donc dessiné affranchi de toute case, toute définition, tout raccourci ou généralité. Hors de toute bêtise…

 

Il y avait sans doute des notes autobiographiques dans « Arabico ». En est-il de même avec « Un monde libre » ?

Oui ! L'appartement est celui de ma mère, où j'ai grandi. Les potes du héros sont mes amis d'enfance. Ma famille aussi… Le reste est une sorte de patchwork entre plusieurs vécus. Mon imagination a fait le reste, il fallait que je colle tout cela dans un ensemble qui irait de l'intégration à l'immigration, de l'enfance à l'âge adulte, de l'intime au collectif, et de la mort vers la vie… La pensée du héros est ce qu'il y a de plus autobiographique. Sa vision du monde est celle d'un fils de prolétaire, fils d'immigrés, enfant pauvre. Il a grandi avec la haine, le mépris de soi.

« IL N'EXISTE PAS UNE SEULE LIBERTÉ
QUE NOUS N'AYONS ARRACHÉE PAR LA FORCE »

Le complexe d'infériorité logé à tous les étages de sa personnalité. Une destructuration totale de l'individu. Ce récit est comme une rivière (intime) qui irait se jeter dans l'océan (collectif). Mon autobiographie est celle de tout un tas d'autres personnes. C'est pourquoi à la fin de l'album, je parle de l'histoire de tous, en rappelant qu'il n'existe pas une seule liberté que nous n'ayons arrachée par la force, jamais. Les droits fondamentaux, les libertés, le travail, le droit de vivre dignement, l'égalité… Ça a fait le quotidien de ma famille, de mon enfance, jusque dans l'assiette à table. Du matin au soir, on avait le monde et son histoire à notre table.

 

Khalil, le protagoniste, fait tout seul un chemin vers la liberté, qui passe par une prise de conscience politique. Avez-vous mis beaucoup de vous, de vos lectures en Khalil ? Des proches vous ont-ils guidé ?

Effectivement, j'ai mis beaucoup de moi dans le personnage. Mais je n'ai pas tout mis non plus… Une vie, c'est plus complexe que quelques lectures. Cela dit, la vision du monde qu'a le héros est la mienne. J'ai eu les mêmes sentiments, la même vie et lu les mêmes livres. Oui, des proches m'ont guidé sur le chemin. Mes parents d'abord, mes sœurs et frères, des amis, des profs. Même Jack London, Malcom X ou Frantz Fanon me sont très proches. Ensuite, il y a tellement d'autres gens qui peuvent vous transporter. Des « sources » comme ça, où on va continuellement s'inspirer d'un regard, d'une présence avec une histoire, d'un moment de partage. Le monde n'a que l'étendue de la vision qu'on en a. Et la mienne s'est élargie avec le temps.

 

Vous avez participé à l'expo de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration sur le thème BD et immigration et au film « Bulles d'exil », qui va être bientôt édité en DVD. Qu'est-ce que cela a représenté pour vous ?

Au début, j'étais ravi que l'on parle enfin, surtout dans la BD, de ce thème qui m'est cher. Ensuite, quand j'ai vu les noms des stars de la BD (Bilal, Baru, Baudoin…) qui y figuraient, j'ai compris que ça allait être un peu plus grand que ce que je croyais… Et le documentaire « Bulles d'exil », réalisé par Vincent Marie et Antoine Chausson, est vraiment un film magnifique, en plus d'un outil précieux qui immortalise la parole d'auteurs et d'histoires à la croisée de plusieurs immigrations. Des amitiés sont nées et nous portons ce thème ensemble, avec film et albums, dans différents festivals.

On souhaite partager ces richesses, ces matériaux uniques avec le plus grand nombre, comme nous sommes conscients, à travers les retours que nous avons eus, de l'importance culturelle et citoyenne d'un tel projet.

Pour moi, cela a représenté une étape importante dans la reconnaissance de l'immigration dans la BD. Ma passion pour la BD s'est apaisée aussi. J'aime la BD dans toute sa variété, mais je savais confusément, après l'école, que j'allais devoir en baver avant de m'amuser. J'avais des choses à dire avant de m'épanouir dans ce milieu. Le contraire m'aurait donné l'impression de me cacher.

 

Un monde libre, de Halim Mahmoudi, éditions Des ronds dans l'O, 132 p., 17 €

Voir la chronique  de « Un monde libre »