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Rififi dans la sémiologie

24 septembre 2015 | Mise à jour le 2 mars 2017
Par | Photo(s) : Bertrand Guay/AFP
Rififi dans la sémiologie

Le 25 février 1980, Roland Barthes est renversé en sortant de chez François Mitterrand. Laurent Binet signe un polar ébouriffant autour d'un complot visant à la possession de La septième fonction du langage ».

Après son très remarqué HHhH, Goncourt du premier roman, où il questionne déjà la relation entre histoire et fiction, Laurent Binet, universitaire et professeur de lettres, persiste en signant un pseudopolar – mais vrai vaudeville – mettant en scène l'intelligentsia gravitant dans le petit monde de la sémiologie (étude linguistique des signes verbaux ou non verbaux, NDLR).

S'amusant avec érudition à brosser une galerie de portraits délirante mais qui, là aussi, extrapole à partie du réel, nous y croisons Foucault, le couple Sollers/Kristeva, Derrida, Lacan, Althusser, Deleuze, BHL, Cixous, Umberto Eco ou Chomsky.

Le prétexte à ce défilé d'intellectuels est la probabilité que Roman Jakobson – éminent linguiste, qui a synthétisé le processus de communication et défini les six fonctions du langage – en ait dégagé une septième.

Une fonction mystérieuse et quasi magique, permettant à qui la maîtriserait de pouvoir convaincre n'importe quel interlocuteur de n'importe quoi… Et donc de devenir une sorte de « maître du monde ». Or, Jakobson pourrait avoir transmis le secret de cette fonction à Barthes, son élève, et elle intéresserait évidemment au plus haut point François Mitterrand, challenger pour la future présidentielle, et Valéry Giscard d'Estaing, élu en 1974, ainsi que les clans qui les entourent.

Or, Barthes décède quelques jours après l'accident à l'hôpital, et l'on charge de l'enquête un commissaire Bayard plutôt réac, pour qui la sémiologie est de l'hébreu et qui va devoir s'introduire dans ce monde qui lui est totalement hermétique.

Comme poisson-pilote, Bayard va choisir un jeune prof de Paris VIII – dont le campus est alors à Vincennes – ce qui donne lieu à une hilarante scène lorsque le flic de droite débarque dans ce qu'il considère comme un repère de dangereux chevelus gauchistes plus occupés à fumer des pétards qu'à étudier…

UNE FONCTION MYSTÉRIEUSE
ET QUASI MAGIQUE DU LANGAGE,
PERMETTANT DE DEVENIR UNE SORTE DE
« MAÎTRE DU MONDE »…

On le voit, Laurent Binet s'amuse, mais il le fait avec brio et érudition, tout en se permettant d'égratigner, voire de ridiculiser à grands traits certains intellectuels autoproclamés. Ses piques en direction de BHL et de Sollers sont à se tordre, pendant que l'enquête va se ramifier en direction de la Bulgarie (et ses parapluies mortels) avec Julia Kristeva en sous-marin ; de l'Italie, pour un inénarrable duel du Logos club, société secrète de linguistes ; et d'Ithaca, aux États-Unis, pour un colloque de l'université Cornell réunissant le gratin de la sémiologie.

L'auteur s'est permis toutes les dingueries (même de glisser la finale Borg/Connors à Wimbledon en 1980 comme symbolique d'un changement d'époque) et semble bien se moquer de se faire des ennemis parmi les survivants de la période.

On croise les jeunes Laurent Fabius, Jack Lang et Serge Moati chez Mitterrand, les deux Michel (Poniatowski et d'Ornano) à l'Élysée avec Giscard, et chacun en prend pour son grade. C'est complètement allumé, mais quand il arrête – de temps à autre – de faire le pitre, l'auteur livre en filigrane quelques réflexions loin d'être sottes sur les liens entre pouvoir et savoir.

  La septième fonction du langage, de Laurent Binet. Éditions Grasset. 496 p., 22 €