Territoriale, la saignée
Réforme territoriale, compression des dépenses publiques et baisse de la dotation générale de fonctionnement versée par l'État, mise en place du Grand Paris, la fonction publique territoriale est dans une situation insoutenable. D'une collectivité francilienne à l'autre, les luttes diffèrent, mais l'enjeu est le même.
D'aucuns parlent de ponction, de plumée, voire de saignée. Car tandis que les charges augmentent et que les besoins explosent, les recettes diminuent. Telle est la difficile équation que les collectivités locales d'Ile-de-France – et d'ailleurs – ont à résoudre. Rythmes scolaires dans le Val-de-Marne (94), maintien à domicile à Drancy (93), petite enfance à Montfermeil (93), centre municipal de santé à Montreuil (93), médiathèque de Bagnolet (93), cantines scolaires et temps de travail à Pierrefite (95), œuvres sociales du conseil général des Hauts-de-Seine (92)…
La liste des doléances s'allonge de jour en jour. Il faut dire qu'entre la compression des dépenses publiques et la baisse de la dotation de l'État, la réforme territoriale et celle de la métropole du Grand Paris, les temps se font durs.
LES USAGERS EN FONT LES FRAIS
Jean-Pierre Chassang, secrétaire général du syndicat CGT des personnels du conseil général des Hauts-de-Seine (92), dévoile l'application concrète des choix de compression des dépenses publiques qui, selon lui, franchirait une étape : « C'est le financier qui prend le dessus. L'action sociale est particulièrement touchée, mais tous les secteurs sont concernés. Les missions de service public sont progressivement abandonnées au privé : la surveillance des parcs et jardins, la restauration et l'entretien dans les collèges… C'est un plan d'économies drastique et de casse de la fonction publique. »
Et d'ajouter que les usagers en font déjà les frais : deux mois d'attente pour espérer être reçu par une assistante sociale, pas de rendez-vous dans une PMI, urgences hospitalières débordées. Le tout, bien sûr, dans un contexte de crise accroissant les difficultés. On ne peut pas dire que les besoins de services publics de proximité ne se font pas sentir.
Dans le Val-de-Marne (94), les agents territoriaux sont vent debout contre la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dont celle du Grand Paris, et ont déjà recueilli 6 000 signatures d'une pétition contre la réforme et la suppression des départements au nom de leur impact sur la République, les services publics, la démocratie locale, les usagers et les agents, lesquels exigent un référendum jugé légitime.
Selon Julien Léger, coordinateur de la CSD (Coordination syndicale départementale) des services publics du 94, « Cette pétition est une amorce de notre lutte pour laquelle les agents sont très remontés. Nous appelons à une unification urgente des diverses luttes des organisations dans un cadre collectif. Il faut en effet une riposte large pour obtenir un référendum, car sans unité de toutes les forces opposées à la réforme territoriale, nous perdrons ».
Et les risques énoncés sont éloquents qui vont de la désertification de certaines parties du territoire à l'inégalité de traitement entre usagers, de la mise en concurrence des collectivités à la dégradation des conditions de travail des agents. Entre autres. Le maintien du service public de proximité – ou, à l'inverse, sa privatisation par bribes – n'est pas sans conséquences.
L’OBJECTIF : LA PRIVATISATION DES ACTIVITÉS SOCIALES
Julien Léger saisit un exemple, celui de la réforme des rythmes scolaires et de la précarité qu'elle a induite parmi les personnels concernés. Au-delà de la précarité, l'encadrement, l'animation et l'éducation des enfants hors du temps purement scolaire nécessitent des personnels formés et disposant des moyens de leur mission. Julien Léger dénonce une privatisation de ces activités par petites touches qui vise à contourner ces exigences : « On est sur un accueil à la carte des enfants au lieu de fonctionner selon une logique globale. À la place de cette réforme des rythmes scolaires qui devrait être abrogée, nous appelons de nos vœux une réforme porteuse des valeurs du service public, qui ne casse pas l'intégrité de la FPT. »
C'est aussi ce que dit Henri Tamar, secrétaire de l'UL de Drancy (93) et secrétaire général adjoint des territoriaux CGT, étrillant le député-maire Jean-Christophe Lagarde, qu'il accuse de faire de sa ville « un terrain expérimental » : « Au dernier Comité technique (CT, ex-CTP, instance de représentation et de dialogue sur les questions collectives, ndlr), une délibération a validé la suppression du maintien à domicile par le CCAS (Centre communal d'action sociale, ndlr), assuré par des agents publics dont l'effectif va diminuer en conséquence, au profit d'associations où les salariés sont payés une misère, en contrat de 12 mois renouvelable une fois, avec le 1er mai pour seul jour férié et dont le recrutement est opaque. J'affirme qu'il s'agit d'un retour à des conditions moyenâgeuses, d'une façon de casser la qualité du service public et de le dégrader. »
L’ACTION SOCIALE RÉDUITE AU MINIMUM
Sur fond de déficit certain de démocratie locale. Il semblerait que les villes voisines, Bobigny ou Blanc-Mesnil, par exemple, fassent les frais de semblables expérimentations ultralibérales, assorties d'un effet décor de cinéma pour que la pilule passe mieux et occulte le fait que l'action sociale ne dispense plus qu'un filet minimum de sécurité. Certains alertent sur le fait que tout cela ne fait encore illusion que par la présence d'anciens et de leurs compétences et se demandent, une fois ces personnes en retraite, ce qu'il adviendra des services rendus aux usagers.
À Montfermeil (93), c'est déjà plié. Dans l'animation, le nombre d'agents titulaires est marginal au regard du nombre d'agents sous contrat, en CDD renouvelable chaque année, sans augmentation de salaire et ne bénéficiant pas des mêmes primes que les titulaires. Karima Tlemsani est auxiliaire puéricultrice en crèche. Elle est aussi celle qui, avec d'autres, a créé un syndicat CGT en février et présenté une liste CGT aux élections professionnelles du 4 décembre pour la première fois.
FAIRE ÉVOLUER LE SERVICE PUBLIC DE PROXIMITÉ
Car dans l'animation, à Montfermeil, une dizaine d'agents ont démissionné, peu de contrats sont renouvelés et, de fait, le sous-effectif est constant, les agents sont démotivés et ont « peur de l'ouvrir », ceux qui l'ont fait ayant été, selon Karima Tlemsani, mis au placard, victimes de harcèlement, stigmatisés, subissant des pressions. « Plusieurs fois, je me suis demandé dans quoi je m'étais embarquée tant la réalité quotidienne de nos batailles est rude et épuisante. »
Pour elle comme pour bien d'autres, l'enjeu des élections du 4 décembre était à plusieurs niveaux. Apporter des réponses aux besoins des agents et soutenir ceux qui en ont besoin, certes, mais aussi « avoir de l'ambition et regagner tous les acquis ou avantages qui, au fil des ans, nous ont été confisqués ». Le 4 décembre, elles étaient donc 8 femmes en première ligne à Montfermeil, 8 femmes ayant constitué une liste CGT qui n'auront de cesse de faire évoluer le service public de proximité.