À venir
Votre identifiant correspond à l'email que vous avez renseigné lors de l'abonnement. Vous avez besoin d'aide ? Contactez-nous au 01.49.88.68.50 ou par email en cliquant ici.
HAUT

Au-delà des apparences

17 décembre 2015 | Mise à jour le 22 février 2017
Par | Photo(s) : Patrick Kovarik/AFP
Au-delà des apparences

Bride, beauté noire, créatrice d'une ligne de cosmétique à succès se fait plaquer par son amant. Pour le retrouver, elle doit redevenir l'enfant rejetée par sa mère parce que « d'une couleur terrible ».

« Scientifiquement, il n'existe rien de tel que la race, Bride, donc le racisme sans race est un choix. Enseigné, bien sûr, par ceux qui en ont besoin, mais c'est tout de même un choix. Les gens qui le pratiquent ne seraient rien sans lui ». Ainsi Booker – l'amant dont le départ l'a littéralement défaite – s'adresse-t-il à Lulla Ann Bridewell dans ce percutant roman de Toni Morrison.

Protagoniste du roman, celle qui se fait désormais appeler Bride, a été rejetée dès sa naissance par sa mère et abandonnée par son père métis à peau claire, parce que « trop noire ». Avec la seule arme dont elle dispose : le mensonge, Bride s'est créé une autre personnalité, celle d'une femme splendide, dirigeante d'une société de cosmétiques à qui tout sourit, sauf l'amour.

Derrière cette réussite sociale se cache en fait une petite fille qui a menti pour attirer l'attention maternelle, puis s'est menti à elle-même en brandissant sa peau d'un « bleu noir », non pas comme l'étendard de son identité profonde, mais comme la vitrine soigneusement décorée des produits de beauté qu'elle commercialise.

Le départ de Booker, lui jetant qu'elle n'est pas « la femme qu'il veut », fait s'écrouler ce bel édifice, se lézarder les mensonges patiemment empilés pour bâtir un rempart contre la douleur. Sauf que la souffrance de Bride est restée enfermée à l'intérieur de cette forteresse égoïste, comme elle va devoir le découvrir en un retour aux origines, sur les traces de Booker. Un à un, Bride va devoir faire face aux mensonges accumulés, ceux qui ont semé en elle et alentour, le ressentiment, le rejet et la jalousie qui l'isolent même de sa meilleure amie. Un parcours difficile, jalonné de rencontres où il est question des violences faites aux enfants et de retour à sa propre enfance lorsque cette pénible quête ramène, même physiquement, Bride à Lulla Ann…

Pour se délivrer, Bride doit s'ouvrir, notamment à Booker dont – trop égoïste – elle ne connaît aucune des souffrances intimes. Elle rencontre ainsi la tante de Booker, femme pleine d'humour et d'empathie qui lui concocte sa « soupe des Nations-Unies » dont elle a glané les ingrédients auprès de ses sept maris d'origines diverses, la petite Rain recueillie au bord d'une route par un couple de hippies, et une ancienne institutrice dont elle a détruit la vie… Chacune de ces figures féminines va amener Bride à accepter de se regarder en face.

Ayant dépouillé son écriture de tout le superflu, Toni Morrison atteint ici le meilleur de son art et signe avec Délivrances un court roman épuré et d'autant plus puissant.

 

 

Délivrances, de Toni Morrison, traduction : Christine Laferrière, Éd. Christian Bourgois, 198 p., 18 €