Le 20 février 2012 s'engageait à Florange, chez ArcelorMittal, l'un des plus longs et des plus âpres combats pour l'emploi. Le réalisateur Jean-Claude Poirson s'est immergé dans cette lutte emblématique.
La « vallée des anges » (Gandrange, Rodange, Hayange, Hagondange, Uckange, Schifflange, Florange dans le département de la Moselle) pourrait aujourd'hui être rebaptisée vallée des fantômes. Forges, aciéries et hauts fourneaux ont été rayés de la carte. En 1979, la liquidation de l'aciérie de Longwy fut un premier coup de poignard dans ce cœur d'acier lorrain.
Lorsque Lakshmi Mittal entend fermer les deux derniers hauts-fourneaux de la vallée de la Fensch et liquider cinq mille ouvriers, les sidérurgistes se mobilisent, emmenés par une intersyndicale d'abord soudée mais qui souffrira d'avoir, notamment pour la CFDT, cru aux « promesses de Florange » de Sarkozy ou de Hollande.
Pour Jean-Claude Poirson, la sidérurgie lorraine n'est pas une terre inconnue : « Avant de devenir réalisateur de film documentaire, j'ai été ouvrier pendant plus de vingt ans. Il se trouve que ma trajectoire, dans cette autre vie, m'a amené à travailler dans la sidérurgie en Lorraine, d'abord aux aciéries de Pompey, puis dans cette usine d'ArcelorMittal de la vallée de la Fensch, il y a plus de quarante-trois ans […] Ce conflit des ArcelorMittal de Florange a donc une saveur particulière pour moi. »
Interpellé par la montée du vote FN dans cette région industrielle dévastée, il décide, caméra à l'épaule, d'être au cœur de l'action dès le premier jour. Son passé de militant et de sidérurgiste sera une excellente carte de visite et lui permettra de filmer au plus près des corps et des visages, gagnant la confiance de ses interlocuteurs.
Sans commentaire ni voix off, il fait vivre au spectateur cette grande lutte ouvrière, dans l'intimité de protagonistes qui accepteront de lui montrer aussi bien leurs faiblesses que la puissance de leurs convictions, leurs victoires et leurs défaites. Lors des grands rendez-vous, très médiatisés, il sera présent, discret, presque invisible, mais aussi pendant leur longue marche vers Paris que bien peu de caméras suivront…
Le réalisateur retrouve aussi les protagonistes un an après, dans la dernière partie du film qui invite alors au questionnement sur des choix politiques et humains qui demeurent très individuels et témoignent souvent d'un écoeurement qui trouve trop peu de relais. Si des artistes – Guy Bedos, Christophe Alévêque, Bernard Lavilliers – et nombre d'anonymes ont apporté leur soutien, lorsque le rideau tombe, le constat est amer et la solitude est grande.
Les ouvriers qui ont mené cette lutte rude, chargée d'enjeux qui souvent les dépassent et qu'ils pensaient utiliser à leur avantage, constatent qu'ils ont été abandonnés, trahis, bafoués. Certains, comme Edouard Martin, médiatique délégué CFDT, opte pour se présenter en position éligible sur une liste PS aux élections européennes. Un choix que le réalisateur montre, laissant au spectateur le soin d'en juger après que la nationalisation temporaire de l'entreprise, proposée par Montebourg, a été repoussée par Ayrault et Hollande…
Les débats qui ne manqueront pas de suivre les projections de ce film engagé poseront sans doute ces questions, et bien d'autres, comme la difficile unité syndicale en temps de crise. Jean-Claude Poirson a préféré se concentrer sur l'aspect humain, la revendication de dignité, et ce qu'il en a coûté, personnellement, professionnellement et politiquement, à certain des ArcelorMittal restés au bord du chemin et à une région dont nombre d'électeurs vont se précipiter dans les bras du FN.